Les fibres de coton, invitées surprise de la pollution des océans

Le Vif

Grâce aux filtres à microparticules installés sur un monocoque du dernier Vendée Globe, les scientifiques attendaient une photographie unique de la pollution plastique de zones reculées. Ce sont surtout des fibres de coton qu’ils ont récoltés, autre preuve de l’impact des humains sur les océans.

A l’automne 2020, le skipper Fabrice Amadeo s’élance pour la fameuse course à la voile autour du monde en solitaire. A bord de son Imoca, outre des appareils de mesures du CO2 ou de la température de l’eau, un capteur plus original: l’eau de mer est pompée par la quille avant de traverser trois tamis de 300, 100 et 30 microns pour emprisonner les microplastiques. Des filtres que l’ancien journaliste doit changer toutes les 12 heures et stocker jusqu’à son retour à terre.

Sa course s’arrête plus tôt qu’espéré avec un abandon au 33e jour. Un « mauvais souvenir » pour lui, lance-t-il lors d’une conférence de presse. Mais « intéressant » pour les scientifiques, avec un tour du monde transformé en tour de l’Atlantique. Le skipper n’oublie pas sa mission océanographique en remontant vers la France: 53 échantillons récoltés au total. Armés de pinces à épiler, les scientifiques des plusieurs centres de recherche français ont passé des mois à trier les particules recueillies par le filtre le plus gros, de 300 microns. Une journée de travail par tamis.

Plus de 60% des échantillons contiennent au moins un microplastique, principalement du PET et du polyéthylène. Pas vraiment une surprise quand on sait que ces particules issues de la dégradation des sacs, bouteilles, pailles et emballages divers ont été retrouvés dans les écosystèmes les plus isolés, jusque dans la fosse des Mariannes, la plus profonde connue.

En revanche ce qui « nous a fortement intéressé, c’est qu’on retrouve des fibres quasiment aussi sur tous les échantillons, en concentration beaucoup plus importante, et on trouve une forte proportion de fibres de coton », probablement d’origine textile, explique à l’AFP Catherine Dreanno, chercheuse à l’Ifremer. Les échantillons contiennent deux fois plus de fibres de cellulose (constituant principal des végétaux) que de microplastiques, avec une concentration moyenne de 5,4 fibres/m3 pour 2,1 microplastiques/m3.

Toxique pour les crevettes

La science a déjà montré que les microfibres synthétiques issues des vêtements en polyester, nylon ou acrylique et crachées par nos machines à laver sont une source importante de la pollution plastiques des océans. Mais cette campagne montre que les textiles issus de matières naturelles ne sont pas en reste, avec un début d’analyse du filtre de 100 microns qui montre une « proportion encore plus importante », note Catherine Dreanno.

Et « ce n’est pas parce que ce sont des fibres d’origine naturelle qu’elles ne sont pas toxiques. Elles peuvent avoir certains composés toxiques, comme des pigments de coloration, et elles absorbent des polluants dans l’environnement », insiste-t-elle. Synthétiques ou naturelles, ces fibres risquent d’obstruer le système digestif de minuscules crevettes ou crustacés qui les ingèrent. Comme si un humain avalait une corde.

Quelques études avaient déjà montré la présence de fibres d’origine naturelle en mer, notamment dans les profondeurs de la Méditerranée. Mais cette présence en sub-surface dans l’Atlantique « nous intrigue », commente Catherine Dreanno, évoquant un possible « nouvel indicateur de pollution » permis par des techniques nouvelles de prélèvement et d’analyse. « Il faut réduire la pollution à la source », insiste Jérôme Cachot, de l’université de Bordeaux. « On n’arrêtera pas toutes ces fibres avec des filtres dans les machines à laver », mais il plaide déjà pour limiter les additifs dans les textiles en coton, comme les colorants, nanoplastiques, et biocides.

Autre question soulevée, côté microplastiques: une étrangeté sur leur répartition spatiale. Il est connu que la répartition des microplastiques dans l’océan n’est pas homogène, ils s’agglutinent dans certaines zones sous l’effet de tourbillons géants formés par les courants marins (gyre), comme la fameuse « grande zone d’ordures du Pacifique ». « Là où on aurait trouvé assez légitime d’avoir de très grandes concentrations, dans le gyre sub-tropical de l’Atlantique Sud, c’est plutôt là qu’on voit le nombre minimal de particules », commente Christophe Maes, chercheur à l’IRD. « On a de nouvelles données, mais surtout de nouvelles questions ». Les scientifiques attendent avec impatience les prochaines courses de Fabrice Amedeo.

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