Un radar mobile à Bruxelles. © BELGA/Nicolas Maeterlinck

Bientôt un permis à points? « Une bonne solution pour sortir de l’impunité sur les routes »

Benjamin Hermann
Benjamin Hermann Journaliste au Vif

Comment lutter contre l’accumulation des infractions de roulage? Georges Gilkinet, ministre de la Mobilité (Ecolo), plaide pour des amendes exponentielles. Pour Shirley Delannoy, chercheuse à Vias, l’Institut belge pour la sécurité routière, il faut également instaurer un permis à points.

On reparle du permis à points et des amendes exponentielles. Y a-t-il un grand besoin, en Belgique, de repenser le système de sanctions?

Ces thématiques sont récurrentes chez Vias. Tous les ans, parmi nos projets de recherche, il y a des études sur les sanctions adéquates et le phénomène de récidive. La démarche consiste toujours à se demander si on peut faire mieux, et comment. Le gouvernement s’était engagé à mener une étude sur le permis à points et sur les systèmes existants en Europe permettant d’identifier les récidivistes et de leur adresser des sanctions appropriées, voire progressives. Nous avons réalisé l’étude en deux phases: une comparaison des systèmes européens, puis une analyse approfondie de six pays, dont quatre avec un permis à points et deux avec des sanctions progressives. C’est comme cela que le permis à points est ressorti sous forme de système double, permettant à la fois d’identifier les profils récidivistes pour tous types d’infractions, tout en adressant des sanctions progressives. En fonction du degré de l’infraction, vous perdrez un certain nombre de points. In fine, si vous commettez beaucoup d’infractions durant un laps de temps défini, votre permis pourrait, par exemple, vous être retiré.

Aujourd’hui, vous pouvez commettre autant d’infractions que votre portefeuille vous le permet.

L’enjeu consiste à en finir avec des sanctions infligées indistinctement? Des sanctions à la carte seraient-elles plus efficaces?

A terme, l’objectif est de sortir de l’impunité. Aujourd’hui, vous pouvez commettre autant d’infractions que votre portefeuille vous le permet, pour autant qu’elles soient en dessous du quatrième degré ou que le parquet ne vous cite pas à comparaître. Les derniers chiffres de la mortalité sur les routes en Belgique indiquent qu’on se situe sur une pente ascendante et les données de 2022 nous alertent. A côté de cela, un accident sur trois implique un récidiviste. Il faut pouvoir les identifier et apporter des sanctions plus adéquates. Imaginons que le permis à points s’étale sur trois ans. Vous avez commis sept infractions durant cette période. A la septième, on vous dit stop et vous vous retrouvez face à un juge qui vous fait comprendre qu’il est temps d’avoir une réflexion plus profonde, au moyen d’une peine de travail autonome par exemple.

On dit qu’il faut faire mal au portefeuille pour changer les comportements. C’est sans doute la logique des amendes exponentielles. Mais le principe du permis à points n’est pas celui-là…

La notion de sanction progressive peut à la fois recouvrir les amendes exponentielles, ce que propose le ministre Gilkinet et que Vias soutient, et le permis à points. Toucher au portefeuille n’est jamais agréable, mais la douleur ne sera pas la même en fonction de votre revenu. Surtout, est-ce que cela changera fondamentalement votre manière d’agir? En Norvège, une étude a démontré que lorsque les conducteurs arrivent à la limite de perdre leur permis, ils adaptent leur comportement pour ne plus commettre d’infractions. Si vous vous comportez globalement en citoyen responsable, en principe, vous ne perdrez jamais votre permis. Par contre, ceux qui passent aujourd’hui sous le radar ne pourront plus accumuler indéfiniment des perceptions immédiates.

Préconisez-vous déjà une formule? Le modèle du Royaume-Uni est parfois cité en exemple.

Nous avons identifié ce qui existe dans d’autres pays et dans quelle mesure les bonnes pratiques peuvent être appliquées chez nous. C’est pourquoi la proposition de Vias est une combinaison entre des infractions graves qui doivent rester dans le système de la justice et un système plus automatisé pour les autres infractions. L’automatisation permet de ne pas surcharger les tribunaux, mais également de proposer une sanction adéquate en fonction du profil du contrevenant. Mais nous ne sommes pas encore entrés dans les aspects techniques et opérationnels. Concernant le système du Royaume-Uni, il peut être une source d’inspiration. Il inclut toutes les infractions, des plus légères aux plus graves, et les magistrats interviennent, notamment pour déterminer la durée de déchéance de permis et de la sanction à vous adresser.

Shirley Delannoy, chercheuse à Vias, l’Institut belge pour la sécurité routière, et coautrice de l’étude sur le permis à points.
Shirley Delannoy, chercheuse à Vias, l’Institut belge pour la sécurité routière, et coautrice de l’étude sur le permis à points. © dr

Vias, par le passé, n’était pas favorable au permis à points. Qu’est-ce qui a changé?

Quand on veut évaluer les effets d’une mesure, on le fait avec les paramètres du moment. Or, il s’est passé beaucoup de choses depuis que nous nous sommes exprimés sur le sujet en 2018: changements de politique criminelle, caméras ANPR, généralisation des radars-tronçons, augmentation de la crainte d’être pris, etc. En 2018, les quelques études existantes montraient que les effets du permis à points s’estompaient après un an et demi, sauf dans le cas où un certain nombre de conditions sont rencontrées. Le cadre est aujourd’hui plus favorable. Un autre paramètre essentiel est la création, entre-temps, de la base de données MaCH, qui collecte toutes les informations concernant les perceptions immédiates.

D’autres leviers vous semblent-ils indispensables pour lutter contre la récidive? Formation et prévention sont souvent évoquées.

C’est parce qu’elles sont essentielles. L’un des moyens efficaces de lutter contre les comportements inadéquats sur la route est de sensibiliser. Plusieurs composantes font que des sanctions peuvent être progressives et adéquates. Les amendes font mal, mais font-elles réfléchir à long terme? Pas tout le monde. Les peines de travail, par exemple, sont une alternative, parce qu’elles vous font payer de votre temps et vous permettent une approche différente de la sanction. Parmi les options existe aussi le volet thérapeutique, notamment pour un souci d’alcool. Avec un système progressif, après plusieurs infractions, un juge pourra vous adresser une sanction plus adaptée.

Ce que vous décrivez semble éloigné de la perception négative qu’ont beaucoup de gens du permis à points.

C’est probablement plus le cas du côté francophone que néerlandophone, où l’on pense spontanément au permis à points français. Mais il existe d’autres modèles. L’idée, c’est que les personnes qui passent à travers les mailles du filet ne pourront plus bénéficier éternellement de cette situation. A un moment, vous devez pouvoir être confronté à un juge et recevoir une sanction différente. En réalité, il n’y a pas de panacée. Le permis à points combiné à notre système d’infractions graves, notamment grâce à la loi sur la récidive, est une réponse qui peut progressivement faire comprendre aux usagers de la route qu’on ne peut pas faire ce qu’on veut, autant de fois qu’on le veut.

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