Small children doing sport with instructor.

Enseignement: la mixité dans les cours de gym permet-elle de lutter contre le sexisme?

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Le débat remonte à près de dix ans et n’a jamais été réellement tranché. Avancée pour l’égalité selon les uns, fausse bonne idée pour les autres. L’avis d’Aurélie Aromatario, chercheuse à l’ULB, spécialiste des questions liées au genre.

En Région bruxelloise, plusieurs écoles ont opté pour des cours d’éducation physique mixtes. Idem dans l’enseignement provincial en Brabant wallon à la rentrée 2023-2024. Vous qui analysez le rôle du corps comme outil et comme enjeu du genre, que pensez-vous d’une telle mesure?

Dans un premier temps, il faut se poser la question des formes de mixité. A l’école, on est dans un cadre spécifique: les jeunes n’ont pas le choix de participer ou non au cours. Cet aspect peut revêtir un côté autoritaire. En club, la situation est différente puisqu’on fait le choix d’y aller. On peut dès lors se poser la question des pratiques – comment on entraîne les jeunes, comment on forme des équipes – de la mixité dans l’organisation du club, qui détient le pouvoir, et, enfin, de la mixité des coachs. Si on constate que toutes les personnes censées détenir un savoir sportif sont systématiquement des hommes, ça peut donner l’impression qu’il existe une suprématie masculine dans ce domaine. On peut aussi rencontrer ce problème d’inégalité dans le milieu scolaire, bien que le métier d’enseignant me paraisse mieux réparti en matière des genres. Les études menées sur la mixité dans les groupes sportifs font état d’autant d’effets positifs que négatifs. Dans les milieux sportifs mixtes, les hommes peuvent développer de l’estime pour leurs collègues féminines, sortir de certains stéréotypes comme celui qui désigne les hommes comme étant meilleurs en sport. A l’inverse, on constate une respécialisation des tâches qui prendra une dimension essentialisante. On parlera de complémentarité mais en reliant certaines caractéristiques aux hommes ou aux femmes. Par exemple, on dira des femmes qu’elles sont moins fortes ou moins endurantes mais plus stratégiques, qu’elles ont davantage l’esprit d’équipe. C’est une vision très réductrice.

Aurélie Aromatario «Les filles plus compétitrices apprécient les équipes mixtes, notamment dans le contexte scolaire, car le niveau est tiré vers le haut.

Autre observation: les filles plus compétitrices apprécient fortement les équipes mixtes, notamment dans le contexte scolaire, car la compétitivité et le niveau sont tirés vers le haut par un contexte de mixité, notamment avec la présence de jeunes hommes témoignant d’une meilleure socialisation à la pratique sportive. A contrario, certaines jeunes filles se sentiront complètement inhibées et s’autocensureront parce qu’elles ne se sentiront pas à la hauteur, et donc en minorité. Enfin, un des effets possibles est que certains garçons refusent de s’entraîner avec leurs coéquipières parce qu’ils les considèrent moins douées qu’eux en sport et qu’elles tirent le groupe vers le bas. Ou ils refuseront de coopérer, par exemple lorsqu’il sera question de leur passer le ballon. On peut donc voir apparaître une nouvelle hiérarchisation et une autre forme de séparation dans le groupe. Certains enseignants, de manière consciente ou non, entérinent aussi cela en confiant aux filles et aux garçons d’un même groupe des tâches séparées ou en attribuant un double point lorsqu’il est marqué par une fille.

Aurélie Aromatario
Aurélie Aromatario © National

Les garçons sont souvent poussés à pratiquer un sport et à bouger dès leur plus jeune âge tandis qu’on attend des filles qu’elles se limitent à des activités calmes ou artistiques…

Effectivement. On peut épingler les types d’activités mais aussi les valeurs qu’on attribue à ces pratiques. La combativité ou le fait de prendre de la place, du volume, est par exemple très valorisé chez les garçons dès l’enfance. Tandis qu’on aura peur pour les filles si elles osent prendre des risques.

Certaines filles, lorsqu’elles évoluent dans un milieu très masculin, développeraient une forme d’attitude masculine pour être mieux acceptées ou pour compenser un complexe d’infériorité.

Je n’ai pas connaissance de résultats d’études portant sur ces observations à l’école, mais ce sont effectivement des phénomènes observés dans le sport de haut niveau, chez les femmes qui pratiquent des sports étiquetés masculins, des disciplines qui sont des bastions de la masculinité hégémonique. On peut y croiser des filles qui aiment montrer leur supériorité, très «rentre dedans» – même si le sport est globalement une affaire de hiérarchie, de capacités – mais qui, hors de leur discipline sportive, surcompenseront puisqu’on les juge trop assertives ou trop musclées dans leur milieu social. On voit cela, par exemple, chez de nombreuses boxeuses de haut niveau qui se montrent très féminines dans leur apparence ou leurs attitudes hors entraînement pour «rééquilibrer». C’est une question d’environnement dans lequel on évolue. Des études ont montré que les filles qui pratiquent des sports «hard» ont grandi dans des milieux où les hommes sont très présents et qu’elles ont acquis une approche binaire des genres. Dans le milieu du football féminin, on peut aussi observer d’autres trajectoires: les valeurs de compétitivité ne sont pas forcément associées à la masculinité et sont vécues comme une prolongation identitaire par certaines joueuses. Elles ne développeront pas cette stratégie de surcompensation et resteront très entreprenantes et très affirmées hors du sport.

La mixité dans les écoles peut-elle aussi inciter les garçons à s’intéresser à des disciplines plus féminines?

Ce n’est pas un cas de figure étudié. Il est d’ailleurs intéressant de constater qu’on ne mentionne jamais de cours de gymnastique rythmique ou de danse. Peut-être parce qu’on ne considère pas ces disciplines comme aussi «challengeantes» que les traditionnelles.

Les opposants à la mesure avancent l’argument des complexes et du manque de confiance. Pour les filles, et peut-être aussi pour les autres genres, s’entraîner tous ensemble peut être source de malaise. Comment dépasser cet obstacle?

L’adolescence implique de vivre l’expérience quasiment permanente du regard porté sur son corps et du jugement. Cette expérience peut produire un inconfort pour les jeunes femmes, surtout si on ajoute à cela une dynamique de groupe qui peut pousser les garçons à prendre toute la place et à émettre des critiques ou des commentaires sur le physique. La réponse à cela est de créer un climat le plus serein possible pour éviter de voir apparaître un mécanisme de rejet chez les jeunes filles ou les jeunes garçons qui en seraient victimes.

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