Mélanie Geelkens

La sacrée paire de Mélanie Geelkens | La justice confrontée aux revenantes… et aux stéréotypes de genre

Mélanie Geelkens Journaliste, responsable éditoriale du Vif.be

Comment juger les « revenantes », ces femmes parties combattre en Syrie et aujourd’hui de retour en Belgique et en France ? La justice, qui n’aura jamais autant dû juger autant de femmes, est confrontée à de nombreux stéréotypes de genre.

Certains les ont surnommées les «desperate housewives» du califat. Parties en Syrie pour prendre les armes, condamnées sur place à «juste combattre tes casseroles dans ta cuisine lol», comme l’avait écrit l’une d’entre elles à une copine. Texto remontant à 2014: cette mineure française était alors impliquée dans un projet d’attentat à Lyon. Comme d’autres « revenantes », elle se retrouvera sur les bancs d’une cour d’assises, devant répondre de sa participation aux activités de l’Etat islamique.

Comme beaucoup d’autres, en fait. «Le défi pour l’institution judiciaire est historique: jamais la France n’a eu à juger autant de femmes pour leur implication dans une organisation terroriste», cadrait Le Monde, le 10 avril. Dans l’Hexagone, un tiers des 1 500 Français à avoir rejoint la zone irako-syrienne étaient des femmes. Cent cinquante sont revenues, parmi lesquelles une quarantaine ont déjà été jugées, tandis qu’une soixantaine attendent de l’être, selon le quotidien français. En Belgique, selon les chiffres de l’Ocam (Organe de coordination pour l’analyse de la menace), sur les 460 personnes effectivement parties dans la zone de conflit, un peu plus de cent sont des femmes. Une cinquantaine d’entre elles en sont revenues, et une quarantaine figurent toujours dans la Banque de données commune, listant les terroristes connus dans le pays. Le parquet fédéral n’a pas répondu à notre demande concernant le nombre de procès passés ou à venir.

Une bonne grosse dose de paternalisme judiciaire, aussi dans les procès de droit commun.

En France, ces revenantes échappaient à toute poursuite jusqu’en 2016. Depuis, la justice a décidé qu’elles devaient être jugées à l’égal des hommes. Que la violence politique n’était pas un apanage masculin. Car toutes ne restaient pas cloisonnées dans leur cuisine syrienne: certaines avaient intégré la police islamique, participaient à la planification d’attentats, recrutaient des candidates ou partageaient la propagande sur les réseaux sociaux. Pas exactement de pauvres figurantes à l’arrière-plan. «Les femmes ont toujours été présentes dans la violence politique, quoique de façon minoritaire, mais cette histoire a été effacée, pointe Constance Wilhelm-Olympiou, doctorante en science politique, dans Le Monde. Elle s’impose aujourd’hui avec l’apparition massive de la figure de la femme djihadiste […], ce qui conduit la justice à remettre en question [certains] stéréotypes de genre.»

Celui de la femme forcément victime, forcément embrigadée, forcément irresponsable de ses actes. Une bonne grosse dose de paternalisme judiciaire, que les avocats observent aussi dans les procès de droit commun. Comme si la criminelle était une figure tellement socialement inconcevable qu’il faudrait minimiser ses responsabilités. Psychologiser ses actes («oui, mais elle était malheureuse», «oui, mais elle était battue», «oui, mais elle était influencée»…), là où ceux des hommes sont politisés.

Même devant la cour, les revenantes ne quittent pas leur popote syrienne: elles sont parfois jugées pour avoir été de «mauvaises mères», en exposant leur progéniture à l’idéologie djihadiste. Les avocats de la défense jouent aussi cette carte maternelle, pour obtenir la clémence des magistrats. Qui s’émeut du rôle défaillant d’un père, ou qu’une peine de prison prive des enfants de leur papa?

En France, les revenantes écopent de peines systématiquement plus légères: entre un et quatorze ans de prison ferme, contre douze à 18 ans en moyenne pour les hommes. Les femmes peuvent-elles réellement être des accusés comme les autres?

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