pollution lumineuse
Outre qu’elle prive 60% des Européens du spectacle de la Voie lactée, la pollution lumineuse affecte l’humain, les animaux et la nature. © GETTY IMAGES

Rendre les nuits plus noires: en quoi la pollution lumineuse nuit à l’humain, aux animaux et à la nature

Seuls 20% de la population mondiale ne subissent pas la pollution lumineuse. Et les répercussions concernent aussi bien les humains que les animaux et les végétaux. En Belgique, les initiatives essaiment pour rendre son obscurité à la nuit. 

Achluophobie. Le terme râpe un peu la gorge. C’est pourtant celui qui définit le plus globalement la peur du noir. Celle des enfants, bien sûr, mais aussi de tous ceux qui attribuent à l’obscurité le pouvoir de dissimuler de multiples dangers. C’est en partie pour lutter contre ce phénomène –et aussi pour «sécuriser l’espace»– que l’éclairage public a vu le jour. D’abord à Londres au XVe siècle, avec un réseau de lanternes, puis à Paris deux siècles plus tard, avant de faire florès au point qu’aujourd’hui, la lumière artificielle des vitrines, voitures et autres lampadaires du monde entier représente un dixième de l’ensemble de la consommation planétaire en énergie.

En plus de priver 60% des Européens du spectacle de la Voie lactée, ce rayonnement physique a pour effet de dégrader un actif indispensable pour le vivant: l’obscurité. Certains oiseaux migrateurs et tortues marines sont désormais désorientés, les chauves-souris doivent adapter leur comportement de vol et de chasse, beaucoup d’insectes meurent d’épuisement, «aimantés» par la lueur d’un réverbère, tandis que la lumière artificielle a également des conséquences sur la reproduction, l’alimentation ou encore la métamorphose de nombreuses espèces. L’humain, quant à lui, a besoin de la lumière naturelle pour produire de la mélatonine, une hormone qui l’aide ensuite à s’endormir une fois l’obscurité faite. Or, la surprésence de lumière artificielle entraîne notamment des troubles du sommeil, du stress et une augmentation des risques de maladies cardiovasculaires.  

«La Belgique est constellée de petits espaces d’émission, qui la font d’ailleurs qu’on la voit luire depuis le ciel.»

Expérience participative 

Afin d’endiguer les conséquences néfastes de la pollution lumineuse à grande échelle, le label Réserve internationale de ciel étoilé (Rice) a été créé pour tenter de multiplier et préserver les territoires dont la qualité du ciel est exceptionnelle. En Belgique, certaines communes procèdent à l’extinction des feux, Ath assurant par ailleurs réaliser ainsi entre 150.000 et 280.000 euros d’économies par an. «Hormis les autoroutes, le problème de la Belgique est son urbanisation diffuse, analyse Samuel Challéat, géographe de l’environnement au CNRS et auteur de l’ouvrage Sauvez la nuit (Premier parallèle, 2019). A défaut d’avoir des zones relativement sombres, le pays est constellé de petits espaces d’émission, qui font d’ailleurs qu’on le voit luire depuis le ciel.»

Alors pour éteindre la lumière, le travail se fait au cas par cas. Pour Isabelle Corten, c’est sous forme de collaborations. Cette architecte bruxelloise spécialiste de l’urbanisme nocturne mène des projets de marché public entre le plat pays, la France et la Suisse avec une approche «participative, proche de la sociologie, dit-elle. Nous menons des expériences avec les usagers d’un lieu défini pour comprendre leur ressenti et jusqu’où ils peuvent accepter l’obscurité. »

Certaines initiatives, comme des marches nocturnes en ville, permettent de cerner les craintes du public et de tenter d’y remédier. © GETTY IMAGES

Cela passe notamment par des marches nocturnes où le public explique où il se sent à l’aise ici, pourquoi il doit faire un détour là, ou par des événements au cours desquels l’équipe de Radiance 35, la société fondée par Isabelle Corten, équipe les participants de matériel lumineux comme une torche rouge pour qu’ils en commentent les effets sur leur perception. «On comprend dès lors les endroits, les positions et les manières d’éclairer qui offrent un sentiment de confort sans nuire à l’environnement», dévoile l’architecte.   

«Ça bouge, mais le temps que les projets soient mis en place, il faudra attendre jusqu’à cinq ans pour en voir les effets.»  

Des trames noires

En 30 ans d’activité dans le domaine de la nuit, Isabelle Corten a pu constater une réelle prise de conscience de la problématique de la part des instances dirigeantes. La lutte contre la pollution lumineuse était d’ailleurs au programme du précédent gouvernement bruxellois et trois sites de la capitale –Jette, le Rouge-Cloître et Watermael-Boitsfort– ont servi de tests pour repérer les «couloirs de biodiversité» et, si besoin, adapter l’éclairage.

En mars dernier, la Région wallonne a annoncé la mise en place d’un accompagnement personnalisé de dix communes pour implanter des trames noires, soit des réseaux de corridors écologiques plongés dans l’obscurité. Elles seront guidées par le bureau d’études Biotope-Environnement pour s’attaquer à quelques-uns des 37.000 points lumineux au sodium repérés par le SPW parmi les 600.000 que comptent les voiries communales. Ils seront soit supprimés, soit remplacés par un équipement LED (qui n’est pas pour autant la panacée), voire, pour certains, dotés d’un détecteur de présence, d’une intensité réduite ou dirigés vers le bas et non le haut. «Un grand dossier interrégional vient également d’être monté pour réfléchir à la gestion de l’éclairage privé, parfois plus imposant que son équivalent public, ajoute Isabelle Corten. Ça bouge, mais le temps que les projets soient mis en place, il faudra attendre jusqu’à cinq ans pour en voir les effets.»  

A Bruxelles et en Wallonie, La Nuit de l’obscurité propose chaque année, en octobre, des expositions, des débats et des observations d’étoiles. © BELGAIMAGE

En scène ou en balade  

La société civile, elle, n’a pas de temps à perdre. Depuis 2005, l’Association pour la sauvegarde du ciel et de l’environnement nocturnes (Ascen) sensibilise le grand public et les décideurs aux nuisances de l’éclairage artificiel. «Il faut de la patience et parfois un petit coup de pouce pour obtenir des résultats, lance Francis Venter, président de l’asbl. Du temps où Michel Daerden était ministre wallon de l’Equipement, il refusait catégoriquement d’éteindre sur les autoroutes. Mais une fois que l’Union européenne a mis fin aux tarifs préférentiels pour l’électricité sur les grands axes, certains tronçons ont soudainement été plongés dans le noir

Les conférences et le lobbying incessant de l’Ascen lui ont permis de cosigner la charte Province de Luxembourg, espace étoilé pour mener les 44 communes du sud du pays à réduire leurs illuminations. «On coordonne également chaque année la Nuit de l’obscurité, précise Francis Venter. En octobre, des expositions, des débats, des observations d’étoiles, etc. ont été organisés dans une quarantaine de communes de Wallonie et de Bruxelles.»   

Plusieurs entités en ont profité pour programmer le spectacle La lumière broie du noir, un seul en scène de Frédéric Jomaux, dont l’association Ecoscénique a pour objectif d’aborder l’environnement par la culture. Il y joue le rôle d’un électricien peu avare en histoires alors qu’il répare un réverbère dans un parc. «S’y mélangent le conte et le fantastique: je peux très bien narrer la légende de cette ville où toutes les étoiles sont tombées sur le sol, sourit le comédien. L’idée est de forcer le trait tout en gardant un fond de vérité pour pouvoir sensibiliser.» Et interroger, entre autres, l’absolue nécessité de maintenir des petites lampes allumées au fond de son jardin ou sur la façade de sa maison. «Je ne cherche pas à culpabiliser, assure-t-il. Je considère simplement que beaucoup ignorent la force de l’impact de toutes ces lampes. Les en informer est un premier pas.»

«L’objectif ultime est de se réapproprier le symbolisme généré par l’obscurité depuis des millénaires.»

A Quaregnon, l’asbl Ecocentre Oasis s’est, elle, spécialisée dans l’organisation de balades nocturnes dans le noir complet. Plus qu’une introduction aux effets de la pollution lumineuse, cet événement permet aux participants de redécouvrir et de contempler un espace-temps apaisant et pourtant souvent négligé. «Il est important de retrouver cette sensibilité liée à la nuit, pose Sabine Bouchez, déléguée de l’asbl. L’objectif ultime est de se réapproprier le symbolisme généré par l’obscurité depuis des millénaires, parce qu’humains et animaux se sont chacun identifiés au ciel étoilé pour vivre. C’est un patrimoine commun à protéger.»  

Question de sécurité  

Reste l’éternelle question de la sécurité. L’asbl Tous à Pied, qui met la marche et le piéton au centre de ses préoccupations, rappelle à ce propos que la mobilité active ne peut se faire sans un minimum d’éclairage. «On milite pour l’agencement de cheminements lisibles, sécurisants et confortables pour les piétons et cyclistes en période nocturne», plaide Charlotte Angerand, chargée de mission. Cela passe par l’établissement d’une infrastructure d’éclairage adaptée, «parce que de nombreux lampadaires éclairent encore trop souvent la chaussée au détriment du trottoir et de la piste cyclable.»

Tous à Pied ne lutte toutefois pas pour un éclairage omniprésent. «Il faut juste permettre à l’utilisateur de se mouvoir dans l’espace et de s’y sentir en sécurité.» S’il précise qu’aucune étude digne de ce nom n’a jusqu’ici réellement appuyé statistiquement le lien entre obscurité et criminalité, le géographe Samuel Challéat considère cette question de l’angoisse dans l’espace public nocturne avec beaucoup de respect. «Il faut toutefois dissocier la peur de la nuit et celle de l’obscurité, glisse-t-il. En Scandinavie, durant certaines périodes de l’année, il fait nuit sans faire noir. Or, des études ont prouvé que la peur de sortir perdure chez certaines femmes. Conclusion : c’est davantage sur la place qui leur est accordée pendant la nuit qu’aux risques liés à l’obscurité qu’il faut travailler. » 

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