Les bancs publics, des refuges qui permettent des échappées belles. © getty images

Accordez-vous des bifurcations pour embellir votre quotidien

Gérald Papy
Gérald Papy Rédacteur en chef adjoint

Le sociologue Rémy Oudghiri appelle à accueillir ou provoquer l’imprévu, qui offre des occasions de nous émerveiller.

«Votre rendez-vous est annulé»: pour beaucoup, cette annonce est une contrariété ; pour Rémy Oudghiri, c’est un sésame. Directeur général de Sociovision, une entité de l’institut français d’opinion publique Ifop, le sociologue l’explique dans L’Echappée belle (1): «En nous obligeant à revoir nos plans, elles [les situations imprévues] modifient notre regard sur le monde et sont susceptibles de nous offrir des occasions de nous émerveiller», par exemple devant le foisonnement de la nature dans un parc public ou devant la diversité de la vie dans un hall d’aéroport. Encore faut-il pour cela «créer les conditions d’une disponibilité que nous n’avons pas dans notre vie quotidienne»: «L’imprévu, quand il ne vient pas à nous, il faut aller vers lui.»

Nous sommes tellement habitués à réserver un cadre à chaque activité que cette poésie nous déstabilise.

Brèche, passage, poterne, parenthèse, bifurcation, intervalle, échappée…: à ces termes qui auraient pu désigner une occasion de s’émerveiller grâce à un contre-temps, Rémy Oudghiri préfère celui de microfugue. Fort de son expérience, il décrit les situations qui peuvent les provoquer (annulation d’un rendez-vous, retard d’un moyen de transport, grève…) et les lieux qui peuvent les voir s’épanouir. Ils sont communs quand il s’agit d’un jardin public, une église, un cimetière, un bistrot de quartier, un restaurant hors des heures de forte affluence. Ils sont plus étonnants quand l’auteur évoque une salle de réunion désertée le soir ou une rampe d’escalier dans «les immeubles avec ascenseur car ils tiennent les importuns loin des escaliers»…

(1) L’Echappée belle. L’art de s’évader un peu chaque jour, par Rémy Oudghiri, PUF, 142 p.
(1) L’Echappée belle. L’art de s’évader un peu chaque jour, par Rémy Oudghiri, PUF, 142 p. © National

Au-delà de l’aspect pratique, la question de la disponibilité est essentielle pour s’offrir ces moments qui permettent d’«oublier la personne [que l’on est], disparaître dans le paysage et accueillir le monde avec toutes ses ombres et toutes ses lumières». «Sans doute ressentons-nous plus ou moins confusément que ces instants ne “rentrent” pas dans la façon dont nous avons organisé notre existence, avance Rémy Oudghiri. Nous sommes tellement habitués à réserver un cadre à chaque activité que cette poésie qui surgit à l’improviste – ou, plutôt, cette invitation à jouir de la poésie qui se manifeste sous nos yeux – nous déstabilise. Nous préférons l’ignorer et passer peut-être à côté de l’essentiel.»

Les microfugues de Rémy Oudghiri sont des ouvertures au monde simples, accessibles et donc bienvenues. On peut juste se demander si elles ne risquent pas de perpétuer le «métro-boulot-dodo» auquel elles ne tentent d’échapper que le temps d’une parenthèse.

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