Thierry Fiorilli

Le piège à gros cons (chronique)

Thierry Fiorilli Journaliste

Plutôt que la soupe sur les œuvres d’art, pourquoi pas sur ceux qui ont les moyens d’agir pour le climat mais ne le font pas ? En y ajoutant de la colle, on obtiendrait un vrai piège à cons. A gros cons.

On avait rencontré des gens régénérants, ce soir-là. Des qui s’émerveillent («Incroyable, cette petiote! Je l’ai prise dans mes bras sans qu’elle pleure, j’ai la peau noire quand même!»). Qui gardent le feu sacré («On n’ a plus un balle, mais 45% des jeunes qu’on prend en charge réussissent leur vie: contrairement à leurs parents, ils ne frappent pas leur compagne, leurs enfants vont à l’école, avec des chaussures et sont nourris, ils ont un boulot et savent gérer un budget.»). Qui osent dire les belles choses, même à 16 ans («Tu es le meilleur frère que j’aurais pu avoir.»). Qui font voir des trucs pour sourire, puisque c’est grave («J’ai mis un “Pas de pub” sur la boîte, et ça marche! Je vais mettre un “Pas de factures” maintenant.»).

Des gens qu’on ne connaissait pas forcément, mais qui allument des lumières, qui ne regardent pas le nombril, sans être dupes, sans se la péter, sans geindre, sans fiel.

Que des hommes presque, beaucoup avec une barbe, pas tous en turban et souvent en veston trop étroit sur chemise blanche ou tee-shirt criard.

Peut-être est-ce pour ça qu’on a fait ce rêve, la nuit. On était une armée, mais pas armée. On essayait de changer les choses moches, injustes, désastreuses, tout ça. Autour, il y avait le portrait de gens, connus, qui les incarnaient et qu’on voit ou qu’on entend tout le temps, partout: que des hommes presque, beaucoup avec une barbe, pas tous en turban et souvent avec le veston trop étroit sur chemise blanche ou tee-shirt criard. On tenait assemblée. Quelqu’un a dit qu’il faut arrêter avec la soupe jetée sur les tableaux, dans les musées, et les mains collées au bitume, dans les manifs, parce que ça nous fait passer pour des crétins. Très bien, et on fait quoi à la place? On peut filer des tartes à tous ces gros cons, a dit un type, en désignant les portraits. Il pensait baston mais on a compris entartage. Une fille a fait remarquer que ça avait déjà été fait, un mec en France, avec des cheveux de chef d’orchestre, s’en est pris plein, notamment.

L’entartage? Déjà été fait. Pourquoi pas avec la soupe? Et la colle pour le serrage de pinces?
L’entartage? Déjà été fait. Pourquoi pas avec la soupe? Et la colle pour le serrage de pinces? © DR

Alors on a demandé du calme tout le monde. Et pourquoi on jetterait pas la soupe sur eux, et plus sur les tableaux (qui, en réalité, ne sont guère responsables de ce qu’on combat, a-t-on observé)? Ni violence ni dégradation de patrimoine, les gens nous comprendraient mieux et, à la quatrième ou cinquième giclée, les types arrêteraient peut-être de nous les gercer et de tout saccager. Wééé! «Mais on fait quoi avec toute cette colle?», a demandé un gars.

«On l’utilise quand on leur balance pas le potage! a exulté une jeune guerrière. On va leur serrer la pince, quand ils font leur bain de foule, mais avec la main trempée de mélasse. Ils peuvent pas déguerpir, on peut pas nous plaquer au sol et le temps qu’il faut pour nous décoller on met le mec devant ses conneries, on lui sort notre cause, on voit ce qu’il réplique (on enregistre avec le micro planqué sur nous) et à la quatrième ou cinquième collante, peut-être que ça aura percolé une fois pour toutes.» «Le piège à cons! , le piège à cons!», a hurlé l’armée, enthousiaste.

Comment ça a tourné? On se souvient toujours de la fin des cauchemars, pas de celle des jolis songes. Mais on était tout régénéré.

@ThFio

       

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