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En mai, tonte à l’arrêt: « Il faut apprendre à connaître les insectes qui nous entourent »

Christophe Leroy
Christophe Leroy Journaliste au Vif

Incontestable, le déclin des populations d’insectes est avant tout dû à l’activité humaine. Pour l’entomologiste Eric Haubruge, professeur à la faculté Gembloux Agro-Bio Tech (ULiège), le phénomène est réversible. A condition d’agir sur tous les fronts.

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A quand remonte le déclin des populations d’insectes?

Il est clair que nous connaissons, à l’heure actuelle, une phase de déclin. Depuis que la relation plantes-insectes s’est mise en place, il y a 450 millions d’années, la Terre en a toutefois connu une multitude, à des degrés divers. C’est la raison pour laquelle je n’aime pas parler d’extinction. Il est certain que des espèces disparaissent: sur les 64 papillons indigènes de la Belgique, une étude avait confirmé il y a quelques années la dispa-rition de 19 d’entre elles. Tout déséquilibre, qu’il soit climatique ou anthropique, entraîne l’augmentation ou la diminution de certaines espèces. La prise de conscience du problème actuel remonte aux années 1950-1960. La parution, en 1962, du livre de Rachel Carson sur le pesticide DDT, Silent Spring, constitue un moment charnière à cet égard. A partir de là, des cartes et des listes d’espèces menacées sont apparues, sans pour autant parvenir à quantifier les choses. Aujourd’hui, avec 70 ans de recul, tous les rapports montrent clairement des diminutions.

Il y a un manque de connaissance sur le rôle et l’importance des insectes. Or, plus on connaît son environnement, plus on le protège.

Eric Haubruge

Est-il possible de les chiffrer?

La grande difficulté dans le monde des insectes, c’est qu’il existe environ un million d’espèces connues et à peu près cinq millions que l’on ne connaît pas bien. Il y a donc un biais important dans l’étude de la disparition des insectes: nous n’avons qu’une vue parcellaire. On sait depuis longtemps que les abeilles domestiques sont en déclin. Par contre, on a pris beaucoup de temps à comprendre que les populations de bourdons et les abeilles solitaires diminuaient également. On entend souvent que 45% des insectes sont en déclin, mais ce n’est vrai que par rapport aux groupes que nous étudions. En outre, on sait par exemple que certaines espèces de bourdons remontent du sud vers le nord en raison du changement climatique. Constater deux espèces supplémentaires de bourdons à l’échelle d’un pays ne signifie pas que la situation s’améliore. Il faut étudier la question sur l’ensemble de la Terre. Je plaide donc pour un système où l’on travaillerait davantage en réseaux, pour évaluer la disparition de manière globale, sur tous les continents.

Quelles sont les causes de ce déclin?

Celui-ci est clairement lié à l’activité humaine. L’agriculture intensive et les pesticides représentent très certainement 35% des causes du déclin des insectes, ce qui est énorme. L’urbanisation est également problématique, puisque les insectes subissent fortement toute transformation d’un écosystème. On peut aussi citer la déforestation, même si son impact, très important, reste difficile à évaluer, faute d’études sur le sujet en Afrique ou en Amérique du Sud. Enfin, le changement climatique a une influence majeure puisqu’à la différence des mammifères, les insectes ne peuvent réguler leur température. Tandis que les précipitations favorisent les espèces qui se nourrissent de plantes, les périodes de sécheresse pénalisent les insectes qui ne volent pas.

Outre le service de pollinisation, notamment assuré par les abeilles, pourquoi les insectes sont-ils si importants, tant pour les écosystèmes que pour l’être humain?

Des insectes utiles, il y en a beaucoup. Certains sont importants pour la stabilisation, la fertilisation et l’enrichissement du sol. En vous baladant dans une forêt, vous verrez souvent des petits insectes blancs qui sautent et ressemblent à des puces. Ce sont des collemboles, qui participent à la formation de l’humus. Autre exemple assez connu: les bousiers, des coléoptères qui se servent des excréments pour les incorporer sous forme de boule à côté des larves qu’ils pondent dans le sol. Il y a plusieurs dizaines d’années, les Anglais en ont importé en Australie pour y contrer des invasions de mouches liées aux élevages d’ovins, tout en permettant de fertiliser davantage les terrains. Parmi les pollinisateurs, les syrphes, que l’on voit souvent dans nos jardins, sont peut-être encore plus utiles que les abeilles: l’adulte va polliniser les plantes, pondre ses oeufs à proximité de colonies de pucerons et les larves vont manger ces derniers. Ils jouent donc le double rôle de pollinisateur et de prédateur. Enfin, l’insecte est aussi déterminant pour l’équilibre de la pyramide alimentaire des écosystèmes. Sans lui, toute une série d’autres animaux mourraient.

Eric Haubruge
Eric Haubruge© DR

Est-il possible d’enrayer cette diminution?

Je reste optimiste. J’ai la chance de pouvoir me rendre régulièrement en Ligurie, en Italie, à la frontière française. Il y a 60 ans, c’était un environnement semi-industriel, contrôlé par l’homme, où l’on produisait de l’huile d’olive. La compétition avec les oliveraies d’Espagne et du Maghreb ont mis à mal l’activité économique de cette région. En me promenant sur ces anciens sites avec des locaux, j’y ai redécouvert l’entomologie. J’y ai aperçu des papillons que je n’avais plus vus chez moi depuis ma jeunesse. Or, la biodiversité était auparavant très faible à cet endroit. La nature a donc repris ses droits. L’ homme a cette capacité de forger nos paysages, mais il peut aussi le faire de manière positive. Les bocages que l’on voit en Normandie en sont un bel exemple. De même, en Wallonie, si l’initiative visant à planter 4.000 kilomètres de haies aboutit, je peux vous assurer que vous verrez d’ici dix à quinze ans plus de papillons, d’insectes et de plantes. L’humain doit prendre conscience qu’il est acteur de son paysage.

Si la plantation de 4.000 kilomètres de haies aboutit en Wallonie, je vous assure que vous verrez plus de papillons, d’insectes et de plantes d’ici dix à quinze ans. »

Eric Haubruge

L’interdiction progressive de l’usage de certains pesticides peut-elle suffire à inverser la tendance?

Il faut être prudent sur le fait de cibler certaines causes, car cela simplifie le problème et ne le résout pas. En 2004-2005, j’ai été en charge d’une vaste étude visant à identifier les causes de la surmortalité des abeilles en Wallonie. Dans ce cadre-là, j’ai constaté une forme de stigmatisation des causes: auto- matiquement, le déclin était attribué aux seuls pesticides. Effectivement, ils sont en partie responsables. Mais quand un problème environnemental se pose, il est souvent multifactoriel. En l’occurrence, c’est la conjonction de pesticides, de parasites et de pathogènes qui entraîne une diminution importante des populations. Il faut donc travailler sur plusieurs fronts à la fois. Interdire certains pesticides ne suffira certainement pas à résoudre le problème. D’ailleurs, ça ne le règle pas à l’heure actuelle: bien entendu, les pesticides existent encore, mais les virus et les parasites aussi.

Pour que les actions soient lisibles et concrètes, ne faut-il tout de même pas se concentrer sur quelques causes, comme les pesticides?

Il n’existe aucune ruche en Wallonie où l’on ne retrouve pas ce parasite qu’est le varroa. Il est l’une des causes importantes de la disparition des abeilles. Quand le législateur décide de bannir un pesticide que l’on pointe du doigt, il a fait son travail. Il n’empêche que les abeilles meurent toujours. J’ai conscience que cela rend le problème plus complexe, mais il est toujours possible d’agir sur plusieurs paramètres en même temps. Du reste, ces mesures ne sont pas nécessairement coûteuses. C’est en travaillant de concert et sur toutes les causes que la lutte contre ce déclin sera efficace. L’histoire des problèmes environnementaux démontre que l’on a souvent tendance à s’engouffrer dans une solution lisible, sans qu’elle constitue pour autant la solution.

La marge de progression reste donc importante…

Tout à fait. Et c’est pourquoi il est capital d’apprendre à connaître ce qui nous entoure, y compris les insectes. Les campagnes de sensibilisation portent souvent sur des espèces très visibles, dotées d’un nom en français et facilement identifiables. A l’inverse, il y a un manque de connaissance sur le rôle et l’importance des insectes. Or, plus on connaît son environnement, plus on le respecte et plus on le protège.

Comptez les fleurs!

Plus de 1.200 jardins ont pris part à l’opération En mai, tonte à l’arrêt, menée par Le Vif en partenariat avec la faculté Gembloux Agro-Bio Tech de l’ULiège et l’asbl Adalia. Les inscriptions de dernière minute, jusqu’à ce 31 mai, sont toujours possibles via le site www.enmaitontealarret.be. Les participant(e)s peuvent aussi y consulter le détail des différentes étapes de l’opération, une FAQ ainsi que des fiches pratiques. Dès à présent, le comptage final des fleurs observées (sur un mètre carré de non-tonte) peut être communiqué via la plateforme BioPlanner. Le 10 juin, les personnes inscrites recevront ainsi leur indice nectar personnalisé.

Le jardin de la semaine

Le jardin de Claire, à Sombreffe: un bel espace de non-tonte circulaire, sous un noyer. Visiblement peu de fleurs à ce stade, mais il agrémente bien le décor.

En mai, tonte à l'arrêt:
© DR

Vous souhaitez que votre jardin apparaisse ici? N’hésitez pas à le prendre en photo et à l’insérer via votre profil BioPlanner, ou à nous l’envoyer par e-mail à l’adresse notonte@levif.be

Le jardin du vif

  • Emplacement: Evere, Bruxelles
  • Superficie de non-tonte: 85 m2
  • Exposition: ensoleillée
  • Bilan après trois semaines: outre les pâquerettes, pissenlits et boutons d’or, on y observe désormais beaucoup de fleurs de géranium mollet, quelques stellaires intermédiaires et des feuilles de fraisiers des bois. La densité des espèces observées varie selon l’endroit de non-tonte.

En mai, tonte à l'arrêt:

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