Carte blanche

L’octroi du droit de vote aux étrangers extra-européens aux élections régionales : une fausse bonne idée

Faut-il accorder le droit de vote aux résidents étrangers aux élections régionales, comme le gouvernement bruxellois l’envisage ? Pour Christophe Magdalijns (DéFI), Merry Hermanus (PS), Georges Verzin (MR) et Marc Beissel (DéFI), la réponse est clairement non. Pour différentes raisons: souveraineté nationale, dévalorisation du droit de vote et de la nationalité, promotion du communautarisme…

La déclaration de politique générale bruxelloise précise que « le Gouvernement fait siennes les recommandations de la résolution du 5 avril 2019 visant à octroyer le droit de vote aux élections régionales aux ressortissants extranationaux résidant à Bruxelles ». Il est probable que la question s’invite à l’agenda politique en région bruxelloise avant la fin de la présente législature même s’il revient au pouvoir fédéral de légiférer en la matière.

La question qui nous est posée est somme toute assez simple : « Faut-il donner le droit de vote aux résidents étrangers aux élections régionales »? A notre entendement, non. Non à plusieurs enseignes qui tiennent notamment à l’idée que l’expression la plus aboutie de la citoyenneté procède d’une adhésion forte à un pays par l’obtention de sa nationalité. Notre volonté est de faire primer cette adhésion sur l’identité de chacun sachant que la nationalité belge est accessible à celles et ceux qui ont choisi de s’établir durablement sur notre territoire. Il est d’ailleurs assez aisé de l’obtenir depuis que la loi Gol de 1984 en a facilité et raccourci les procédures et délais d’octroi.

Au travers de notre opinion, nous avons conscience de prendre le contrepied des positions communément admises par les partis allant du centre à la gauche francophone bruxelloise. Dans ce débat sensible, nous ne craignons pas les procès en tous genres, y compris en extrémisme car, au-delà de la présente opinion, nous sommes les fervents défenseurs de politiques publiques visant à offrir aux Bruxellois de toutes origines, jeunes en particulier, toutes les chances de s’insérer le plus harmonieusement possible dans notre société. La lutte contre les injustices et les discriminations peut prendre diverses formes, y compris celle d’un processus qui conçoit le droit de vote comme l’aboutissement d’une réelle intégration. A cet égard, on s’étonnera du retard pris par la Région bruxelloise pour concrétiser son parcours d’accueil rendu obligatoire près de vingt ans après celui développé en Flandre. Certains partis politiques semblent réticents face au devoir d’intégration alors qu’ils réclament concomitamment le droit de vote pour les étrangers extra-européens. Sérieux paradoxe selon nous lorsque l’on s’intéresse aux réalités politiques et sociales des pays de provenance des étrangers extra-européens où les droits fondamentaux n’ont pas du tout la même portée et importance qu’en Europe.

Octroyer le droit de vote aux étrangers extra-européens revient à leur concéder une part de cette souveraineté alors qu’ils ont fait le choix de conserver une nationalité étrangère pour des raisons qui leur appartiennent

Rappelons qu’en vertu de l’équipollence des normes, la Région de Bruxelles-Capitale est un niveau de pouvoir qui, pour ses compétences, est l’égal d’un état souverain, concluant par exemple des traités internationaux. Les Régions et Communautés ne sont soumises à aucune autorité supérieure et ne s’apparentent donc pas à un pouvoir local. Bien au contraire, les Régions et Communautés exercent une part de la « souveraineté nationale » conformément à notre Constitution et aux lois prises en vertu de celle-ci. Octroyer le droit de vote aux étrangers extra-européens revient à leur concéder une part de cette souveraineté alors qu’ils ont fait le choix de conserver une nationalité étrangère pour des raisons qui leur appartiennent. Une nationalité étrangère qui est parfois celle d’un pays ayant des stratégies géopolitiques contraires voire préjudiciables aux intérêts belges ou européens. La nationalité reste affaire de cœur et est intimement corrélée à la souveraineté nationale. Un pays doit pouvoir s’appuyer sur une communauté désireuse de contribuer aux projets nationaux et régionaux, contributions qui peuvent aller jusqu’à la réalisation d’un service civil ou militaire. Nous ne sommes que trop conscients en Belgique de la fragilité d’un pays lorsque ses habitants lui sont indifférents. Le retour de la guerre en Europe et les crises successives que nous avons connues nous rappellent combien le droit d’élire nos dirigeants politiques n’a rien d’anodin, y compris à l’échelon régional dont l’importance croit à mesure que nous réformons l’Etat.

A contrario, l’ouverture du droit de vote aux ressortissants de l’Union européenne installés durablement sur notre territoire est chose possible car nous partageons avec eux une part de notre souveraineté dans le cadre d’une union que nous voudrions plus approfondie pour affronter les défis mondiaux. Pour les étrangers extra-européens, rappelons aussi qu’il n’est pas de restriction à la participation citoyenne. Une participation qu’il faut stimuler et qui s’accroît aux travers de différentes initiatives prises en marge de la démocratie représentative.

Le droit de vote n’est donc pas un facteur d’intégration mais l’aboutissement solennel de cette intégration. Idéalement, le désir de voter et donc d’influer sur les affaires publiques s’accompagne d’une réelle prise de conscience des enjeux socio-politiques. Ce n’est pas un hasard si nous demandons à notre enseignement de préparer tous les élèves à être des citoyens responsables, capables de contribuer au développement d’une société démocratique, solidaire, pluraliste et ouverte aux autres cultures (décret missions). Même pour les enfants nés en Belgique, les choses ne coulent pas de source. Bruxelles en est témoin, on peut être belge et magnifier ses origines au point de mépriser, ou même de haïr la Belgique. C’est un facteur de fragilisation de notre cohésion sociale qui trahit les limites de notre action publique, notamment auprès de notre jeunesse. Dans ce contexte, brader nos droits politiques auprès des étrangers extra-européens n’est certainement pas la solution. Il nous faut travailler à l’édification d’un corps électoral averti, formé, acquis aux valeurs fondamentales de la démocratie, ce à quoi participent les processus de citoyennisation aboutissant là à la majorité, ici au bénéfice de la nationalité.

Voter est un acte important qui ne se réduit pas non plus en une contrepartie à l’impôt payé. On peut d’ailleurs être électeur sans payer d’impôt. La reprise par d’aucuns du slogan américain « no taxation without representation » est donc hors contexte. L’implication économique et fiscale est un faux argument puisque les contributions versées par les étrangers servent avant tout à financer des services publics dont ils sont bénéficiaires à l’égal des nationaux. Ajoutons que l’Europe continentale, de tradition juridique romano-germanique, entend l’équilibre entre droits et devoirs de façon très différente des pays du « common law ». Les devoirs et la cohésion nationale y prennent une place particulière au regard des droits individuels et des limites qui peuvent y être appliquées.

Celles et ceux qui voudront user du vote pour encourager ou sanctionner un élu ou un parti pourront toujours le faire en acquérant la nationalité qui pour beaucoup ne les prive pas de leur nationalité d’origine

Nous réfutons aussi cette idée selon laquelle les élus ne seraient pas représentatifs de la population si celle-ci n’était pas contrainte de voter massivement. On se plaira à répéter ce que la Constitution énonce en toutes lettres : l’élu ne représente pas uniquement ses électeurs mais bien la nation toute entière. Il est d’ailleurs comptable de son action devant tous les citoyens, qu’ils aient voté ou non. Celles et ceux qui voudront user du vote pour encourager ou sanctionner un élu ou un parti pourront toujours le faire en acquérant la nationalité qui pour beaucoup ne les prive pas de leur nationalité d’origine. La représentation démocratique est affaire de participation libre et volontaire, non pas d’un droit inconsciemment acquis assorti d’injonctions ou d’obligations. Le taux de participation est d’ailleurs un baromètre dont il est sot de se passer tant il est un indicateur important de la santé démocratique. Un indicateur à double entrée interrogeant le nombre de personnes ayant décidé de voter mais aussi le nombre de personnes ayant choisi la nationalité belge pour exercer les droits civils et politiques qui y sont attachés.

Enfin, parmi nos concitoyens, nous constatons qu’un nombre important d’électeurs vote plus par affinité communautaire que par affinité politique. En atteste la facilité avec laquelle s’organisent des « stemblocs » pour favoriser le vote communautaire, le vote féminin ou le vote pour un groupe particulier d’intérêts au sein d’un parti. Dans tous les cas, le stratagème réduit le jeu démocratique à des affinités personnelles, rendu possible par le vote multiple dont on n’a sans doute pas mesuré toutes les conséquences lorsqu’il fut instauré. Nous serions bien inspirés de ne poser aucun nouvel acte encourageant plus encore le vote communautaire et le clientélisme, comme nous le serions en revenant à un système électoral simple où chaque électeur dispose d’une et une seule voix. Et puis, la politique belge étant ce qu’elle est, il y a fort à parier que l’extension du droit de vote aux étrangers extra-européens est essentiellement mue par des visées électoralistes, singulièrement à Bruxelles où certains partis s’arrachent le vote des électeurs de confession musulmane.

A la lumière de ces différents arguments et des défis complexes que nous rencontrons pour assurer notre cohésion sociale, octroyer le droit de vote aux étrangers extra-européens aux élections régionales est une fausse bonne idée. Elle méconnaît la notion de souveraineté nationale. Elle dévalorise le droit de vote et la nationalité belge qui n’est pourtant que citoyenneté faite de libertés. Elle fait de notre espace politique un état gazeux incompatible avec le fonctionnement de nos institutions.  Elle promeut le clientélisme et le communautarisme. Elle se fourvoie sur ce que devraient être notre cohésion sociale, l’intégration et la démocratie représentative. Et surtout elle ignore la règle d’or du vivre ensemble : « S’intégrer sans s’oublier ».  Pour toutes ces raisons, elle fragilisera notre contrat social, favorisera les revendications identitaires et exacerbera les tensions entre communautés.

Christophe Magdalijns (DéFI), Merry Hermanus (PS), Georges Verzin (MR) et Marc Beissel (DéFI)

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