Carte blanche

« Médecin généraliste, je ne fais pas confiance à l’e-santé »

Lettre ouverte d’un médecin généraliste à l’attention du service de médiation d’un hôpital public bruxellois, à l’Autorité de Protection des Données et à Abrumet.

Madame, Monsieur, bonjour,

Je suis médecin généraliste et parfois aussi, comme tout le monde, je suis patient.

Je me méfie comme de la peste de l’e-santé. Je n’ai aucune confiance dans l’utilisation que l’Etat peut faire de nos données de santé. En particulier je crains qu’il soit à l’avenir tenté de revendre ces informations au secteur privé (assurances, industrie pharmaceutique, etc.). Je ne crois pas non plus à l’inviolabilité d’un serveur informatique, aussi sécurisé soit-il. C’est la raison pour laquelle je préfère que mes données de santé et celles de mes patients soient communiquées à des tiers (consoeurs et confrères y compris) au format papier plutôt que d’être mises en ligne.

En tant que médecin, je suis conséquent et je ne publie donc pas de sumehrs (résumés de dossiers médicaux mis en ligne par le médecin généraliste), sauf cas exceptionnels (par exemple pour des informations médicales vraiment cruciales et pour lesquelles le bénéfice me paraît supérieur au risque potentiel, ou bien si le patient me le demande et après que j’ai discuté avec lui les bénéfices et les risques potentiels). Je pourrais toucher une prime étatique bien plus importante en le faisant mais la sécurité des données de santé de mes patients ne se monnaie pas. En tous les cas, si je publie un sumehr concernant un patient, je ne le fais jamais sans l’en avoir informé et sans avoir discuté avec lui les bénéfices et les risques potentiels.

Hier, j’ai été patient. Je suis allé passer un examen diagnostique au sein d’hôpital public bruxellois. Comme d’habitude, à l’accueil, on m’a demandé ma carte d’identité. Comme d’habitude, j’ai répondu que j’étais d’accord de la présenter si la personne s’engageait à ne pas publier mes informations de santé sur la plateforme e-Health. Comme d’habitude, la personne face à moi ne savait pas de quoi il s’agit. Pour faire court, j’ai répondu que c’est Abrumet (la plateforme bruxelloise d’e-santé, pendant bruxellois du Réseau de Santé wallon). La personne m’a alors répondu que, non, on ne publierait pas mes données de santé sur Abrumet et que c’est à moi à faire la démarche d’aller m’inscrire sur Abrumet si je le souhaite (ce que je n’ai jamais fait et que je ne ferai jamais). La personne face à moi me dit que, justement, ils font signer un papier aux médecins généralistes pour pouvoir avoir accès aux données des patients. Je lui réponds que, ça, ça n’est pas Abrumet mais l’accès à distance à l’intranet de l’hôpital pour les médecins généralistes et que c’est encore quelque chose de différent. J’informe la personne du fait que passer sa carte d’identité dans un lecteur de carte à l’accueil d’un hôpital équivaut à donner un consentement et que, de cette façon, de nombreux patients se sont retrouvés sur Abrumet sans même en être au courant. Elle me répond que je lui apprends quelque chose.

Néanmoins, comme je suis un gentil garçon et que je ne veux pas mettre les gens dans l’embarras, je lui ai présenté ma carte d’identité, qu’elle a passé dans un lecteur de carte, « pour vérifier mes informations » (qui n’ont pas changé depuis mon dernier passage au sein de votre hôpital et que j’aurais très bien pu lui communiquer oralement).

L’examen a ensuite eu lieu et je n’ai absolument pas à me plaindre de celui-ci.

A la fin de l’examen, le médecin spécialiste m’a remis un courrier papier pour mon médecin traitant, qui a demandé l’examen.

Dans la foulée, je me suis rendu chez mon médecin traitant pour lui remettre ce courrier. Il m’a dit qu’il allait regarder si le protocole était déjà disponible en ligne. Il l’était. Je lui ai demandé s’il était sur l’intranet de votre hôpital ou sur Abrumet. Il était sur Abrumet.

Conclusion : les résultats de mon examen ont été publiés sur Abrumet alors que j’avais explicitement dit à l’accueil de l’hôpital que je ne voulais pas que ça soit le cas et que la personne à l’accueil m’a dit que ça ne le serait pas.

Je vous demande ce qui suit :

1. Que tout ce que votre hôpital a communiqué me concernant sur la plateforme e-Health en soit retiré ;

2. Que ça ne se reproduise plus ;

3. Le plus important : que vous formiez votre personnel d’accueil aux enjeux de l’e-santé et aux implications concrètes des gestes banaux qu’ils réalisent cent fois par jour (demander la carte d’identité au patient et la passer dans un lecteur de carte) mais aussi que vous le formiez à informer le patient des bénéfices et risques potentiels d’une telle démarche et que le patient puisse choisir en connaissance de cause. Cela prend plus de temps. La qualité, ça prend du temps. Le débat démocratique aussi. Je sais bien que les hôpitaux, publics a fortiori, manquent déjà de temps et d’argent et que leur personnel est en sous-effectif mais ce type de dérapage ne peut pas se produire.

J’attends de vous que ce courrier ne reste pas sans réponse et vous prie de croire, Madame, Monsieur, en l’expression de mes sentiments respectueux.

Guillaume Lefebvre, médecin généraliste.

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