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Les secrets des « petits dormeurs »: pourquoi certains n’ont besoin que de quelques heures de sommeil

Ludivine Ponciau
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Certains baillent devant la machine à café. Le petit dormeur, lui, se réveille frais comme un gardon après quatre heures de sommeil. Mais comment fait-il?  

En réalité, il ne fait rien de particulier. Il est né comme ça. Quatre à six heures maximum, c’est tout ce qu’il faut au petit dormeur pour recharger ses batteries. Contrairement à l’insomniaque, il ne pâtit d’aucun trouble de l’endormissement et ne se réveille pas avec les paupières lourdes comme des bouteilles de butane. Difficile d’estimer quel pourcentage de la population cela concerne, d’autant que peu d’études ont été menées, mais ils seraient moins de 5%.

Les adultes âgés de 18 à 60 ans dorment généralement entre sept et neuf heures par nuit. Selon une enquête réalisée en France par l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV), nous avons perdu près de deux heures par nuit en deux générations. Il y a cinquante ans, avant l’avènement des écrans et des loisirs, nous dormions, en moyenne, neuf heures. Aujourd’hui, nous n’en dormons plus que sept.

Les personnes qui connaissent un déficit de sommeil compensent généralement le week-end en dormant une heure de plus. Les couples avec enfants, ainsi que les personnes qui font de longs trajets pour se rendre au travail, dorment la plupart du temps une demi-heure de moins que la moyenne. Les femmes semblent, par ailleurs, dormir davantage que les hommes.

Le petit dormeur ne doit pas être confondu avec l’hyperactif qui souffre des répercussions de ce trouble.

Les exceptionnelles facultés de récupération du petit dormeur, ou dormeur d’élite comme on le surnomme, sont longtemps restées inexpliquées. Ce n’est qu’en 2009 que Ying-Hui Fu, professeure de neurologie à l’université de San Francisco, et son équipe ont découvert que les personnes ayant hérité d’une mutation particulière dans un gène appelé DEC2 ne dormaient que 6 h 25 par nuit environ.

«On pense, en effet, que le fait d’être un petit dormeur est clairement d’origine génétique. La découverte du premier variant à l’origine de cette particularité est assez récente. D’autres variants ont également été identifiés depuis», développe la Pr Marie Bruyneel, cheffe de service de pneumologie et du labo du sommeil au CHU Saint-Pierre, à Bruxelles.

«Tous ces variants génétiques concernent soit l’expression de l’orexine, un neuropeptide (NDLR: un type d’hormone) éveillant, soit sont impliqués dans l’équilibre entre le sommeil paradoxal et l’état d’éveil. Les courts dormeurs ont besoin de la même quantité de sommeil profond (N3) que les autres mais de moins de sommeil paradoxal (REM) et de sommeil léger (N1 et N2). C’est ce qui explique qu’ils n’ont besoin de dormir que de quatre à six heures par nuit.»

Le sommeil profond est nécessaire à la récupération physique et le paradoxal à l’équilibre émotionnel. Le sommeil léger s’observe à l’endormissement et complète les cycles de sommeil.

Le temps de repos plus court reste d’ailleurs invariable chez ces personnes, que ce soit en période d’activité plus intense ou plus calme. Ils ne font jamais la grasse matinée, ni le week-end ni en vacances, et ne souffrent pas du jet-lag. Pour autant, le dormeur d’élite ne doit pas être confondu avec l’hyperactif qui souffre des répercussions de ce trouble dans son quotidien.

«On a constaté par ailleurs que les petits dormeurs se montrent plus résistants au stress, raison pour laquelle on les retrouve souvent à des postes à responsabilités, en politique notamment. Ils sont aussi capables de cumuler plusieurs activités professionnelles. Je pense que certains de ces petits dormeurs ont d’ailleurs atteint une position d’élite parce qu’ils disposent justement de cette propension naturelle à abattre beaucoup de travail et à consacrer peu de temps à la récupération, ajoute Marie Bruyneel. On les décrit aussi comme plus optimistes, sans doute parce que les variations génétiques qui les caractérisent produisent également un effet sur le plan émotionnel.»

En avril 2022, une autre étude dirigée par l’équipe de l’université de San Francisco et publiée dans la revue scientifique Cell, a mis en évidence le fait que les mutations familiales naturelles du sommeil court pourraient ralentir la progression de maladies neurodégénératives, telle que l’Alzheimer.

Thomas Edison, Napoléon, Benjamin Franklin, Angela Merkel, Emmanuel Macron, Margaret Thatcher, Donald Trump, Jacques Chirac ou encore Sam Walton (fondateur de la chaîne Walmart): tous passaient ou passent peu d’heures dans les bras de Morphée et aimaient ou aiment toujours le faire savoir. Il est vrai que dans notre société, avoir besoin de beaucoup d’heures de sommeil sonne comme un aveu de faiblesse, le fait d’aimer dormir comme un péché de paresse.

Dans son ouvrage Le Sommeil, c’est bon pour le cerveau (Odile Jacob, 2023), le neurologue Steven Laureys (ULiège) tacle, non sans humour, ceux qui entretiennent le culte du «sacrifice viril» du sommeil, les «machos fatigués». «Aucune réunion ne semble pouvoir commencer sans que chacun ait reçu sa tasse de café. Notre cruel besoin de caféine est une habitude, mais aussi une illustration du manque de sommeil généralisé.»

La grande majorité des soi-disant petits dormeurs se privent en fait du sommeil dont ils ont réellement besoin. Ceux qui lancent à la cantonade «Je dormirai quand je serai mort» ne devraient pas fanfaronner, met en garde le spécialiste du cerveau et des états altérés de conscience. «Se priver de sommeil ne permet pas d’être performant.

Au contraire, une carence en sommeil affaiblit toutes les fonctions cognitives. On prend de mauvaises décisions sans s’en rendre compte. Dans la circulation, le manque de sommeil provoque des accidents. Par ailleurs, les hommes qui dorment mal produisent moins de testostérone et ont des testicules de plus petite taille. Les machos qui se vantent de dormir peu devraient peut-être opter pour un autre discours pour mettre leur virilité en avant.» Et aller se coucher.

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