Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | Messieurs, gardez votre galanterie sexiste

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Pourquoi les femmes (mêmes certaines féministes) continuent-elles à attendre des hommes qu’ils fassent preuve de galanterie, alors qu’il s’agit de forme de sexisme, certes bienveillant, mais de sexisme tout de même?

Peut-être Valentin aura-t-il tenu la porte du restaurant. Avancé la chaise avant qu’elle s’assoie. Aidé à ôter son manteau. Ouvert la portière côté passager pour qu’elle s’installe plus facilement. Valentine se sera alors sentie chanceuse, chérie, choyée. Quelle belle soirée!

«Le viol est un crime. Mais la drague insistante ou maladroite n’est pas un délit, ni la galanterie une agression machiste», écrivaient dans Le Monde, en 2018, Catherine Deneuve et les 99 autres signataires d’une tribune défendant la «liberté d’importuner», alors que MeToo suintait de partout.

La galanterie serait ainsi l’exception à la règle, la limite au-delà de laquelle le féminisme commencerait à être barbant, voire haineux. Certes, un stéréotype de genre, mais acceptable, cette fois: l’égalité, svp! Mais prière, messieurs, de tout de même payer l’addition avant de quitter le resto.

Quel serait le problème, au fond, à ce qu’un prévenant individu «marche du côté de la route sur le trottoir», «fasse le plein d’essence à sa place», «se lève quand elle arrive ou sort de table» ou encore «s’intéresse à ses enfants»? (1). Selon Wikipédia, la galanterie «témoigne du respect et de la considération» envers les femmes. De quoi se plaignent-elles, enfin?

Bah, de lire une telle connerie sur une encyclopédie en ligne, déjà. Le respect, ce serait, par exemple, de s’occuper équitablement des tâches ménagères, de s’investir véritablement dans l’éducation des gosses ou encore d’assumer une partie de la charge contraceptive, pour ne citer que trois exemples parmi tant d’autres. Mais, bien sûr, c’est plus simple de claquer un baisemain.

La galanterie peut, certes, se révéler agréable, elle n’en reste pas moins sexiste. Parce qu’elle traduit un paternalisme protecteur (ces pauvres petites choses dont il faut prendre soin). Parce qu’elle s’appuie sur la différenciation des sexes et les rôles stéréotypés (l’entreprenant vs la passive). Parce qu’elle induit la sexualisation (j’ai fait tous ces efforts pour paraître cool, donc maintenant, t’es gentille, t’écarte les cuisses).

«Le sexisme hostile et le sexisme bienveillant sont […] les deux faces d’une même pièce», écrit Sabine De Bosscher, professeure de psychologie sociale appliquée à l’université de Lille, dans son analyse Pourquoi la galanterie est une forme de sexisme. Ainsi, la face hostile serait «le bâton qui punit [les femmes] quand elles résistent», tandis que le côté bienveillant consisterait en «la « carotte » qui [les] incite à rester dans des rôles traditionnels». La théorie du sexisme ambivalent, ajoute-t-elle, «met en exergue la manière avec laquelle des attitudes perçues comme favorables aux femmes renforcent et confortent leur subordination. Allié avec le sexisme hostile, le sexisme bienveillant permettrait ainsi de justifier et de maintenir l’organisation sociale existante.»

Une organisation sociale plus égalitaire, où il faudrait pousser la porte soi-même, tirer sa chaise, mettre son manteau et ouvrir la portière de la voiture: franchement, la disparition de la galanterie ne marquerait pas la fin du monde. Juste celle du vieux monde.

(1) L’auteur de ce très sérieux billet consacré aux « 12 réflexes pour être galant mais pas ringard » précise, concernant le dernier point: « Ses enfants constituant généralement le principal centre d’intérêt d’une femme, voire l’unique, être galant va impliquer de passer du temps avec eux et de faire semblant d’apprécier. »

33%

des Françaises interrogées dans le cadre du Rapport 2023 sur l’état du sexisme, publié le 23 janvier dernier, ont déjà eu un rapport sur insistance de leur partenaire, alors qu’elles n’en avaient pas envie. Elles sont 12% à avoir déjà accepté un rapport sexuel non protégé sous la pression de leur partenaire. Tandis que 4% (et 8% parmi les 18-24 ans) ont déjà été confrontées à un partenaire qui enlevait le préservatif durant l’acte sans avoir demandé leur accord.

9%

des Français interrogés dans le cadre de ce même rapport considèrent qu’il est normal de ne pas s’occuper des tâches ménagères s’ils gagnent plus que leur conjointe (chiffre qui monte à 15% chez les 25-34 ans). Popote interne, toujours: 40% des hommes estiment qu’il est normal que les femmes arrêtent de travailler pour s’occuper de leurs enfants (contre 27% des femmes).

20%

des hommes entre 25 et 34 ans (en France) affirment que, pour être respecté au sein de la société, il faut vanter ses exploits sexuels auprès de ses amis (contre 8% en moyenne). 23% jugent que, pour se faire respecter, il faut parfois être violent. Conclusion de ce rapport peu réjouissant sur l’état du sexisme en France: «Parmi les hommes de moins de 35 ans, on observe un ancrage plus important des clichés « masculinistes » et une plus grande affirmation d’une « masculinité hégémonique »». Youpie.

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