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Le « rayonnement » nucléaire

Les effets de l’atome nucléaire peu connus sur le long terme, mais loin d’être anodins.

Militaire ou « civil », l’atome tue. Le bilan général de l’ère nucléaire, née en 1945, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, croît brusquement avec le drame de Tchernobyl. Jusqu’en 1983, dans le monde, 171 accidents, plus ou moins graves, firent 398 victimes, dont 30 morts. L’apport de la catastrophe ukrainienne pèsera lourd: « 299 blessés, ont reconnu les autorités soviétiques, et 7 morts, au 13 mai 1986. »

Combien de plus, demain? Car, malgré le dévouement des médecins de l’hôpital n°6 de Moscou, nonobstant l’art des spécialistes américains Robert Gale, Richard Champline, Paul Terasaki et Yair Ressner, venus à la rescousse, d’autres brûlés et irradiés ont peu de chances de survivre. Notamment ces pompiers de la centrale que commandait Leonid Teliatnikov, exposés au pied du réacteur foudroyé durant trois longues heures, les premières de la « criticité ». Rien n’y fera, ni les transplantations de moelle osseuse ni ce nouveau médicament, livré en urgence par l’Institut suisse de sérologie, à Berne, destiné à prévenir les risques de rejet des greffes: la contamination poursuit sa sape meurtrière. Le cocktail gamma-neutrons ronge les vaisseaux, lèse le cerveau.

Militaire, l’atome vitrifie, crame, et ses radiations font le reste; quelques kilos de matière fissile suffisent. Civil, empilé par tonnes dans les réacteurs, l’atome, lorsqu’il se volatilise par accident, empoisonne. Et ce n’est pas mieux. Ses méfaits, dans ce cas, sont depuis longtemps, répertoriés.

Le rayonnement nucléaire frappe au sein même du mécanisme de la vie

Les cellules humaines qui se renouvellent rapidement, celles qui sont moins différenciées que les autres manifestent une grande sensibilité aux radiations. Un effet mesuré sur les cellules de la peau, par exemple, et de la moelle osseuse, « qui comptent parmi les plus fragiles de l’organisme », explique le Pr Maurice Errera, de l’université libre de Bruxelles. Avec les Américains Taylor, Greenstein et Hollaender, de Bethesda, le Pr Errera a également découvert, dès 1947, que la cible « préférentiellement affectée par le rayonnement nucléaire était la molécule géante d’ADN contenue dans les chromosomes, qui porte l’information génétique des cellules. » En clair, il frappe au sein même du mécanisme de la vie.

Les effets nocifs dépendent évidemment des doses délétères libérées, de leur latence. Selon le Dr Jean-Claude Nénot, du Commissariat à l’énergie atomique, un rayonnement entre 3 et 5 grays ne provoque que des érythèmes et des épidermites. Au-dessous de 10 grays, il n’enclenche aucun dommage irréversible. Mais, passé ce seuil, la nécrose s’installe, précédée de nausées, de vomissements, de diarrhée, de troubles cardio-vasculaires et neurologiques. Le temps de latence, lui aussi, influe sur la portée de ce rayonnement. Il peut être de trois semaines dans le cas des épidermites exsudatives. Il peut aller jusqu’à six, voire dix-huit mois, pour les nécroses. Une équivalence formulée par le Pr Errera donne une juste mesure de la vulnérabilité de l’homme: « Par comparaison avec des bactéries en culture, il faut des doses d’irradiation cent fois plus faibles pour tuer des cellules de peau humaine en culture!  »

Les « expériences » d’Hiroshima et de Nagasaki


S’ils connaissent la gravité des irradiations accidentelles qui mettent en jeu un pronostic vital, les médecins restent, en revanche, circonspects sur les effets à long terme des doses dites  » faibles « . Ainsi, les lésions de l’ADN pourraient entraîner des aberrations chromosomiques, préjudiciables au rendement des cellules concernées. L’organisme, armé pour réparer les attaques de cet ADN, parvient à gommer les traces de ces assauts grâce à des enzymes. Parfois, le sauvetage demeure incomplet: les lésions, non éliminées, sont seulement tolérées. Que donnent-elles, à la longue? Les cruelles expériences d’Hiroshima et de Nagasaki, à la fin de la dernière guerre, ne se sont pas traduites par un accroissement des maladies héréditaires chez les descendants des survivants. Certains des enfants exposés aux radiations ont, en revanche, vu leur croissance entravée. D’autres ont manifesté des signes d’arriération, dans l’expression orale, notamment, ainsi qu’une impossibilité à effectuer des calculs difficiles. Le nombre des cancers chez les survivants, lui, a augmenté de façon significative : 500 cas de plus que la moyenne, avec des populations témoins…

« Vivre est un risque », disent certains partisans à tous crins du nucléaire. Certes. La radioactivité naturelle de notre planète, farcie de minéraux dangereux et bombardée sans relâche par les rayons cosmiques, n’est pas un leurre. Le propre du progrès n’est pas de refuser le risque né du génie de l’homme. Il consiste à mettre en oeuvre, et à s’y tenir fermement, les conditions d’échapper aux périls.

L’Express.fr

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