© getty

Bien d’autres virus mortels risquent de suivre le coronavirus

Muriel Lefevre

Avec son million de morts en 8 mois, le coronavirus nous rappelle que c’est toujours la nature qui commande. En la détruisant à un rythme accéléré, nous avons ouvert un boulevard aux « zoonoses », ces maladies ou infections qui se transmettent de l’animal à l’humain.

Malgré les progrès technologiques et scientifiques spectaculaires, l’homme ne peut que s’incliner devant une catastrophe comme la pandémie lié au coronavirus. S’il est certain que le virus vient du monde animal, c’est l’activité humaine qui a favorisé son passage à l’Homme. Et si rien ne change, bien d’autres vont suivre, alertent des spécialistes.

La problématique n’est pas neuve, mais surprend toujours autant

Bien qu’il soit généralement très difficile pour des virus et des bactéries de passer des animaux à l’homme, il existe de nombreux exemples à travers l’histoire de ces passages dit De Morgen. « Par exemple la rage ou la rougeole, qui sont apparues chez le bétail il y a environ mille ans. La peste du 14e siècle est due aux rats. Plus récemment, nous avons eu la grippe aviaire, l’Ebola, le MERS, le SRAS, le zika ou encore le virus du Nil occidental. Sans oublier, le VIH, qui a atteint les humains par l’intermédiaire des chimpanzés et qui a déjà tué 33 millions de personnes dans le monde. »

La problématique n’est donc pas neuve. Pire, cela fait des années que les virologues spécialisés dans les zoonoses, soit les maladies qui se transmettent des vertébrés aux humains, ont prédit exactement ce qu’il se passe en ce moment. Leurs cris alarmistes n’avaient jusqu’à présent trouvé que peu d’écho. Beaucoup les traitants d’oiseau de mauvais augure. Sauf, qu’à leur grand regret, la nature leur a donné raison.

Après tout, la nature regorge de germes. Selon une estimation du Global Virome Project, il y a 1,67 million de virus non découverts qui circulent chez les mammifères et les oiseaux, dont la moitié peut être dangereuse pour l’homme. Les zoonoses progressent, elles aussi, de plus en plus rapidement. Si une trentaine de nouvelles zoonoses ont été recensées dans les années 50, on en comptait une centaine dans les années 80.

.
.© Getty

Cette hausse n’est pas seulement due au fait que l’on sache mieux cartographier les virus. Selon le programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), 60% des maladies infectieuses humaines ont cette origine. Chiffre qui grimpe à 75% pour les maladies « émergentes »: ebola, VIH, grippes aviaires et autres SRAS ou zika… D’ailleurs, au-delà de la pandémie actuelle, l’IPBES estime que les zoonoses font quelque 700.000 morts par an.

Trop nombreux et trop mobiles

Le fait que nous soyons près de 8 milliards n’aide pas. Nous sommes nombreux, nous sommes partout et nous nous déplaçons vite. Même un fermier dans un village reculé peut se retrouver en 24 h dans une métropole. « 60% des mammifères sont aujourd’hui des bovins et 36% sont des êtres humains », déclare Myriam Dumortier, affiliée à l’Institut de recherche sur la nature et la forêt et chargée de cours sur la politique de la forêt et de la nature à l’université de Gand. « Seuls 4 % sont des mammifères sauvages. Mais la probabilité qu’ils entrent en contact avec des humains est devenue beaucoup plus grande » dit-elle dans De Morgen.

La faute aux changements environnementaux

« L’émergence de maladies zoonotiques est souvent associée aux changements environnementaux » qui sont « habituellement le résultat d’activités humaines, de la modification de l’usage des sols au changement climatique », notait le PNUE dans un rapport de 2016.

Amy Vittor, professeur adjoint en maladies infectieuses à l’université de Floride (Institut des pathogènes émergents), résume la situation en une seule image dans De Morgen. « La nature est comme une ruche. Il est plein de germes qui pourraient nous nuire, surtout dans les zones tropicales. En général, ils restent dans leur ruche. Mais quand les humains passent et les poussent à fond, toutes sortes de choses en sortent ».

Bien d'autres virus mortels risquent de suivre le coronavirus
© Thinkstock

Ce n’est donc pas parce qu’on élimine la nature sauvage qu’il y a moins de germes dangereux. C’est même l’inverse qui est vrai. C’est la destruction de la nature qui semble être à l’origine d’un nombre croissant de maladies qui se transmettent de l’animal à l’homme, selon l’ONU.

« Vu la croissance de la population humaine et son utilisation toujours plus intense des ressources planétaires, la destruction d’écosystèmes de plus en plus nombreux multiplie les contacts » entre espèces, abonde Gwenaël Vourc’h, directrice-adjointe de l’unité d’épidémiologie vétérinaire de l’INRAE, un institut de recherche public français.

« Nous modifions les territoires (…), ce qui augmente la fréquence et l’intensité des contacts entre l’humain et la faune sauvage, créant les conditions idéales pour des transferts viraux », résume Christine Johnson, de l’école vétérinaire de l’université de Californie, qui a dirigé l’étude, faisant écho aux autres expertes.

Autre point sensible : les marchés des animaux sauvages

L’un des facteurs les plus politiquement sensibles est les marchés d’animaux sauvages. Il s’agit parfois de tradition, mais souvent de pure survie. La viande de brousse est alors la seule source de protéines. Les interdire purement et simplement n’est donc pas évident. Mais, par exemple, la Chine a tout de même fini par s’y résoudre, bien que temporairement. Par ailleurs, si tous les experts s’accordent à dire que le mélange de matières fécales, de sang et d’urine sur ces marchés donne aux virus une excellente occasion de « sauter » d’une espèce à l’autre, les fermer ne résoudrait pas tous les problèmes, car des circuits de contrebande vont se créer.

Un autre aspect est le commerce des animaux sauvages, qu’ils soient sous forme de viande de brousse ou d’animaux de compagnies. Rien qu’en Chine, cela représente 20 milliards de dollars par an. Il n’y a pas assez de contrôles et croire que l’on va pouvoir interdire ce commerce n’est pas très réaliste. Tout ce que cela risque de changer, c’est que cela va désormais se passer encore plus sous les radars.

En effet, comme les gens s’enfoncent de plus en plus profondément dans les zones où ils n’allaient pas avant, ils entrent en contact avec des virus qu’ils ramènent ensuite avec eux dans les villes où il se propage rapidement. Le territoire des animaux est lui aussi plus réduit, ce qui fait que les animaux aussi se rencontrent plus ce qui augmente les chances de voir apparaître de nouvelles variantes du virus. Ils doivent aussi trouver de nouveau territoire ce qui les pousse immanquablement à se rapprocher des humains. Ainsi, si l’on se concentre sur les espèces sauvages menacées, l’étude montre que celles qui partagent le plus de virus avec les humains sont précisément « celles dont les populations sont en baisse en raison de l’exploitation et de la perte d’habitat ».

Bien d'autres virus mortels risquent de suivre le coronavirus
© Getty

Avec la déforestation pour faire place à l’agriculture, l’élevage intensif dont les animaux peuvent aussi servir de « pont » avec l’humain (notamment en développant des résistances aux antibiotiques couramment utilisés dans l’agriculture industrielle). L’urbanisation et la fragmentation des milieux modifient l’équilibre entre les espèces. Sans compter le réchauffement climatique qui peut conduire certains animaux vecteurs de maladie à prospérer là où ils ne vivaient pas avant.

Tout cela fait qu’une nouvelle maladie infectieuse sur trois, dont la plupart proviennent d’animaux, peut être associée à la destruction des forêts tropicales pour l’exploitation minière, l’agriculture et l’urbanisation. Les recherches de l’EcoHealth Alliance, une ONG américaine qui suit les nouveaux virus chez les animaux sauvages abonde aussi dans ce sens. D’autres études montrent que la déforestation augmente considérablement le risque d’épidémies locales d’Ebola.

Il est donc impératif de bloquer la destruction à grande échelle des écosystèmes. Parce que les écosystèmes malades rendent les animaux malades et finalement les gens malades. En attendant, selon certains rapports, la déforestation incontrôlée vient d’augmenter au cours des derniers mois. Cela ne fait que faciliter l’arrivée du prochain virus mortel dans notre espèce.

Une modification des espaces naturels sans précédent

Le processus qui conduit un microbe, tel qu’un virus, d’une population de vertébrés – chauve-souris par exemple – dans laquelle il existe naturellement, jusqu’aux humains est complexe, mais causé par l’Homme (…), les actions humaines créant l’occasion pour les microbes de s’approcher des populations humaines », détaille Anne Larigauderie, secrétaire exécutive de l’IPBES, le panel des experts de l’ONU sur la biodiversité. La rapidité de modification des espaces naturels ces 50 dernières années est sans précédent dans l’histoire humaine. Et le facteur direct le plus important de ce changement est le changement d’affectation des terres. Une étude de chercheurs américains, réalisée avant l’apparition de l’épidémie actuelle, identifie rongeurs, primates et chauve-souris comme hôtes de la majorité des virus transmis à l’Homme (75,8%). Mais les animaux domestiques sont également porteurs de 50% des zoonoses identifiées.

La chauve-souris, un hôte de rêve

Elles ne représentent pas moins d’un cinquième de toutes les espèces de mammifères connus et leur système immunitaire est conçu de telle sorte qu’ils peuvent être porteurs de nombreux virus sans tomber eux-mêmes malades. Comme les rongeurs, elles se reproduisent très rapidement, ce qui donne une chance au virus de muter, et s’adaptent très bien aux écosystèmes perturbés et à la proximité de l’homme. Une recherche publiée dans Nature révèle ainsi que les rongeurs et les chauves-souris sont les porteurs de la plupart des germes et sont 18 à 70 % plus nombreux dans la nature endommagée que dans la nature intacte.

La tendance ne devrait pas s’infléchir, prévient Anne Larigauderie, car les modifications d’usage des terres, « combinées aux augmentations en matière d’échanges commerciaux et de voyages », devraient faire augmenter la fréquence des pandémies à l’avenir. La réponse devra donc être systémique, souligne Gwenaël Vourc’h: « Au-delà de la seule réponse indispensable à chaque épidémie, il faut réfléchir à notre modèle » et notamment « repenser notre relation avec les écosystèmes naturels et les services qu’ils rendent ». Anne Larigauderie ne dit pas autre chose: elle en appelle à un « changement transformant pour trouver une solution à cette tragédie mondiale », en oeuvrant à un « ancrage environnemental » des différents secteurs économiques, de la finance à la pêche en passant par les transports ou l’énergie. « Les stratégies efficaces existent déjà pour contrôler la plupart des zoonoses négligées, la principale contrainte semblant le manque d’investissements, » notait déjà le rapport du PNUE de 2016, soulignant que « l’intégrité des écosystèmes sous-tend la santé et le développement humain ».

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire