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Alcool et grossesse : des dégâts irréparables

Innocent, ce petit verre pendant la grossesse ? Bien moins qu’il n’y paraît ! En excès, l’alcool peut en effet provoquer des dommages cérébraux irréparables chez l’enfant à naître.

Dans certains cas, une consommation excessive d’alcool chez la future maman peut provoquer un SAF ou syndrome d’alcoolisation foetale (parfois appelé syndrome d’alcoolisme foetal). Grave mais heureusement peu courant, il touche en Europe moins d’un enfant né vivant sur mille et ne survient que lorsque la consommation d’alcool au cours de la grossesse atteint 7 à 8 verres par jour.

Les dommages cérébraux plus légers suite à une exposition prénatale à l’alcool sont par contre plus fréquents, touchant environ un enfant né vivant sur 450. Médecin-chef du service de pédiatrie de l’hôpital universitaire d’Anvers et responsable des examens de contrôle chez les enfants candidats à l’adoption, le Pr Marek Wojciechowski observe de temps à autre des cas de SAF dans le cadre de ses fonctions : « Il faut être particulièrement vigilant face aux petits patients en provenance d’un pays où la consommation d’alcool est très ancrée dans la culture. » Il est l’un des seuls médecins en Belgique à posséder une expertise dans ce syndrome – et, au vu de la difficulté du diagnostic et de la complexité du traitement qui y fait suite, ce n’est pas vraiment surprenant ! « Nombre de cas ne sont dépistés que (trop) tardivement, alors qu’il n’y a vraiment pas de temps à perdre, souligne l’expert. Le SAF est un syndrome incurable contre lequel les patients devront souvent se battre tout au long de leur vie. Il est donc capital de mettre en place un accompagnement sur mesure, idéalement le plus vite possible. »

Un puzzle complexe

« Ce sont surtout les enfants qui ne présentent pas les manifestations extérieures typiques qui passent régulièrement entre les mailles du filet, d’autant que leurs caractéristiques ‘invisibles’ peuvent être très diverses et n’apparaissent souvent que lorsqu’ils sont déjà plus grands.  » Le spécialiste évoque notamment des problèmes neurologiques, des troubles de la concentration et de la croissance, un retard mental, l’autisme, le TDA/H, un développement ralenti, des troubles du comportement, des sautes d’humeur, des troubles du langage… mais même l’épilepsie ou des problèmes cardiaques ou rénaux peuvent être les symptômes d’un SAF. « La majorité des soignants ne sont spécialisés que dans une petite pièce de ce grand puzzle et sont éparpillés dans plusieurs centres d’expertise. Pour l’instant, une approche intégrée et multidisciplinaire fait cruellement défaut pour faire le lien entre tous ces aspects – pour ne rien dire encore du temps, qui est vraiment une denrée rare. Il arrive aussi que certaines informations cruciales ne soient pas disponibles parce que les professionnels ont oublié d’interroger la future maman sur sa consommation d’alcool ou parce que celle-ci l’a passée sous silence, soit par culpabilité, soit parce qu’elle-même en sous-estime l’importance. Cela ne facilite évidemment pas un diagnostic précis… »

Des dégâts irréparables

Les dommages cérébraux induits par l’alcool sont irréversibles, et la différence entre un cerveau sain et un cerveau atteint est clairement visible à l’IRM. « La seule chose à faire est alors de prendre en charge le mieux possible les conséquences du SAF, poursuit le Pr Wojciechowski. On peut notamment agir sur les troubles du développement. Un bon accompagnement de l’autisme ou un traitement médicamenteux contre le TDA/H pourront également s’avérer très efficaces dans certains cas et des disciplines comme la logopédie, l’ergothérapie ou la kinésithérapie aussi ont leur place dans la prise en charge. Néanmoins, cela reste toujours un exercice de corde raide : les problèmes liés au SAF appellent un encadrement intégral à la mesure du syndrome, car les thérapies standard restent souvent sans effet. »

Les enfants atteints d’un SAF ont généralement des capacités d’apprentissage limitées et ne posent pas toujours les liens logiques évidents pour les autres. « Peu après son arrivée en Belgique, ma fille a été mordue par un chien, un border collie« , illustre Rita, mère adoptive de Noémi (12 ans) qui est atteinte du syndrome, et fondatrice d’une association flamande des patients SAF. « Cela l’a rendue très craintive… mais ni vis-à-vis des chiens en général ni même envers cette race spécifique : elle n’a conscience du danger qu’avec cet animal spécifique. » Les petits patients sont souvent aussi très impulsifs et ne saisissent pas bien la notion de causalité : ils ne se rendront pas toujours compte, par exemple, qu’un chaton risque d’étouffer s’ils le serrent trop fort. Il est également fréquent qu’ils manquent d’empathie et même de conscience. Même adultes, nombre d’entre eux auront besoin d’un proche qui les aide à réfléchir lorsque leur capacité de jugement est dépassée.

Un décours imprévisible

Un accompagnement efficace devra idéalement aussi tenir compte du caractère très fluctuant des troubles. « Lorsque Noémi a appris à nager, les mouvements lui réussissaient très bien certains jours et beaucoup moins à d’autres moments. Ses facultés de coordination évoluent vraiment de manière imprévisible, avec des hauts et des bas, illustre Rita. Idem à l’école. Lors de l’apprentissage des couleurs, elle parvenait parfois à les identifier très rapidement et sans erreurs… puis s’embrouillait une minute plus tard. » Ce phénomène, qui peut facilement passer pour de la paresse ou de la mauvaise volonté, pousse parfois à gronder voire punir l’enfant pour son manque d’efforts. « Cela peut être particulièrement néfaste. Noémi et nombre d’autres petits patients se rendent bien compte qu’ils ne sont pas comme les autres. Si en plus on les punit pour des difficultés sur lesquelles ils n’ont pas ou peu de prise, cela peut être épuisant et extrêmement décourageant pour eux, avec à la clé des réactions allant d’un simple haussement d’épaules à une énorme frustration qui peut s’exprimer par des crises de rage. Souvent, ces enfants font déjà tant d’efforts pour se retenir à l’école qu’ils ont besoin de se laisser aller lorsqu’ils rentrent à la maison ; il est donc essentiel qu’ils puissent compter sur la compréhension et le soutien de ceux qui les encadrent. »

Une analyse spécifique

Le diagnostic et le traitement du SAF restent fortement améliorables, estime quant à lui le Pr Wojciechowski. « Les Pays-Bas sont déjà bien partis, avec plusieurs polycliniques possédant une expertise spécifique. Il faudrait toutefois aussi que les médecins et paramédicaux soient globalement mieux informés, qu’ils aient le réflexe de penser à ce syndrome, notamment en présence de signes physiques évidents… mais même lorsque ceux-ci ne sont pas présents, ils devraient voir plus loin que le bout de leur nez. Il n’est pas nécessaire d’être soi-même spécialisé dans cette problématique pour référer un cas possible à un expert ! »

L’élément-clé reste toutefois la prévention, souligne le spécialiste en guise de conclusion. « Mieux vaut s’abstenir complètement de boire de l’alcool dès que l’on envisage une grossesse et à plus forte raison dès que celle-ci est confirmée. Le risque de dommages cérébraux chez le foetus augmente évidemment en fonction de la consommation, mais cet effet reste tout de même imprévisible. Certaines femmes sont génétiquement très sensibles aux conséquences néfastes de l’alcool ; chez elles, un seul verre peut déjà être le verre de trop ! »

Par Thomas Detombe

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