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Le reboisement de l’Irlande : ces forêts sont « des abominations sombres et humides »

Mailys Chavagne
Mailys Chavagne Journaliste Web

L’Irlande, longtemps considérée comme un mauvais élève en matière de politique climatique, veut aujourd’hui intensifier sa réponse à la crise en plantant des forêts. Certains militants considèrent pourtant la chose d’un mauvais oeil : les épinettes de Sitka à croissance rapide gâcheraient le paysage.

Si en 1900, le paysage irlandais ne comptait que 1 % de couvert forestier, 100 ans plus tard, cette surface a été multipliée par dix, et comprend désormais près de 770 000 hectares d’arbres. Le pays s’est récemment engagé à planter 8000 hectares supplémentaires chaque année, pour atteindre une couverture totale de 18 %. L’Irlande estime ainsi pouvoir compenser la pollution générée par le grand nombre de vaches, de véhicules et de centrales à combustible fossile.

Des citoyens et militants voient pourtant ce reboisement d’un mauvais oeil. Et pour cause, le conifère choisi par le gouvernement, l’épinette de Sitka, ne serait pas un choix judicieux. Beaucoup considèrent ces épicéas comme « des abominations sombres et humides qui tuent la faune, bloquent la lumière du soleil et isolent les communautés« .

Un groupe de militants, Save Leitrim, résiste aujourd’hui à ces plantations, notamment grâce à une vague d’objections. Le groupe a ainsi pu retarder certaines plantations et espère encourager la résistance dans d’autres régions du pays. « C’est comme un mur autour de toi, la mort, l’obscurité. On suffoque. Le paysage semble disparaître « , explique Edwina Guckian, l’un des membres du groupe.

Avantages économiques et écologiques

L’espèce incriminée, l’épinette de Sitka, est un conifère originaire d’Amérique du Nord qui pousse rapidement et atteint une hauteur d’environ 50 mètres. Il prospère dans des forêts humides et tempérées proches de l’océan. Ce conifère constitue désormais près de la moitié des arbres d’Irlande.

Son bois, utilisé lors de la fabrication de la pâte à papier, du contreplaqué, des palettes, des clôtures, des meubles de jardin et des matériaux de construction, est particulièrement prisé des producteurs et entreprises. D’autant plus que ces produits sont en grande partie exportés en Grande-Bretagne. Une bonne nouvelle pour l’économie du pays, mais aussi pour le climat. L’épinette de Sitka absorbe en effet le carbone, une fonction précieuse pour lutter contre le réchauffement climatique et ainsi éviter à l’Irlande des amendes de plusieurs centaines de millions d’euros.

Le comté de Leitrim, avec ses sols gorgés d’eau, est l’une des régions les plus propices à ce type de plantation. Dans les années 60, une entreprise forestière commerciale a ainsi commencé à racheter des terres dans le comté. Ce conifère devint vite une source intarissable de bois, puisque l’arbre ne met que 30 ans à grandir. Une fois l’arbre prêt à la découpe, l’entreprise abat tous les conifères du secteur, ouvrant ainsi la voie à une nouvelle plantation.

Une fausse bonne idée

Mais pour les activistes de Save Leitrim, cette « monoculture industrielle  » qui a fait de Leitrim « une zone de sacrifice nationale « , a des conséquences néfastes pour« le tissu social et économique des communautés rurales et l’environnement du comté de Leitrim ». Selon eux, cet arbre inflige des dommages écologiques et sociaux et n’absorbe pas assez de carbone.

Avec la plantation toujours plus intensive du conifère, « la forêt s’est fermée petit à petit « , estime un agriculteur, qui se sent désormais pris au piège parmi les Sitkas. Selon lui, les arbres éclipsent la lumière du soleil, exhalent de la brume et bloquent les réseaux wifi et téléphoniques, induisant ainsi l’isolement. «  C’est une condamnation à mort pour les habitants.« , ajoute-t-il.

Pour d’autres, cette forêt de sapins non indigènes, avec ses aiguilles acides qui tapissent le sol, étouffe la faune locale. Les forêts, silencieuses, ne semblent pas abriter la vie. Seul le bruit des machines, qui abattent sans relâche les arbres, brise le silence pesant. Mais à quel prix, s’interrogent les citoyens. « Le paysage est dévasté, cela ressemble à Hiroshima. « 

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