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« Le monde a besoin des abeilles »

La firme Syngenta dément le résultat révélé par une étude qui remet en cause son pesticide. L’un des chercheurs concernés, Axel Decourty, répond.

Une étude menée par deux chercheurs français, rendue publique dans la revue Science la semaine dernière, montre que le thiaméthoxam désoriente les abeilles et provoque leur mort. Alors que ces 25 dernières années, la population des abeilles a diminué de moitié, leur taux de mortalité journalier est estimé entre 25 et 50%. Syngenta, qui produit ces molécules chimiques, conteste ces premières conclusions.

Comment avez-vous mené votre étude ?

Axel Decourty : En laboratoire, nous avons marqué 653 abeilles en collant sur leur thorax des micro-puces à radio-identification afin de suivre leurs déplacements quotidiens, une fois relâchées. Des « lecteurs » placés à l’entrée des ruches ont permis de les compter individuellement. Un procédé jamais employé jusque-là. La moitié des abeilles ont été nourries avec une solution sucrée contenant une dose d’insecticide. Sur ces individus, on a clairement constaté que les butineuses étaient deux à trois fois plus nombreuses à se perdre. Elles ne retrouvaient plus leur nid et finissaient par mourir, car les abeilles sont incapables de survivre loin de leur ruche.

Que répond le fabricant devant ces accusations ?

Selon lui, la dose de thiaméthoxam qu’on a administrée aux abeilles est bien trop forte. Mais c’est faux ! La dose de 1.3 nanogramme, que nous avons donnée, peut être tout à fait retrouvée dans la nature et ingurgitée par les abeilles. En outre, notre étude consistait seulement à observer les effets des pesticides sur ses insectes. Le résultat est clair : ces produits affectent leurs comportements et dérèglent leur système de géocalisation. Ce qui n’est pas une grande surprise pour les apiculteurs ni les chercheurs. Ça fait 15 ans qu’on travaille sur le sujet. La difficulté résultait essentiellement dans l’aspect pratique : comment suivre les aller/retour des abeilles afin de prouver la diminution de leur population ? On a désormais la solution. Après, je comprends que Syngenta souhaite également une étude en milieu naturel.

En quoi le résultat de l’étude vous inquiète-t-il ?

La perte constatée des butineuses risque de faire considérablement chuter la population des abeilles. A un point où leur renouvellement et leur survie sont menacés. Or, le monde a besoin des abeilles. Leur rôle est de polliniser les plantes à fleurs qui produisent des fruits et légumes. Un tiers de l’alimentation dépend des filières agricoles. De plus, l’impact économique pour les apiculteurs serait très important.

Selon vous, cette étude est-elle suffisante pour retirer le produit des ventes ?

Non, même si le résultat est inquiétant. Une ou deux études ne suffisent pas pour prendre une décision. En revanche, nos conclusions alarmantes justifient l’instauration d’un réseau de surveillance et c’est pourquoi l’agence nationale de sécurité sanitaire (ANSES) mènera une nouvelle expérimentation dans des conditions réelles. Mais encore faudrait-il que celle-ci soit correctement effectuée. En effet, l’agence se doit de respecter plusieurs paramètres tels que la durée du trajet effectué par l’abeille et un suivi sur le long terme, car une faible distance, observée de manière ponctuelle, ne permet pas de constater des effets indésirables. Le fabricant pourrait alors affirmer à tort que les pesticides sont inoffensifs, ce qui ne semble pas être le cas.

Chloé Henry, L’Express.fr

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