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Alcoolisme: « Celui qui croit qu’il va pouvoir reboire un jour se trompe »

Muriel Lefevre

Il y a tout juste six ans, Philip Muls (53), aujourd’hui vice-président d’une multinationale, engloutit une dernière bouteille de mousseux avant d’intégrer un centre de désintox. Avec l’aide de sa thérapeute Myriam Bruyninckx (49), elle-même ancienne alcoolique, il réussit à se défaire de son addiction. Dans De Morgen ils racontent en duo leur combat mental pour se reconstruire une vie qui n’est plus dominée par l’alcool.

Myriam Bruyninckx est sobre depuis 16 ans. Pour elle, c’est un choix conscient. Ce n’est pas qu’elle ne peut plus boire, elle ne le veut plus. Ce qui pourrait pour beaucoup passer pour une simple nuance fait en réalité toute la différence. « Je suis comme une végétarienne qui peut regarder les autres manger de la viande. Ça ne me fait juste pas envie. » Pourtant, avant, elle aimait bien çà, principalement le soir lorsqu’elle était de sortie. Mais quand elle buvait, elle ne pouvait pas s’arrêter. Elle avait des blackouts et des gueules de bois qui l’empêchaient parfois d’aller travailler. « A un moment, l’alcool est si puissant que vous ne décidez plus ce que vous faites. C’est comme si on vivait dans un monde parallèle. » C’est l’envie de reprendre le contrôle sur sa vie qui va la pousser à bannir l’alcool.

Un combat qu’on ne pense pas pouvoir gagner

Pour Philip Muls le fait de rentrer dans un bar a longtemps été difficile, même impossible les trois premières années après son sevrage. « Jusqu’il y a six ans, je buvais beaucoup et commençais déjà à boire dans la matinée. Cela me causait de plus en plus de problèmes. Au point que les médecins m’ont prévenu que si je n’y faisais pas rapidement quelque chose j’allais détériorer mon foie pour de bon. Pour moi, dans un premier temps, je n’ai pas arrêté de boire parce que je le voulais, mais parce que je le devais si je voulais continuer à vivre. Au début c’est un combat que vous ne pensez pas pouvoir gagner. Cela vous rend désespéré : vous voulez arrêter, mais la dépendance prend le dessus. »

Myriam Bruyninckx précise que la dépendance a souvent une origine psychologique. « J’ai toujours été angoissé » dit Mulls « et quand, vers 17 ans, j’ai bu mon premier verre de vin blanc cela a été comme une révélation. Il suffisait de ça pour que mes angoisses s’envolent. Jusqu’à mes 47 ans, j’ai essayé de retrouver cette sensation en buvant. Encore aujourd’hui j’aborde souvent avec Myriam la question de savoir comment je peux me détendre sans boire ? » Bruyninckx avoue elle aussi qu’ « elle n’a pas trouvé facilement une source égale de détente. »

Alcoolisme:
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« J’utilisais l’alcool comme lubrifiant social, il donne à tous ceux qui commencent à boire quelque chose qu’ils ne trouveront pas ailleurs. L’alcool est alors considéré comme la pièce manquante du puzzle. Après on recherche cet effet autant que possible. C’est une condition pour être alcoolique : la boisson doit vous faire quelque chose d’incroyable, que vous ne pouvez obtenir d’aucune autre façon. C’est ce sentiment que les boissons alcoolisées vous promettent, et, à chaque fois, vous tombez dans le panneau. C’est comme ça qu’on devient accro. Par exemple, moi j’attendais avec impatience 17h, heure de l’apéro et donc aussi l’heure où il est socialement accepté que l’on boive. Sauf qu’à, un moment, on se dit qu’il est toujours 17h quelque part dans le monde. »

30% des Belges auraient un problème avec l’alcool

Pour Bruyninckx, « les alcooliques ne sont pas que des gens marginalisés, il y en a aussi qui ont une carrière brillante ou qui sont de simples mères au foyer qui picolent dès que les enfants sont à l’école. Un alcoolique est quelqu’un qui se dérange et dérange son environnement avec l’alcool et qui est incapable d’arrêter de boire. Dès qu’il y a des disputes systématiques au sujet de votre consommation d’alcool et que vous commencez à faire ou à dire des choses que vous ne pensez pas vraiment, il y a un problème. En Belgique, une personne sur dix serait alcoolique, mais ce n’est que la pointe de l’iceberg, car ce sont des alcooliques répertoriés. Le chiffre réel se situe plutôt aux alentours de 30%. Moi-même, si je n’ai jamais été physiquement dépendante, je l’étais psychologiquement. C’est difficile d’arrêter, car quand les gens cessent de boire, ils doivent souvent se justifier auprès de leur environnement. Alors que tout le monde te félicite quand tu arrêtes de fumer. C’est une sorte de dépendance collective. D’ailleurs les gens qui poussent à boire sont souvent eux-mêmes de grands buveurs. Mulls est d’accord: « la Belgique a une culture particulière de la boisson. Tout est facilement accepté, il arrive même que cela soit obligatoire. En Asie, on vous regarde de travers si vous buvez tous les jours. » Bruyninckx précise que le problème comme très tôt. « 80 % des jeunes de 15 ans ont déjà bu. Ils commencent avec la bière et finissent souvent avec les spiritueux. 60 % ont déjà été malades à cause de l’alcool. Et ça alors que leur cerveau n’a pas fini de se développer. »

Tomber très bas pour s’en sortir

Pour s’en sortir, on doit arriver au point où on se dit « j’abandonne le combat. J’accepte que je ne puisse plus jamais boire » dit encore Mulls. La volonté d’arrêter doit venir de soi, on ne peut obliger quelqu’un à arrêter de boire. « L’idée de ne plus jamais boire est incroyablement effrayante. À un certain moment, vous remarquez que votre monde est devenu très petit : boire, avoir hâte de boire, et toutes les disputes que cela occasionne. Vous devenez de plus en plus indifférent et solitaire. Alors beaucoup de gens pensent : ce n’est pas ça la vie. Vous arrivez à un carrefour : soit vous continuez à boire votre mort, soit il faut que quelque chose arrive. Ce n’est qu’alors que l’on commence à demander de l’aide. C’est une motivation complètement différente de celle d’arrêter par crainte que tout le monde ne vous laisse tomber » rajoute Bruyninckx .

Un entourage trop bienveillant peut par ailleurs entretenir la dépendance en cherchant à régler les problèmes de la personne dépendante. C’est aussi pourquoi il faut une aide professionnelle. Une aide qui trouve le difficile équilibre qui consiste à ne pas être trop stricte ( ce qui provoquerait une fuite) , ni trop bienveillant pour éviter d’être manipulé.

Muls dit, lui aussi, qu’il faut vraiment tomber très bas si l’on veut pouvoir rester loin de la boisson pour de bon. « J’ai rechuté trois fois, chaque fois après six semaines d’internement. C’est pourquoi j’avais un mauvais pressentiment pour mon quatrième essai, mais j’avais besoin de ce sentiment pour pouvoir arrêter. Les trois premiers jours, le sevrage était vraiment pénible physiquement, mais les symptômes ne durent pas. La dépendance mentale dure beaucoup plus longtemps, surtout que ton estime de toi est au plus bas. »

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« La plupart des ouvrages parlent de la dépendance et du sevrage, mais rarement de ce qui passe après et c’est pourquoi il a choisi de se concentrer sur le processus mental que l’on traverse par la suite. Ceux qui pensent qu’ils seront capables de boire à nouveau ne s’en sortent pas. Les buveurs problématiques pensent souvent qu’ils sont guéris lorsqu’ils arrêtent de boire pendant un certain temps. Ils se disent : ‘je vais prendre un verre de temps en temps, mais je n’exagère pas’. Au début, ça marche. Mais l’alcool vous attire de telle sorte que l’intervalle entre les moments où vous buvez se réduit. Au bout de quatre mois, vous êtes reparti comme avant. » La première gorgée offre un soulagement, car vous arrêtez le combat avec vous-même. Au deuxième verre pointe la culpabilité et puis comme de toute façon vous avez déjà tout gâché vous continuer à boire. « La dépendance à l’alcool est une maladie dont on ne guérit pas. C’est pourquoi, après seize ans sans alcool, je me décris toujours comme un « alcoolique » dit encore Bruyninckx.

« Le meilleur conseil que je puisse vous donner est : apprenez à ne pas boire en ne buvant pas. Cela peut paraître simple, mais ma seule chose qui aide c’est de se prouver à soi-même que qu’on ne le fait pas. » Bruyninckx approuve : « A chaque fois que vous ne buvez pas dans une situation où vous auriez bu auparavant, vous devenez fort. Et il est facile de ne pas céder la prochaine fois. C’est ce que vous apprenez aux AA : seul aujourd’hui compte, c’est la seule chose que vous avez à faire. C’est ainsi que les jours deviennent des semaines et les semaines des mois. »

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