Anne Lagerwall

Climat: le droit, un levier pour rappeler aux Etats leurs obligations (chronique)

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

Le 29 mars, le monde se pressait à Strasbourg pour assister aux audiences publiques tenues par la grande chambre de la Cour européenne des droits de l’homme dans deux affaires inédites.

Dans la première, une association suisse, composée de 2 038 femmes dont l’âge moyen s’élève à 73 ans, et quatre femmes âgées de plus de 80 ans entendent faire condamner la Suisse en raison du manque d’ambition de sa lutte contre le réchauffement climatique. Pour ces femmes, la politique de la Suisse ne suffit pas à empêcher les vagues de chaleur qui mettent sérieusement en péril leur vie et leur santé en provoquant ou en aggravant leurs problèmes cardiovasculaires ainsi que leurs troubles respiratoires. A leurs yeux, la Suisse manquerait ainsi à garantir leur droit à la vie et au respect de leur vie privée et familiale, des vies qui seraient tout particulièrement affectées en raison de leur âge avancé.

Dans la deuxième affaire, un habitant et ancien maire de la commune française de Grande-Synthe (20 000 habitants, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest de La Panne) entend faire condamner son pays pour des raisons similaires. Il estime que l’insuffisance de l’action du gouvernement porte atteinte à ses droits dans la mesure où sa commune et son domicile sont, comme c’est le cas d’une bonne partie du littoral de la Manche, situés en dessous du niveau des marées hautes et risquent prochainement d’être affectés encore plus sérieusement par la montée des eaux.

Le même jour, une résolution était adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies pour que la Cour internationale de justice – l’organe judiciaire principal de l’ONU siégeant à La Haye – soit consultée au sujet de la portée exacte des obligations internationales incombant aux Etats face au changement climatique. L’initiative était portée depuis des mois par le Vanuatu, cet archipel de plus de quatre-vingts îles situé au beau milieu de l’océan Pacifique et habité par moins d’un demi-million d’habitants. Il sera parvenu à rallier plus d’une centaine d’Etats à sa cause et à faire finalement accepter cette demande.

Le droit n’est sans doute pas le déterminant principal des politiques climatiques décidées par les Etats. Mais il peut constituer un levier pour à tout le moins leur rappeler leurs obligations en la matière, surtout pour les plus vulnérables qui n’ont pas toujours d’autres moyens politiques, économiques ou sociaux pour le faire. C’est au fond ce qu’ont entrepris ces aînées suisses, cet habitant français ou ces Etats insulaires qui subissent déjà les effets du réchauffement climatique loin des centres de décision, à Paris ou à New York. Ces affaires climatiques ont déjà amené des juges à reconnaître que les insuffisances d’une action gouvernementale pouvaient être considérées comme des violations des droits humains, en Belgique et aux Pays-Bas. Cela pourrait être le cas encore dans d’autres pays dont les juges sont actuellement saisis d’affaires similaires. Il appartient maintenant à la Cour européenne des droits de l’homme et à la Cour internationale de justice de déterminer ce que le droit impose précisément aux Etats. On attend ces décisions avec impatience.

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire