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La Wallonie à la pointe de nouvelles fibres textiles durables

Caroline Dunski Journaliste

Naturelles ou artificielles, de nouvelles fibres textiles commencent à concurrencer coton, viscoses et polyesters sur les étiquettes de nos vêtements. L’enjeu est triple: réduire l’impact environnemental, développer la production locale et promouvoir l’économie circulaire. La Wallonie est à la pointe.

Lancée en janvier dernier, la stratégie Circular Wallonia vise à déployer l’économie circulaire, à produire des biens et des services de manière durable et à favoriser un renouveau industriel. Dans ce cadre, Centexbel, centre de recherche textile et plasturgique, assure la coordination de la « task force textile », qui réunit différentes fédérations – Ressource (ressourceries), Creamoda (mode), Fedustria (textile, bois et ameublement) et Comeos (commerce) – mais aussi Wallonie Design et l’asbl ValBiom. « L’objectif de cette task force est d’envisager les modes de conception, de production et de consommation liés à l’économie circulaire dans le secteur textile wallon, souligne Philippe Colignon, consultant en économie circulaire de Centexbel. Ce travail se fera en collaboration avec les acteurs de terrain tels que les entreprises ou les designers. Véritable clé de voûte de l’économie circulaire, l’écoconception est une des priorités de la task force. Utiliser moins de matière, augmenter la durée de vie des produits ou imaginer de nouvelles filières sont autant d’enjeux à relever. »

Les fibres ancestrales que sont le chanvre et le lin pourraient devenir les « fibres du futur ».

Recycler…

Philippe Colignon se réfère à l’échelle de Lansink, qui hiérarchise les différents traitements des déchets de façon à privilégier les méthodes les plus respectueuses de l’environnement. D’abord, il s’agit de prévenir: le meilleur déchet étant, bien sûr, celui qu’on ne produit pas. Vient ensuite le réemploi: le vêtement devenu trop petit sera porté par le petit frère ou la petite soeur ou sera revendu dans un circuit de seconde main. Tout en bas de l’échelle de Lansink, le déchet est éliminé par incinération, avec ou sans valorisation énergétique. « Le défi est aussi d’évaluer l’impact de nos pratiques de recyclage en termes d’environnement, de consommation en eau, en produits chimiques, en énergie. Cela passe par l’analyse des cycles de vie et nécessite de comparer le coût environnemental du recyclage à celui de la matière nouvelle à créer. »

Depuis 2020, ValBiom coordonne des essais agronomiques menés avec la France et la Flandre pour produire un chanvre à haute valeur textile.
Depuis 2020, ValBiom coordonne des essais agronomiques menés avec la France et la Flandre pour produire un chanvre à haute valeur textile.© DR

Recycler peut prendre différentes formes. Si la transformation en chiffons ou en isolant reste une filière courante (downcycling), le recyclage en nouveaux produits textiles évolue rapidement et devrait gagner en importance. Aujourd’hui, seul 1% des vêtements collectés serait recyclé en fibre pour l’habillement. « Le plus courant et techniquement au point, c’est le recyclage mécanique, indique Jean Seyll, qui a lancé Lucid, une jeune marque de vêtements produits en Belgique. Nos tee-shirts sont composés avec 100% de coton et de polyester recyclés. Les déchets de coton sont broyés et refilés pour ensuite être mixés à un fil de polyester recyclé, issu de bouteilles plastiques fondues. » Moins courant mais prometteur, le recyclage chimique permet, par exemple, d’extraire la cellulose d’un déchet de coton pour être utilisé comme matière première pour produire de la viscose.

…voire upcycler

« Ce qu’on portera aussi, ce sont des vêtements upcyclés, note Philippe Colignon. Là, il y a déjà quelques très belles initiatives. Comme Marypup, qui fabrique des vêtements de pluie à partir de vieux parapluies, ou Joseffa, qui fait des sous-vêtements féminins avec des chemises d’hommes usagées, et Isatios, qui utilise des échantillons des catalogues de l’industrie textile pour en faire des pièces uniques, vêtements et accessoires. L’idée est que si des vêtements ou des accessoires sont trop usés pour être utilisés en tant que tels, des parties peuvent être réutilisées pour en faire autre chose. »

La jeune marque Lucid propose des tee-shirts produits en Belgique et composés à 100% de coton et de polyester recyclés.
La jeune marque Lucid propose des tee-shirts produits en Belgique et composés à 100% de coton et de polyester recyclés.© DR

Durable, local et éthique

L’enjeu de la filière textile est d’assurer la transition vers une économie circulaire, innovante et pérenne, qui ne disparaîtra pas dès que la source de subventions publiques se tarira. Il s’agit de redévelopper une capacité locale de production sur la base d’un tissu industriel significatif. Comme le souligne le consultant de Centexbel, « on ne peut habiller plus de onze millions de personnes en se limitant à des niches ».

Avec le projet FiT’In, soutenu par le gouvernement wallon dans le cadre de l’appel à projets Rayonnement Wallonie, Wallonie Design et le Texlab, un atelier de prototypage textile mis à disposition des créateurs et professionnels du textile, tentent de structurer une filière intersectorielle du textile en réunissant un consortium d’acteurs de terrain et de chercheurs prêts à se mobiliser pour une industrie textile belge plus durable, locale et éthique.

L’économie biosourcée – c’est-à-dire celle des produits ou matériaux entièrement ou partiellement fabriqués à partir de matières d’origine biologique – est aussi au coeur de la stratégie Circular Wallonia. Dans une étude sur le potentiel de développement des filières de valorisation des fibres techniques végétales d’origine agricole, ValBiom note que le secteur textile apparaît comme le plus porteur et prometteur et que, sur ce plan-là, la Wallonie peut miser sur son expérience historique, sur l’innovation, sur les acteurs déjà établis, ainsi que sur le dynamisme des stylistes et designers belges.

Depuis 2020, alors que la culture du chanvre a été relancée en Wallonie en 2009, ValBiom coordonne des essais agronomiques menés avec la France et la Flandre pour produire un chanvre à haute valeur textile. « N’ayant pas besoin de pesticides, aussi bien en conventionnel qu’en bio, et nécessitant peu d’azote, le chanvre a un impact environnemental très faible, assure Valentine Donck, cheffe de projet produits et matériaux biobasés. Il donne une fibre aussi solide, voire plus solide que le lin. Il y a eu beaucoup d’avancées en très peu de temps, du point de vue de la mécanisation, des connaissances et des superficies de production de fibres longues. » Fin août 2021, l’asbl organisait une formation intitulée « Le chanvre textile sous toutes ses coutures: du champ au tissu », à destination de l’ensemble des acteurs de la filière (agriculteurs, designers, centres de recherches agronomiques ou textiles…). L’occasion, pour les participants, de faire du réseautage et de consolider la filière.

En Belgique, des vêtements de pluie sont déjà fabriqués par Marypup à partir de vieux parapluies.
En Belgique, des vêtements de pluie sont déjà fabriqués par Marypup à partir de vieux parapluies.© DR

Les fibres naturelles versus les autres

Vanessa Colignon, fondatrice de Design for resilience et spécialiste de la maille, est intarissable sur le sujet des fibres textiles naturelles. Quand elle nous reçoit dans la chambre transformée en atelier de recherches textiles de son logement à Braine-l’ Alleud, elle embraie avec passion.

« Le déclic s’est produit en 2009 pendant un cours de technologie des matières donné à La Cambre par Anne Masson et où il était question de greenwashing. J’ai alors pris conscience que le lin est hyperécologique. C’est en effectuant des recherches sur le lin que j’ai découvert le chanvre. Les fibres imputrescibles du lin ou du chanvre sont obtenues par l’action des micro-organismes du sol, de la vie bactérienne, des champignons, des insectes, de la rosée du matin, de la chaleur et d’un peu de pluie, qui feront que la plante pourra se décomposer pour ne laisser que la fibre. On est face à un procédé complètement naturel, contrairement à la fibre artificielle, qui est une fibre naturelle polymérisée à l’aide de solvants neurotoxiques, comme la viscose de bambou, par exemple, ou du synthétique issu de la pétrochimie. Comme le polyester, le nylon, le polyamide, l’acrylique… La viscose de bambou est donc une fibre artificielle et non la fibre naturelle que présentent certains magasins ou entrepreneurs faisant du greenwashing, voire de la désinformation. Pour que les fibres ancestrales que sont le chanvre et le lin deviennent des « fibres du futur », il faudrait refinancer la recherche sur ces fibres qui nécessitent peu d’énergie pour être transformées. »

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