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Ados, la génération porno

Pierre Jassogne
Pierre Jassogne Journaliste Le Vif/L’Express

Plusieurs études menées par le département de criminologie de l’ULiège ont interrogé les comportements sexuels, la consommation de pornographie et son influence sur les pratiques de 450 jeunes Belges, âgés de 11 à 21 ans. Le Vif L’Express a pu en prendre connaissance en exclusivité.

80 % des jeunes interrogés précisent consulter des contenus pornographiques au moins une fois par mois, tandis de nombreux adolescents en consomment de façon hebdomadaire (73%), quotidienne (18 %), voire plusieurs fois par jour (8 %). L’âge de la première visualisation varie selon le sexe : chez les garçons, la moyenne est de 12,6 ans tandis que pour les filles, elle est de 13,7 ans. Ces dernières sont d’ailleurs moins nombreuses à visualiser ou à avoir visualisé des contenus pornographiques : elles sont 61 % contre 91 % pour les garçons. Pour 48 % des jeunes, la consommation de contenus pornographiques se déroule lors d’une activité partagée entre amis ou entre petits amis. Pour 80 % des jeunes, la première motivation est de s’amuser, 30 % pour se stimuler (masturbation), 27 % pour s’informer, et ce, indépendamment du genre. Les plus jeunes (12-14 ans) consultent ces contenus pour avoir une information de base au sujet de la sexualité, tandis que les plus âgés (15-17) recherchent des informations sur positions et le plaisir sexuels.

22 % de jeunes reproduisent des pratiques pornos

Globalement, ils sont 75 % à considérer que la pornographie n’est pas un média à banaliser, « dans la mesure où il ne représente pas la qualité de la sexualité et véhicule différents stéréotypes de genres », précise l’un des auteurs de l’étude, le professeur Serge Garcet du service de victimologie du département de psychologie de l’ULiège. « Toutefois, le rapport à l’image a complètement transformé le rapport à l’autre. Ce qui est intéressant, c’est l’appropriation du média et de l’image dans la construction de la sexualité. » Ainsi, les jeunes admettent que les images pornographiques les excitent : 72 % de garçons contre 18 % des filles.

22 % des jeunes expliquent avoir reproduit des pratiques vues dans un contenu pornographique comme la pratique du sexe oral ou la sodomie. 35 % des jeunes avouent regarder des contenus pornographiques violents dans lesquels la femme est considérée comme un objet sexuel lors de pratiques sados-masos, avec coups, insultes, voire viols, tandis que 5 % reconnaissent avoir reproduit des scènes violentes (fessées, étranglement, pénétration orale et anale violente…). Avec des différences entre jeunes consommateurs et non-consommateurs de contenus pornographiques face à certaines pratiques. C’est le cas la sodomie ou des partouzes : « 9 % des non-consommateurs disent déjà avoir expérimenté ces pratiques contre 18 % des consommateurs », indique Noémie Eloy, la seconde auteure de l’étude. « Plus encore que pour s’informer, la pornographie est devenue un outil préférentiel chez les jeunes pour initier des pratiques sexuelles. C’est un changement interpellant, d’autant qu’il s’agit d’un média totalement codifié, portant une dimension inégalitaire forte, relève Serge Garcet. Il existe donc un paradoxe dans cet usage de la pornographie par les jeunes : s’ils admettent majoritairement que ces supports ne sont pas le reflet de la réalité et véhiculent différents stéréotypes, ils y ont pourtant recours pour découvrir des pratiques sexuelles qu’ils tentent d’explorer durant l’adolescence. »

Les filles, premières victimes

Autre phénomène, celui du sexting. Il consiste en l’envoi de messages ou de mails, sexuellement explicites, et s’apparente, à en croire l’étude, davantage à une pratique féminine (35 % des filles contre 15 % des garçons). L’autre pratique, celle du revenge porn, qui consiste à divulguer de façon publique des images ou des vidéos à caractère sexuel d’une personne, sans son consentement, est de plus en plus connue auprès des jeunes. « Cette utilisation des nouveaux moyens technologiques influence des rapports de force autour de la sexualité qui induisent une victimisation au travers du chantage à l’image, par exemple. Ce sont d’abord et avant tout des jeunes filles qui sont amenées à produire des photos d’elles ou à être victimes du revenge porn », poursuit Serge Garcet. Ainsi, 6 % de jeunes expliquent avoir été obligés d’envoyer ou de recevoir des photos, tandis que 4 % se disent avoir été forcés de recevoir ou d’envoyer des messages à caractère sexuel.

Mais pour les auteurs de l’étude, le problème de fond est d’abord et avant tout la question de l’égalité entre les sexes. « Elle n’est pas encore passée dans les moeurs, et pas seulement entre adolescents. De multiples études ont mis en évidence, même dès l’école primaire, l’existence et le renforcement de rapports de genres », conclut Serge Garcet.

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