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Le retour de la terre: bivouac à la belle étoile

La pratique du bivouac se répand. Une manière de se rapprocher de Mère Nature et d’éprouver un sentiment de liberté. Dans l’est du pays, le Département de la nature et des forêts tente de concilier des intérêts divergents.

Eric bivouaque depuis longtemps en Belgique, en France et dans les pays nordiques. C’est une discipline, un ressourcement, une soupape dans sa vie très active. Il se glisse la nuit dans les bois, laissant sa voiture à bonne distance et passe la nuit à la belle étoile. Il paie sans discuter les amendes ou s’en tire avec des remontrances, parfois de beaux échanges ont lieu aussi, avec les gardes forestiers. Lors du déconfinement de 2020, la pression sur la forêt wallonne s’est faite plus grande, alors, il est descendu dans le Jura, ni vu ni connu. Son matériel est réduit au strict minimum: sac de couchage, matelas mousse, bâche ou « tarp » pour les initiés, une popote, un réchaud, un contenant d’eau et quelques accessoires. Trop éloignés pour un simple week-end, les grands espace du Nord sont moins balisés, mais la discipline y est plus exemplaire et les incivilités – dont il se garde – très sévèrement punies. Récemment, il a emmené sa fille de 10 ans pour lui montrer que « le noir dont on a peur peut devenir le noir qui protège ». Une expérience qui ravive pour lui la flamme de la liberté sans laquelle il n’y a pas de démocratie. « Je ne reconnais à personne le droit de m’interdire l’accès à la nature, s’oppose-t-il, ce serait un peu comme reconnaître le droit à taxer l’oxygène que l’on respire. »

Je ne reconnais à personne le droit de m’interdire l’accès à la nature.

Yves Pieper, chef du cantonnement de Verviers du Département de la nature et des forêts (DNF) de la Région wallonne a sous sa garde 7 000 hectares de forêts domaniales dans l’Hertogenwald et les Hautes Fagnes. En 2018, son équipe a pris l’initiative, approuvée par le DNF, d’organiser des aires de bivouac destinées aux randonneurs (l’immense majorité) et aux cyclistes qui réalisent un grand périple. L’autorisation d’y camper n’est valable que pour une nuit. Les trois emplacements ont été choisis avec un soin d’esthète autant que celui du « bien-être » de la nature. Assez loin d’une route pour décourager les porteurs de casiers de bière. En bordure d’un sentier mais à une profondeur suffisante (une trentaine de mètres) pour bénéficier de la lisière d’un bois. Et, luxe suprême, à proximité d’un point d’eau: la Helle, la Soor et le ruisseau de la Gileppe à son embouchure dans le lac du barrage. Les feux de bois sont autorisés, sauf en période de sécheresse prolongée, ce qui fut le cas en 2019 et 2020. « Lors du déconfinement de l’été dernier, on a eu des problèmes de surfréquentation, relève le responsable du DNF Verviers. On a agrandi les surfaces pour accueillir davantage de tentes, entre quinze et trente, mais ce n’était pas encore suffisant. Pour diluer la pression, nous avons passé un accord avec le Parc naturel Hautes Fagnes-Eifel qui se trouve à cheval sur la Belgique et l’Allemagne et comprend les cantonnements de Malmedy, Elsenborn, Eupen, Saint-Vith et Bullange. Les partenaires allemands du parc naturel ont mis au point un système de réservation sur lequel nous espérons nous aligner. »

Augmentation des incivilités

La sensation du sauvage est encore bien présente dans les Hautes Fagnes dont Jacques Brel disait qu’elles étaient un peu le Far West de la Belgique. Forcément, elles se prêtent à quelques fantasmes: réaliser un exploit sportif, admirer de beaux paysages, se reconnecter à soi-même. Toutes les forêts belges subissent peu ou prou cette pression, accentuée par la crise sanitaire. Le bivouac en est une variante, avec, comme on a pu l’observer ici et là, des concerts nocturnes de djembés, des toilettes furtives dans les rivières, des cabanes brinquebalantes… « Une télévision flamande nous avait contactés, il y a quelques mois, pour disposer d’une forêt où réaliser une émission de téléréalité de survivalisme en forêt, confie Isabelle Lamfalussy, responsable du programme Volontariat et Forest Friends à la Société royale forestière de Belgique (SRFB), qui représente et conseille les propriétaires privés du pays. Nous avons refusé, par crainte de donner de mauvaises idées à nos concitoyens. » Pas question pour autant de décourager les vrais amateurs. « Quand des personnes s’adressent à nous pour des bivouacs, poursuit-elle, nous leur demandons d’offrir en échange une partie de leur temps de séjour pour rencontrer le forestier et réaliser un travail au bénéfice de sa forêt. » L’interdépendance, loi des forêts. « Il est arrivé que nous demandions à des jeunes en infraction de réparer leur dégâts en effectuant un ramassage de déchets sous l’encadrement d’un agent forestier », prolonge Yves Pieper.

La Belgique est un pays extrêmement peuplé. Ici, ce n’est pas le Grand Nord ou le Canada. »

Yves Pieper (DNF)

A l’image de la nouvelle charte du Service public de Wallonie, « Apaisons la forêt », le responsable du cantonnement de Verviers est partagé entre son désir d’offrir au public ce précieux patrimoine et sa crainte d’une publicité excessive. « Bivouaquer, c’est le rêve de beaucoup de personnes, confirme Isabelle Lamfalussy. Si l’on s’adresse à un propriétaire privé, on peut trouver un arrangement, mais on ne peut pas dire oui à tout le monde. La Belgique est un pays extrêmement peuplé. Ici, ce n’est pas le Grand Nord ou le Canada. Pour que la forêt reste tranquille, on doit mettre des limites. »

Le code forestier, qui s’applique aussi bien à la propriété privée que publique, prohibe le bivouac sauvage. Ce n’est pas la seule interdiction qu’ignorent les néophytes des bois. « Il est interdit de faire du feu ou de se servir du bois mort pour faire du feu, récite Yves Pieper. Le droit coutumier qui autorisait les gens pauvres à se procurer du bois de chauffe dans les forêts domaniales est tombé en désuétude. Il faut désormais une autorisation pour ramasser du bois au sol. Pour les fruits forestiers comme les myrtilles et les champignons, la Région wallonne autorise la cueillette de dix litres par jour et par ménage dans les forêts domaniales, soit la contenance d’un seau. Les communes appliquent généralement la même règle. Au moment des fêtes de Noël, il y a quelques demandes pour des pommes de pin. Si elle est à visée commerciale, mais c’est rare, le ramassage est payant. » Les infractions à ces règles, ainsi que la perturbation de la quiétude forestière, sont punies d’une amende de 125 euros.

Trois hectares perdus

La bonne volonté du DNF Verviers est parfois mise à rude épreuve. « En 2019, on a perdu trois hectares de forêt à cause de feux de camp illégaux, rappelle le responsable du cantonnement. On a eu deux départs de feu en juillet, dont un sans conséquence, parce qu’on l’a découvert à temps. Il faut expliquer aux gens qu’il existe des emplacements prévus pour le bivouac, mais ça n’intéresse pas certains récalcitrants. » Le contact des gardes forestiers avec le public reste néanmoins positif, ce qui n’est pas une surprise. Le droit de chasse en Hertogenwald occidental appartient à la Couronne. Lorsque le roi Baudouin l’a confié à un conseil de gestion, il a beaucoup insisté sur la fonction sociale de la forêt, l’une des missions du DNF.

Cela dit, les feux mal éteints ne sont pas la seule nuisance provoquée par des randonneurs ou fêtards insouciants. Depuis le début de la pandémie, Philippe de Wouters, directeur de la Société royale forestière de Belgique, a relevé, comme beaucoup, une augmentation des incivilités: « Déchets, passage hors des chemins, chiens non tenus en laisse, création de chemins illégaux, non-respect des chemins interdits à la circulation… ». La susceptibilité des usagers de la forêt s’est également accrue. « Le retour à la terre, c’est correct, résume Yves Pieper. Mais il ne faut pas que ça tourne à la surconsommation des écosystèmes forestiers et devienne une menace pour les espèces forestières, notamment la faune qui a besoin de tranquillité pour se reproduire ou les herbivores qui se détournent de l’herbe d’un coupe-feu quand elle a été piétinée par les promeneurs. C’est comme si on avait marché dans leur assiette… » A fortiori, les déjections humaines ou canines font durablement office de repoussoir. « Si quelqu’un campe dans ma forêt, témoigne un propriétaire privé, il n’y a plus de gibier pendant six mois… » A l’inverse, si chacun respecte les sentiers et bivouacs balisés, la forêt et ses habitants ne souffrent pas de la présence des humains. Et ceux-ci s’en trouvent tout requinqués.

Le règlement des aires du DNF

  • Emporter ses déchets et nettoyer le site.
  • Feu interdit en période de sécheresse prolongée.
  • Seul le bois tombé au sol peut être utilisé.
  • Respect de la quiétude forestière.
  • Interdiction de passer deux nuits consécutives.

« On ne peut pas dire oui à tout le monde. On doit mettre des limites. »© DNF YVES PIEPER

Stage de survie

Denis Tribaudeau est le pionnier français des stages de survie au départ d’une intuition: « Quand on randonne, il peut nous arriver des galères. » Cet ancien bourlingueur-designer en organise dans des forêts privées autour de Bastogne. Rien de paramilitaire ni d’apocalyptique. « Il s’agit de réapprendre ce que nos anciens savaient de la nature, comment en faire partie plutôt que la combattre, pose-t-il. L’endroit doit être le plus vierge possible, avec de la biodiversité et un peu d’eau. Nous le rendons plus propre qu’il n’était en arrivant. » Les participants apprennent comment s’orienter avec les étoiles, faire du feu sans briquet, prévenir les secours sans téléphone, trouver des plantes comestibles, se mettre à couvert, donner les premiers soins. Avec de belles valeurs humaines: la camaraderie, l’esprit de corps. » Denis Tribaudeau rêve de faire inscrire cette démarche dans les programmes scolaires.

Apprendre à faire partie de la forêt plutôt que la combattre.
Apprendre à faire partie de la forêt plutôt que la combattre.© DENIS TRIBAUDEAU

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