Thierry Fiorilli

C’est beau comme les gens qui reviennent

Thierry Fiorilli Journaliste

Qu’est-ce qui fait que, parfois, on ne les supporte pas, que rien qu’à les voir on ne les supporte plus, mais que d’autres fois, ils sont touchants, sans même avoir cherché à l’être? Prenez ce vendredi soir, tard, sous la bruine, à l’aéroport de Charleroi. Les probabilités qu’y éclosent les idylles sont maigres: commerces fermés, lumières crues, toilettes payantes mais puantes, pas assez de sièges donc des gens assis par terre, moins comme autour d’un feu de joie que comme parias de la rue, entre deux poubelles pleines à ras bord. Découvrir ou retrouver la Belgique par ici, à cette heure, c’est une punition.

Sur le tableau d’affichage, des noms de villes familiers, à part Suceava – c’est en Roumanie, renseignements pris. Lus sur une carte, ils ne font pas forcément rêver ; mais, inscrits dans la colonne «provenance», avec à côté la mention «atterri», «en approche» ou «atterrissage prévu à», ils prennent de l’ampleur, suscitent l’attrait, ont plus de saveur. Et on se demande d’où débarquent celles et ceux qui franchissent la porte des arrivées. Retour de vacances, de voyage professionnel, de visite à des parents? Début d’un trip en Belgique?

A droite de la porte, un grand gaillard brun fait le pied de grue avec un joli bouquet de roses, très rouges. Une fille qui passe le seuil se colle à un garçon qui a l’air un peu gêné de tant d’effusion, mais il n’est plus aussi gris qu’il y a deux minutes. Une autre sautille, comme un enfant à la sortie de l’école, quand son copain déboule, et ils s’embrassent, et on devine qu’elle lui demande si tout a été, et ils partent tout de suite, et elle tend l’index vers où elle a garé la voiture. Un couple aux cheveux blancs, avec plein de valises, scrute mais ne reconnaît personne, et ça les inquiète, mais deux jeunes font irruption, soulagement, étreintes, tout va bien, on peut y aller, donne-moi les bagages papa. Une toute petite, emmitouflée, est complètement dans les choux, depuis sa poussette, et sa grand-mère a beau l’embrasser, pas de réaction, elle ne sait pas où elle est, d’où elle vient, et elle regarde des trucs sans vraiment les voir. Sa sœur, deux ou trois ans de plus, les joues comme des pêches, se fait chatouiller par un tonton, elle rit, mais le petit moulin à vent brillant qu’elle tient réaccapare vite son attention et il n’y a plus que ça qui compte. Un monsieur surgit, seul, très sérieux, un sac à la main, alors le type adossé jusque-là au grillage du bar s’ébroue et s’avance lentement et ils restent plusieurs secondes dans les bras l’un de l’autre, et plusieurs secondes ça peut écrire l’amour mieux que mille lettres.

Qu’importe la provenance s’il y a tendre accueil à l’arrivée.
Qu’importe la provenance s’il y a tendre accueil à l’arrivée. © DR

On ne sait pas qui est qui, comment ça s’est passé là-bas, comment ce sera ici, plus tard, et on les détestera sans doute dans un compartiment de train bondé, demain, sans les reconnaître. Mais observer ces retrouvailles fait s’illuminer ce bout de couloir désolant d’un aéroport tristounet sous un ciel piteux, éprouver soudain une immense tendresse pour les gens et étreindre plus fort encore celle qu’on est venu chercher. En souriant avant même qu’elle apparaisse.

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