Anne Lagerwall

L’IVG, un irréductible débat? Le slogan « Votre corps est un champ de bataille » reste d’une brûlante actualité

Anne Lagerwall Professeure de droit international à l'ULB

Il n’est pas étonnant que l’accès à l’avortement soit évoqué durant les campagnes électorales qui ponctuent la vie de nos démocraties libérales. Le débat politique se noue régulièrement à propos de ce qui doit être interdit ou permis, garanti ou toléré, à propos du corps des femmes.

Il est plus rare que ces questions deviennent des sujets majeurs de campagne qu’on pense capables de conditionner les votes de la population. A l’occasion des élections de mi-mandat organisées aux Etats-Unis, le 8 novembre, l’avortement s’est pourtant retrouvé en tête des thèmes les plus commentés. La décision rendue par la Cour suprême, le 24 juin, n’est sans doute pas étrangère à ce regain d’attention. A une courte majorité, les juges ont décidé que la Constitution américaine ne confère pas de droit à l’avortement et que chacun des Etats-Unis d’Amérique peut en réguler l’accès pour ce qui le concerne.

Donald Trump, qui a joué un rôle déterminant dans cette affaire en nommant durant son mandat présidentiel trois des neuf juges de la Cour, s’est réjoui de ce qui marque à ses yeux «la plus grande victoire pour la vie de cette génération». Le président Joe Biden a, lui, regretté que la Cour revienne sur la position qu’elle avait adoptée en 1973 selon laquelle l’accès à l’avortement relève du droit au respect de la vie privée garanti par la Constitution. Il entend réagir en projetant l’adoption, en 2023, d’une loi fédérale qui réaffirmerait ce qui avait été reconnu il y a cinquante ans.

Le slogan «Votre corps est un champ de bataille» reste d’une brûlante actualité.

Les résultats des élections sont à présent connus et il n’est pas évident qu’une telle loi pourra être votée au sein du Congrès. De leur côté, les Etats américains ont adopté des textes très divers dont certains interdisent l’avortement même en cas de viol ou d’inceste et d’autres consacrent la liberté d’y recourir. Dans tous les cas, on retrouve cette détermination à couler la solution politique préférée dans une forme juridique de façon à en garantir la pérennité. Il est indéniable qu’en inscrivant une décision politique dans une loi, on en fixe les contours. Mais cela ne met pas toujours fin à la discussion de laquelle la loi a émergé. Loin de disparaître, cette discussion se poursuit même si elle investit d’autres lieux et emploie d’autres termes.

Depuis quelques semaines, des associations juives libérales contestent devant les tribunaux les restrictions à l’avortement adoptées en Floride, dans l’Ohio, l’Indiana et le Kentucky. Elles estiment que ces textes portent atteinte à leur liberté religieuse dans la mesure où leur foi judaïque ne peut tolérer qu’une femme soit obligée de mener une grossesse non désirée jusqu’à son terme et qu’à sa vie, on préfère celle d’un être qui n’est pas encore né. Dans une tout autre perspective, des associations défavorables à l’avortement attaquent, depuis quelques jours devant un tribunal du Texas, l’Agence fédérale du médicament pour avoir autorisé le recours au mifépristone, une hormone de synthèse utilisée pour interrompre des grossesses non désirées. D’après elles, l’Agence ne disposait ni de l’autorité ni des informations nécessaires pour prendre une telle décision.

C’est dire combien l’IVG se retrouve encore aujourd’hui au cœur de débats politiques virulents qui s’accompagnent de débats juridiques qui ne le sont pas moins. Il n’est pas évident de savoir s’il faut s’en réjouir ou le déplorer. Une chose est certaine, le slogan affiché sur une pancarte créée par l’artiste américaine Barbara Kruger à l’occasion des manifestations organisées en 1989 devant la Cour suprême, dont on craignait déjà qu’elle revienne sur les acquis de 1973, reste d’une brûlante actualité: «Votre corps est un champ de bataille.»

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