Jürgen Conings était un adepte des thèses survivalistes et d'extrême droite. Pour autant, il serait réducteur d'affirmer que les deux courants sont indissociables. © BELGA IMAGE

Le survivalisme, cette inquiétante doctrine qui flirte avec l’extrême droite (analyse)

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Les connexions entre la doctrine américaine du survivalisme et des groupuscules d’extrême droite inquiètent. Ils partagent la même peur du changement et de la catastrophe imminente, mais n’y font pas forcément face de la même façon.

Un an et demi après l’affaire Jürgen Conings, ce militaire armé en fuite qui voulait s’en prendre au virologue Marc Van Ranst, un nouveau projet criminel fomenté par des sympathisants d’extrême droite a donné des sueurs froides aux policiers fédéraux. Le coup de filet mené en Flandre a permis de mettre la main sur une centaine d’armes, ainsi que sur une importante quantité de munitions et du matériel militaire, et d’interpeller six suspects.

Selon le parquet fédéral, le groupe s’apprêtait à mener une résistance armée contre le gouvernement, sans pour autant qu’une cible ait été désignée ou qu’une date de passage à l’acte ait été convenue.

Abattu lors d’un échange de tirs avec les unités spéciales, Yannick V. exprimait ouvertement sa profonde sympathie pour l’extrême droite et plaidait pour l’instauration d’une dictature militaire. La particularité dans ce dossier, c’est que l’Anversois de 36 ans – ainsi que certains membres de son entourage – faisait partie de la sphère survivaliste. Adepte de la collapsologie, il était convaincu que le monde était sur le point de s’effondrer et qu’il fallait se préparer à de potentielles périodes de chaos.

Ce n’est pas la première fois qu’un lien entre extrême droite et survivalisme est établi dans un dossier criminel. Depuis une dizaine d’années, en effet, la droite radicale s’intéresse à la doctrine, à ses techniques et, surtout, à ses adeptes. Pour autant, il serait réducteur d’affirmer que le survivalisme est indissociable de l’idéologie d’extrême droite, où même que chaque courant qui le compose est forcément politisé.

«Le point de départ est la crainte ressentie outre-Atlantique d’une invasion de l’URSS et d’une guerre nucléaire, retrace Stéphane François, politologue et historien des idées, spécialiste des contre-cultures, du complotisme et de l’écologie politique (UMons). Est ensuite apparue la peur de la disparition du pétrole, thématique que l’on retrouve dans certaines fictions de l’époque comme Mad Max, ou d’une surpopulation mettant en péril l’équilibre écologique. Aujourd’hui, on retrouve ces marqueurs, comme le péril écologique, mais à travers le dérèglement climatique. L’idée d’une pression démographique venant du Sud était déjà présente dans les années 1970, notamment dans le roman de Jean Raspail Le Camp des saints (Robert Laffont, 1973), et s’est banalisée dans les années 2010 avec Renaud Camus et son «grand remplacement». La thèse d’un choc des civilisations – dont une guerre avec les pays arabo-musulmans – est, elle, apparue durant la seconde moitié des années 1990 et s’est concrétisée avec le 11-Septembre. Il y a aussi la peur de nouvelles maladies…»

Au-delà de l’extrême droite et de la littérature survivaliste, ces craintes sont banalisées par la culture populaire.

Guillaume Faye, qui signa sous le pseudonyme de Guillaume Corvus La Convergence des catastrophes (Diffusion International Editions, 2004), fut l’un des théoriciens de ces angoisses, bien qu’il n’était pas survivaliste. Quant à Renaud Camus et Eric Zemmour, ils se situent davantage dans une logique pessimiste de l’avenir des «peuples blancs», précise Stéphane François. «Au-delà de l’extrême droite et de la littérature survivaliste, qui n’est pas forcément d’extrême droite, ces craintes sont banalisées par la culture populaire, notamment le cinéma et les séries télé ; les thématiques survivalistes offrent la possibilité d’excellents scénarios…»

Survivalisme et extrême droite: au cas par cas

En France, où il gagne du terrain, le mouvement survivaliste inquiète tant les services de renseignement que les politiques. Fin novembre, un réseau nommé «Recolonisons la France» a été démantelé. Les membres de cette organisation d’ultradroite, tous militaires ou ex-militaires, avaient constitué un stock de 130 armes et appelaient à la création de poches armées pour se préparer à une guerre civile imminente en raison de la «pression migratoire». En décembre 2020, Frederik Limol, un néosurvivaliste qui ne se déplaçait jamais sans ses rations de survie, a abattu trois gendarmes dans l’Hérault. Quelques mois plus tard, Valentin Marcone, un chasseur et randonneur solitaire réputé paranoïaque, a assassiné son patron et son collègue dans les Cévennes.

«Le survivalisme n’est pas propre aux Etats-Unis. Cet attrait concerne tout l’Occident, voire au-delà. Mais le nombre de ses adeptes est difficile à estimer. Il faut également faire une distinction entre ceux qui lisent des revues, consultent les sites, voire regardent des vidéos de vulgarisation, et ceux qui décident d’appliquer la doctrine», précise Stéphane François.

En Belgique, c’est à l’Ocam que revient la tâche d’évaluer la menace potentielle liée à l’extrême droite. Mais le survivalisme et ceux qui le pratiquent ne font pas l’objet d’une surveillance spécifique. « Nous assurons le suivi de cas individuels mais pas de groupements spécifiques. Notre vigilance se porte sur le caractère extrémiste et les violations de la loi sur les discours de haine ou le racisme. L’activisme peut être évolutif et progressif mais il ne doit pas sortir du cadre légal », nous indique-t-on à l’Ocam.

En mars 2018, le premier salon du «Survivalisme, autonomie et développement durable» se tenait à Paris. Au menu: survie urbaine, bushcraft, cours de systema (art martial russe), rudiment de botanique, permaculture, vente de couteaux, initiation aux gestes qui sauvent, etc. Les principaux courants survivalistes y sont généralement représentés, des plus ésotériques aux plus défensifs. On y croise des amoureux de la nature en quête de matériel de camping ou intéressés par les techniques écolos, mais aussi des profils plus inquiétants, venus s’équiper en vue d’une menace incertaine, d’un potentiel chaos, d’un «retournement de situation»…

Parmi les invités de la première édition: Piero San Giorgio, survivaliste suisse auteur de l’ouvrage Survivre à l’effondrement économique (éd. Le retour aux sources, 2011) et réputé proche de la droite radicale. Des événements grand public où on pratique le mélange des genres et qui participent à la banalisation des idées d’extrême droite, évalue le spécialistes de l’UMons. «Dans les rayons ou dans les librairies survivalistes, les différents auteurs sont placés côte à côte, sans distinction idéologique. Par contre, cette extrême droite n’est pas forcément violente. Certains survivalistes de ces milieux insistent au contraire sur la nécessité de se défendre et de se protéger, et non pas d’agresser ou de commettre des actes de terrorisme

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