R Kelly
La star du R&B R Kelly, lors de son procès en 2019, au tribunal de Chicago © Getty Images

La star du R&B R.Kelly condamnée à 30 ans de prison pour crimes sexuels

Le Vif

La star américaine déchue du R&B, R. Kelly, reconnue coupable en septembre 2021 à New York d’avoir piloté pendant trois décennies un « système » d’exploitation sexuelle de jeunes, dont des adolescentes, a été condamnée mercredi à 30 ans de prison.

Cette lourde peine contre le chanteur de 55 ans a été prononcée par le tribunal fédéral de Brooklyn, là où son procès il y a neuf mois avait levé le voile sur les crimes sexuels au sein de la communauté noire aux Etats-Unis.

L’artiste, mondialement connu pour son tube I Believe I Can Fly et ses 75 millions de disques vendus, n’a pas dit un mot à l’énoncé du verdict. Il était resté mutique également lors des six semaines de procès en août et septembre derniers.

Les procureurs fédéraux avaient réclamé au moins 25 années de réclusion criminelle en raison du « danger » que représenterait ce « criminel, prédateur » pour ses victimes et pour l’opinion publique.

Le parquet a fustigé Robert Sylvester Kelly, alias R. Kelly, pour s’être « servi de sa notoriété (…) pour faire de jeunes, fragiles et sans-voix, ses proies à des fins de gratification sexuelle ».

« Aucun remords »

Pour le procureur Breon Peace, R. Kelly n’a eu « que du mépris pour ses crimes dévastateurs et aucun remords pour son comportement ».

L’une de ses victimes, Lizzette Martinez, 45 ans, a dit devant la presse sa « reconnaissance » que « Robert Sylvester Kelly ait été mis à l’écart, qu’il reste loin sans plus pouvoir faire de mal à quiconque » après « les choses atroces infligées à des enfants ». Elle avait 17 ans à l’époque.

Lizette Martinez à la sortie du tribunal

R. Kelly, qui a raconté dans son autobiographie avoir été violé quand il avait huit ans, a été reconnu coupable en septembre 2021 de tous les chefs d’inculpation: extorsion, exploitation sexuelle de mineur, enlèvement, trafic, corruption et travail forcé, sur une période allant de 1994 à 2018. 

Il a toujours nié les faits et son avocate a assuré mercredi que son client n’était « pas un monstre » et qu’il ferait appel de sa condamnation.

#MeToo pour les femmes noires

Ce procès est considéré comme une étape majeure du mouvement #MeToo: c’est la première fois que la majorité des plaignantes étaient des femmes noires et qu’elles accusaient un artiste noir.

Pour Kenyette Barnes, à l’origine du hashtag #MuteRKelly (« Faites taire R. Kelly ») en 2017 – la même année que le mouvement mondial #MeToo déclenché par la chute du tout-puissant producteur de Hollywood Harvey Weinsteinla justice américaine a permis pour la première fois de donner écho « au sang, à la sueur et aux larmes des femmes noires » que la société américaine ne voulait pas voir.

Harvey Weinstein © SPENCER PLATT/GETTY IMAGES

Bien avant que les violences sexuelles ne soient un sujet pour les médias et les réseaux sociaux aux Etats-Unis, des femmes afro-américaines bataillaient pour alerter les autorités et l’opinion publique. 

La justice américaine a permis pour la première fois de donner écho « au sang, à la sueur et aux larmes des femmes noires » que la société américaine ne voulait pas voir

Au procès, neuf femmes et deux hommes ont accusé l’artiste d’avoir abusé d’eux sexuellement, décrivant des viols, des prises forcées de drogues, des séquestrations et de la pédopornographie.

Les débats ont mis au jour le « système » de R. Kelly pour attirer de très jeunes femmes et les violer, avec la complicité de son entourage, comme dans une sorte d’entreprise mafieuse. Nombre de victimes avaient raconté leur rencontre avec leur idole lors de concerts après lesquels on leur glissait un petit papier avec les coordonnées du chanteur.

Droguées, violées et contraintes d’avorter

Il ferait quelque chose pour leur carrière musicale, leur promettait-on. Au lieu de cela, elles se faisaient « endoctriner » dans le milieu « sordide » de R. Kelly, étaient forcées à des rapports sexuels et maintenues dans ce « système » par des « mesures coercitives », selon l’accusation.

Six femmes ont été les principales accusatrices, dont certaines ont affirmé avoir été droguées pour être violées, séquestrées, forcées d’avorter et contaminées par des maladies sexuellement transmissibles.

Pour l’avocate Gloria Allred, qui représentait trois des six plaignantes, le verdict contre R. Kelly – au lendemain des 20 ans de prison prononcés par le tribunal de Manhattan contre l’ex-mondaine britannique Ghislaine Maxwell pour trafic sexuel de mineures – doit servir d’exemple pour les relations que peuvent entretenir les stars avec leurs fans.

R. Kelly, retour sur une trajectoire, du triomphe du R&B à la prison

Enfant de Chicago, devenu une star mondiale grâce à des tubes dans les années 1990, R. Kelly a dominé pendant des années la scène R&B en dépit d’une longue série d’accusations d’agressions et de crimes sexuels.

Déchu, semble-t-il ruiné, il a été reconnu coupable en septembre 2021 d’avoir piloté pendant des années un « système » d’exploitation sexuelle de jeunes, dont des adolescentes, et condamné à 30 ans de prison par un tribunal fédéral à New York. Il a été dépeint par la justice en « criminel, prédateur et en « manipulateur, dans le contrôle et la coercition ».

Avec sa voix influencée par le gospel et ses textes remplis d’allusions sexuelles, R. Kelly a vendu 75 millions de disques dans le monde, ce qui en fait l’un des plus grands succès commerciaux du R&B. Le chanteur a remporté trois Grammy Awards en 1998 avec le hit « I Believe I Can Fly ».

Mais son succès a toujours été terni par des rumeurs et des soupçons de violences sexuelles, qu’il a étouffés avec des accords financiers prévoyant des clauses de confidentialité.

Avant l’ère #MeToo commencée en 2017, il pouvait agir en toute impunité, selon l’accusation.

« J’aime les femmes » mais « est-ce que j’aime coucher avec des filles mineures? Absolument pas. Est-ce que des gens essaient de détruire ma carrière? Absolument », s’était-il défendu dans un entretien à GQ en 2016.

Acquitté

Né le 8 janvier 1967 à Chicago, R. Kelly est élevé par sa mère, au sein d’une fratrie de quatre enfants. Dans une autobiographie de 2012, il confiait avoir été témoin de premières scènes sexuelles dès l’âge de huit ans, racontant qu’il avait ordre de les photographier. Il dit aussi avoir été victime d’un viol au même âge, commis par une femme, puis d’autres agressions et crimes sexuels avant l’adolescence.

R. Kelly, qui n’est pas allé au lycée et est considéré comme illettré, a publié 14 albums à son nom Chanteur dans le métro, sa vie va changer quand il est repéré lors d’un barbecue dans le sud de Chicago par un cadre du label Jive Records, qui le fait signer en 1991.

Son premier album solo, « 12 Play » (1993), avec les titres très sexuels « Bump N’ Grind » and « I Like the Crotch on You », reste neuf semaines en tête du classement R&B.

Sa vie personnelle tumultueuse, notamment à cause de l’annulation de son mariage avec sa protégée de 15 ans, la chanteuse Aaliyah, n’empêche pas sa célébrité d’exploser.

Mais au début des années 2000, un journaliste du Chicago-Sun Times, Jim DeRogatis, reçoit dans un courrier anonyme deux cassettes vidéo montrant le chanteur en train d’avoir des relations sexuelles avec des jeunes filles, dont l’une va aboutir à son inculpation pour pédopornographie. Après des années de procédure, pendant lesquelles R. Kelly a continué ses tournées, il est acquitté.

« Mute R. Kelly »

De 2005 à 2012, Kelly écrit, produit, réalise et interprète un « hip hopera », « Trapped in the Closet », 33 chapitres d’une histoire étrange où le sexe règne encore. L’oeuvre déconcerte mais séduit quand même la critique.

En juillet 2017, plusieurs mois avant que l’affaire du producteur de cinéma Harvey Weinstein n’entraîne une prise de conscience sur les crimes sexuels commis par des hommes puissants, le site BuzzFeed diffuse une enquête de Jim DeRogatis accusant R. Kelly de diriger une sorte de secte sexuelle et de séquestrer contre leur gré six femmes, entre Chicago et Atlanta.

Au même moment, à Atlanta, Kenyette Barnes et Oronike Odeleye fondent le mouvement « Mute R. Kelly » (« Faites taire R. Kelly »), qui prône le boycott de ses chansons et mobilise des militants contre ses concerts.

En janvier 2019, une série documentaire diffusée sur Lifetime, Surviving R. Kelly, enfonce le clou. Plusieurs victimes décrivent le chanteur comme manipulateur, violent et obsédé par les très jeunes filles. Cette fois, son label le lâche et des artistes, dont Lady Gaga, présentent leurs excuses pour avoir travaillé avec lui.

Après la condamnation de mercredi, R. Kelly devrait comparaître en août pour un nouveau procès à Chicago.

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