Carte blanche

Plan de Mathieu Michel sur l’intelligence artificielle: « Il ne suffit pas de vouloir être leader pour le devenir »

Mathieu Michel (MR), secrétaire d’Etat à la Digitalisation, a récemment présenté un plan national en matière d’intelligence artificielle. Pour Baptiste Fosséprez, CEO de PEPITe, ce plan présente de (nombreux) problèmes et est trop abstrait.

Le gouvernement fédéral a présenté il y a quelques semaines un « grand plan national de convergence pour le développement de l’Intelligence artificielle ». Un plan qui se décline en 9 axes, 9 objectifs (promouvoir une IA digne de confiance; garantir la cybersécurité; renforcer la compétitivité et l’attraction de la Belgique grâce à l’IA; développer une économie basée sur les données et une infrastructure performante; l’IA au cœur de la santé; au service d’une mobilité plus durable; préserver l’environnement; mieux former et tout au long de la vie; fournir aux citoyens de meilleurs services et une meilleure protection.)

Soyons fair-play. Que le gouvernement annonce se doter d’un plan est une bonne nouvelle. Mais… Car il y a de sacrés « mais ».

Le plan présenté par Mathieu Michel est une note d’intention, pas une feuille de route

Premièrement, il ne suffit pas de proclamer que l’on veut que la Belgique soit pionnière en Intelligence artificielle pour qu’elle le devienne. Je peux tout aussi bien proclamer qu’un jour la Belgique gagnera le championnat du monde de hockey sur glace, mais si rien n’est mis en place pour y arriver, la probabilité est quand même fort proche de zéro. Le plan présenté par Mathieu Michel est une note d’intention, pas une feuille de route. Or, aujourd’hui, ce que le secteur demande est un GPS qui nous dit où on va, comment et quand. Qu’en est-il de l’agenda ? Comment implémenter concrètement ces objectifs ? Comment faire l’évaluation de tous ces axes ? Par qui ? De trop nombreuses questions sont sans réponse.

Deuxièmement, ce plan donne l’impression que la Belgique peut, à elle toute seule, relever les défis de l’IA. Dans un monde interconnecté, devenu village, et avec le poids des États-Unis et de la Chine, le destin de l’IA est européen. Or, ce plan ne parle à aucun moment de ce qui peut être fait à ce niveau.

Que pèse la Belgique dans l’Europe de l’IA ? Pas grand-chose. Que pèse-t-elle dans le monde de l’IA ? Pas grand-chose de pas grand-chose. Pour avoir un ordre de grandeur, on se rappellera que quand, il y a 5 ans, la Chine a présenté son « Plan de développement de la prochaine génération de l’intelligence artificielle pour la période de 2016 à 2030 », elle a également annoncé qu’elle investirait 25 milliards de dollars… dans les 3 premières années. L’objectif est clair : devenir le leader mondial d’IA en 2030. Lire dans le plan belge que la Belgique souhaite rivaliser avec les plus grands et ne pas y trouver un seul chiffre d’investissement ni une seule date pour implémenter les objectifs est tout simplement incompréhensible.

De manière générale d’ailleurs, ce plan fédéral ne donne quasi aucune précision chiffrée. Nous n’avons aucune idée de ce que cela pourrait coûter, ni du montant qu’il faudrait investir en IA en Belgique pour être compétitif. Et, en fait, nous ne savons pas si nous en avons les moyens.

Troisièmement, ce plan est une vue « d’en haut » qui ne tient pas compte de ce qui existe déjà. De très nombreuses initiatives prises par les sociétés, par des acteurs nationaux et régionaux (Agoria, AI4Belgium, DigitalWallonia4.ai, Vlaio etc.) ou par les universités belges rencontrent déjà certains des objectifs du plan. Cela démontre qu’une fois encore le monde « réel » n’attend pas le politique pour avancer, car il joue sa survie.

Perdu, le gouvernement ?

Cette absence pose une question plus profonde : « Est-ce que le gouvernement a fait un état des lieux avant de faire son plan ? » Un plan est une route qu’on trace en sachant d’où l’on part. Or, ici, l’impression qui est donnée est qu’aucun état des lieux n’a été fait et que le gouvernement ne sait pas où nous en sommes vraiment. Ce qui rend ce plan d’autant plus abstrait.

Quatrièmement, ce plan doit être mis en perspective avec une reconstruction globale de l’économie européenne. Comme l’exprime très bien Thierry Breton, commissaire européen au Marché intérieur, « l’IA est un moyen, et non une fin ». Il est utopique de vouloir créer un nouveau Google ou Facebook européen, voire de développer une 50ème application de dating. Face au défi climatique, le futur de l’Europe passe par le redéploiement d’activités industrielles, essentielles au fonctionnement de notre société. Un tel redéploiement implique la mise en place de toute une série d’outils (fonds souverain européen) et de mécanismes (contrôle des prix de l’énergie, barrières douanières, aides à l’investissement etc.), permettant à l’Europe de viser l’excellence durable. A cette fin, l’IA a un rôle essentiel à jouer.

L’émergence de l’intelligence artificielle implique un bouleversement profond de toutes nos habitudes de vie. L’IA chamboule notre rapport au travail (l’activité humaine évolue en intégrant le potentiel de la technologie, logiciels donnant des recommandations, « robots » etc.), au temps (nous sommes dans l’immédiateté), à l’espace (nous sommes tous devenus voisins virtuels), à l’éthique (jusqu’où accepterons-nous de laisser certains algorithmes influencer nos démocraties).

Cette émergence est une vraie opportunité. Raison pour laquelle l’IA mérite qu’on y consacre du temps afin que nous puissions répondre intelligemment à tous ces bouleversements. Elle mérite un vrai plan chiffré, qui peut être évalué et dont on connaît l’agenda. Pas un plan plein de bonnes intentions pour faire un coup de communication. Les sociétés actives dans l’IA sont celles via lesquelles le changement arrivera. Elles ne demandent qu’à être impliquées dans les réflexions à venir. Le succès et le pragmatisme ne font souvent qu’un.

Baptiste Fosséprez, CEO de PEPITe

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