Carte blanche

Sexisme et transphobie se donnent en spectacle à Forest National

Jordan Peterson, l’intellectuel de référence des masculinistes, fera son show ce 29 avril à
Bruxelles, où il sera accueilli comme une rockstar. Analyse d’un navrant relativisme idéologique.

« Ce que nous encourageons activement, c’est le respect des préférences de chacun. Après tout, le
droit à la liberté d’expression s’applique à tous. » Voilà la réponse de Forest National sur Instagram à une personne s’émouvant il y a quelques jours, de l’accueil le 29 avril d’une conférence de l’idéologue Jordan Peterson par la vénérable salle bruxelloise. Laquelle renvoyait par la même occasion l’internaute au promoteur qui avait loué l’espace, seul interlocuteur auquel adresser plaintes et questions, selon elle.

L’indigence de cette réponse n’est pas sans rappeler celle du service clientèle de la chaîne de hard
discount Colruyt, interpellée à propos de sa commercialisation de mugs arborant une symbolique
sexiste sous couvert d’humour. « Il s’agissait (…) d’une façon de rire dans le monde d’aujourd’hui.
Mais nous pouvons comprendre que chacun ait un point de vue différent sur la question. »

Une fois encore, la liberté d’expression est invoquée pour couvrir des discours
discriminants, alimentant un climat de haine dans la société.

Deux polémiques, deux réponses ramenant chacune le sexisme à « la préférence de chacun » voire à «
un point de vue »
. Une fois encore, la liberté d’expression est invoquée pour couvrir des discours
discriminants, alimentant un climat de haine dans la société.

Car, en ce qui concerne le Dr Peterson, de quoi parle-t-on ? D’une icône bien peignée du
masculinisme
, (lequel n’est pas, pour rappel, l’équivalent masculin du féminisme mais son absolu
contraire), paradant sur de grandes scènes en costume trois pièces.

La conférence de Jordan Peterson à Forest porte sur son livre le plus connu, où dans une tentative de
muscler les accords Toltèques, il propose 12 tables de la loi, 12 règles de vie allant de « ranger son
logement » à « se tenir droit ». Mais c’est moins son côté Marie Kondo qui intéresse son public que la
réputation sulfureuse du personnage.

Ce psychologue et ancien professeur d’Université canadien a « influencé des millions de personnes en
très peu de temps » (selon la bio trouvée sur le site de Forest National), en tirant parti de l’éprouvée
stratégie de renversement victimaire de la pensée réactionnaire. S’érigeant en martyrs, criant à la
cancel culture alors qu’on ne fait que leur porter la contradiction, les égéries de « l’anti- wokisme »
bénéficient d’un appel d’air favorisé par les relais politiques et médiatiques de n’importe quel buzz,
pourvu que celui-ci soit susceptible d’inquiéter le citoyen à propos de sa « liberté de penser ».

Concrètement, le début du véritable triomphe de Jordan Peterson date de 2016, lorsqu’il s’est exprimé
contre un projet de loi canadien visant à lutter contre la discrimination envers les personnes trans, et
qu’il est parti en croisade contre l’utilisation des pronoms non-binaires. Voyant dans ces évolutions la
manifestation d’un totalitarisme rappelant les heures les plus sombres de l’Histoire (Peterson est
prompt à se référer au nazisme à tout propos), encouragé par l’accueil chaleureux fait à sa « pensée »
par l’alt-right Nord-Américaine (il est ainsi devenu commentateur politique au Daily Wire,
impressionnant cheptel de complotistes et réactionnaires) le psychologue n’a cessé de croître en
popularité à force de formuler des considérations flattant un public conservateur.

Les mannequins plus size ? Moches, selon lui.

Le rouge à lèvres ? Un signe de disponibilité sexuelle qu’il convient d’éviter au travail si on ne
souhaite pas y être harcelée sexuellement.

L’écart salarial entre les hommes et les femmes ? Une disparité logique, renvoyant à l’essence des
sexes, l’un tendant naturellement à diriger et l’autre à suivre.

Entre autres prises de positions abjectes il a rédigé, en avril 2022, un tweet comparant le chirurgien
ayant opéré l’acteur trans Elliot Page aux médecins fascistes ayant conduit les expérimentations
médicales nazies.

Embarrassé par ces déclarations, l’Ordre des psychologues de l’Ontario envisage de lui retirer sa
licence, son droit d’exercer, un titre sur lequel l’homme a appuyé sa notoriété et son “expertise”.

Au mois de juin dernier, Peterson a été décoré par la présidence hongroise, dont il n’est plus besoin de
décrire la complaisance envers les phobies anti-LGBTQIA+ et la misogynie. Il arbore depuis au
revers de sa veste l’Ordre du Mérite local. En Amérique du Nord, ses interventions sont désormais
précédées de protestations de progressistes. « Nul n’est prophète en son pays », s’autocongratulait-il
alors sur Twitter.

En effet. Et fort déplorablement, nombreuses sont les personnalités problématiques conspuées sous
leurs latitudes devenues prophètes sous les nôtres.

Comme disait l’autre, la démocratie, ce n’est pas 5
minutes pour les juifs, 5 minutes pour les nazis.

La présente tribune ne réclame pas l’annulation de l’intervention de Jordan Peterson. Nous savons que
ce que l’on nommait jadis débat ou « opposition » est aujourd’hui automatiquement requalifié en «
bâillon » par ceux que cette terminologie de la persécution arrange et honore. Il est de toute évidence
plus gratifiant pour ces gens de se croire pourchassés, d’aboyer qu’ils dérangent la doxa, car ils «
pensent à contre-courant », que de se reconnaître simplement contredits voire disqualifiés
intellectuellement.

Notre texte veut attirer l’attention sur la déplorable tendance actuelle à considérer que tout se vaut,
que tout peut être dit et même, que tout DOIT être dit, en démocratie – en priorité les considérations
patriarcales, identitaires et ultraconservatrices. Or, comme disait l’autre, la démocratie, ce n’est pas 5
minutes pour les juifs, 5 minutes pour les nazis
.

Notre collectif de signataires aimerait que les opérateurs culturels belges procèdent, a minima, à un
travail de vérification des gages et pedigrees des personnalités qu’ils accueillent et mettent à
l’honneur. Cela éviterait par exemple des situations gênantes comme celle qui a vu un célèbre
chanteur iranien se produire à Bozar en octobre dernier, avant de s’incruster à une manifestation en
soutien aux femmes de son pays d’origine, où il a été reçu avec des cris outrés. L’homme, sous le coup
de multiples accusations de harcèlement sexuel, affirme en effet que le « non ne veut pas toujours dire
non » et attaque fréquemment des féministes. Il n’est plus invité nulle part… sauf ici.

Ici, nous encourageons à respecter « les préférences de chacun », même quand celles-ci tombent sous
le coup de la loi.

Respecter les préférences de chacun, en l’espèce, revient avant tout à être agréable aux vociférateurs
d’obscurantisme
. Offrir une large et prestigieuse tribune à des propos stigmatisant minorités et
groupes sociaux minorisés, sous couvert de “liberté d’expression”, c’est omettre que le langage
véhicule des idées, et les idées, des actions. En programmant Jordan Peterson, intellectuel de référence
de la mouvance masculiniste, Forest National participe à promulguer un archétype de masculinité toxique, légitimant les oppressions et violences. Bien d’autres modèles existent, et luttent pour exister,
en dépit des caricatures, des moqueries et des tentatives de discrédit.

Des personnes et des collectifs qui œuvrent tous les jours à montrer que d’autres masculinités peuvent
advenir, puisant dans le soin et l’équité, autorisant d’autres émotions que la colère. Et qui se désolent
de voir des théories virilistes se déployer auprès d’un vaste public massé devant une scène où se sont
jadis produits Queen, Prince et David Bowie.

June Benhassan, membre active de “Les Sous-Entendu.e.s”
Delphine von Kaatz, event organizer
Myriam Leroy, autrice
Audrey Aegerter, doctorante en sociologie, ULB
Intersex Belgium
Aurélie Aromatario, sociologue, ULB
Lyne B, experte Genre et Sécurité dans le secteur musical
Diana Vos, réalisatrice vidéo dans le secteur musical
Juliette Cordemans, journaliste et militante, Prenons la Une junior ihecs, 8 mars ihecs
André Chapatte, asbl Liminal
Asbl Liminal, déconstruire la masculinité ensemble
Barbara Dupont, autrice de @dou.interjection.dexasperation
Jimmy Foucault, journaliste
CFBx – Collages Féministes Bruxelles
Alexandre Donnen, doctorant en sociologie
Alexandra Ana, sociologue, ULB
Rodrigo Cruz, doctorant en sociologie, ULB
Erynn Robert, chercheur·euse, collectif Let’s talk about non-binary
Pascale Gigon, danseuse féministe
Aurélie Bouvart, doctorante en histoire, ULB
Leila Fery, doctorante en sociologie, ULB, La Bonne Poire
La Bonne Poire, collectif anti-patriarcal sur le sujet des masculinités
Odile Devaux, féministe, éducation permanente, La Bonne Poire
Rachel Hoekendijk, féministe, éducation permanente, La Bonne Poire
Lise Ménalque, assistante-doctorante, ULB
Yohan Meola, artiste
Charly Fillon, doctorant, ULB
Louis Vande Perre, doctorant en ingénierie biomédicale, ULB
Lorenzo Folco, comédien
Cyprien Hoffman, collectif Let’s Talk About Non Binary, éducateurice spécialisé·é
Kirsten Crick, féministe, militante, cofondatrice de Transkids Belgique asbl
David Trep, Kilohertz Club
Emma Caffot
Let’s Talk About Non Binary
F.A.B – Féministes Asio-descendant.e.s de Belgique
Collages Féministes Bruxelles (CFBx)
Virginie Devroye, féministe, militante anti grossophobie.
Florence Hainaut, journaliste et réalisatrice
Dan Gagnon, humoriste
Thomas Messias, Podcasteur
Ana Seré, militante féministe
Louise Renson, journaliste
Nathan Barbabianca, journaliste
Mona Claro, chargée de cours en sociologie ULiège
Fédération Prisme
Ninon Berman, activiste féministe juive
ONG Le Monde selon les femmes
Lidia Rodriguez Prieto, chargée de mission pour Le Monde selon les femmes
Rosalie Compère, restauratrice d’oeuvres d’art
Charlie Sucche, étudiant
William Donni, travailleur social
Flavie Gagnon, militante
Geoffroy Klompkes, journaliste
Rajae Maouane, coprésidente Ecolo
Julie Beauzac, créatrice du podcast Vénus s’épilait-elle la chatte
Vanessa Herzet, maître-assistante HEL
Margot Antoine, militante
Adeline Dieudonné, Autrice
Marie Baudet, journaliste
Maud Salembier, Professeure et commissaire d’exposition indépendante
Noé Boever, journaliste
Xavier Van Buggenhout, journaliste
Elfi Dombret, Culture Advisor
Charlotte Bellière, Autrice
Aurélie Redouté, monteuse
Véronique Cranenbrouck, Fondatrice ONG
Ian De Haes, Auteur et illustrateur
Raphaël Akili, citoyen
Maïlys Charlier Zenari, communiquante
Charline Cauchie, journaliste
Aarnout Lanckriet, conseiller diversité inclusion
Fédération Prisme
MAC Liège
Flo Delval
ASBL Genres Pluriels
Douglas Sepulchre, doctorant en sociologie, ULB

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