Carte blanche

L’Iran s’est transformé, la politique de l’UE devrait en faire autant

Pour l’ancien sénateur Pierre Galand, « le peuple iranien a un objectif précis en tête : l’établissement d’une république démocratique laïque ».

Le régime clérical iranien est confronté à de grandes difficultés. Le soulèvement national qui a éclaté suite à la mort en détention de Mahsa Amini, une Kurde de 22 ans, a pris de court les experts et les spécialistes.  Le soulèvement est devenu un nouvel exutoire pour les demandes populaires de changement de régime. Une multitude de médias ont affirmé qu’il s’agissait du plus grand défi lancé au système théocratique depuis la révolution de 1979, et le sentiment d’un changement imminent s’est renforcé au cours des cinq derniers mois.

Le régime a tout mis en œuvre pour réprimer cette agitation, tuant plus de 750 personnes, dont 70 enfants, et procédant à plus de 30 000 arrestations. Ces arrestations ont déjà donné lieu à plus de 100 inculpations pour des charges capitales, ainsi qu’à quatre exécutions. Malgré cela, défier publiquement la répression a été une caractéristique constante du soulèvement et une source apparente d’inspiration, même pour des communautés qui ne sont pas connues pour leur activité politique.

L’ampleur et la diversité démographique de cette contestation ont fait prendre conscience, tant en Iran que dans le monde, que la situation a déjà changé et qu’un retour au statu quo sera impossible. Malheureusement, cette perception n’a pas encore incité les dirigeants occidentaux à abandonner le statu quo en ce qui concerne leur politique vis-à-vis de la République islamique. C’est ce qui est apparu lors d’une réunion ministérielle de l’Union européenne en février dernier, qui n’a pas réussi, une fois de plus, à s’engager à désigner la principale force répressive des mollahs, le Corps des gardiens de la révolution islamique, le CGRI, comme une organisation terroriste.

Cela ne signifie pas pour autant qu’aucun progrès n’a été réalisé. Au début du mois, le Parlement européen a voté à une écrasante majorité une résolution demandant l’inscription du CGRI sur une liste noire. Un nombre relativement restreint de décideurs politiques porte la responsabilité de l’absence de suivi de cette résolution. Le principal d’entre eux est le chef de la politique étrangère de l’UE, Josep Borrell, qui a déclaré que le CGRI ne pouvait être officiellement désigné en l’absence d’une décision de justice concernant ses activités terroristes, même si les preuves de ces activités sont claires.

M. Borrell appartient à une catégorie de décideurs occidentaux qui se sont obstinément engagés à maintenir le statu quo, en grande partie en raison des craintes communes concernant les perspectives auxquelles la nation iranienne est susceptible d’être confrontée dans le cas où la pression simultanée de la population dans le pays et de la communauté internationale provoquerait l’effondrement du système en place.

Les partisans du mouvement pour la démocratie en Iran devraient garder espoir car il y a une possibilité que ces décideurs politiques changent d’avis. S’il y a jamais eu un moment où ce résultat était à portée de main, c’est bien aujourd’hui.  Les discussions sur la possible désignation terroriste du CGRI s’accompagnent d’un dialogue international plus large sur les troubles actuels et le potentiel d’une nouvelle révolution.

Il semble presque inévitable que ce dialogue finisse par aboutir à la compréhension générale que le peuple iranien a un objectif précis en tête, et qu’il s’agit de l’établissement d’une république démocratique laïque dont la structure et les valeurs sont directement conformes à celles de toutes les nations occidentales. En effet, ces caractéristiques ont été soulignées dans un plan en dix points pour l’avenir du pays, présenté au monde dans un certain nombre de lieux par la présidente élue du Conseil national de la Résistance iranienne (CNRI), Maryam Radjavi.

On a pu constater dans les rues d’Iran que le peuple a rejeté à la fois la théocratie actuelle et l’ancien régime despotique du chah, pour aller de l’avant et établir une république démocratique et laïque

Le CNRI est une coalition dont l’Organisation des Moudjahidines du peuple d’Iran (OMPI) est la principale composante et qui dirige depuis 2014 un réseau d' »unités de résistance » pour encourager la révolte ouverte contre le régime des mollahs. Ces unités de résistance ont été très visibles dans le soulèvement actuel.

On a pu constater dans les rues d’Iran que le peuple a rejeté à la fois la théocratie actuelle et l’ancien régime despotique du chah, pour aller de l’avant et établir une république démocratique et laïque.  « A bas l’oppresseur, qu’il soit chah ou Khamenei », a été scandé dans tout l’Iran.

Ce genre de slogan se distingue par son rejet explicite à la fois de la dictature théocratique existante et du système monarchique renversé en 1979. Il met à mal le discours promu par le régime clérical et par le fils de l’ancien chah, Reza Pahlavi, qui a eu un impact dévastateur sur les politiques occidentales à l’égard de la République islamique pendant plus de quatre décennies. Malgré les efforts déployés par le fils du chah pour réhabiliter l’image de sa famille, l’écrasante majorité des Iraniens garde le souvenir répugnant de la torture et de l’exécution de militants et d’Iraniens en quête de liberté, conséquences de la main de fer de son père et de sa sinistre police secrète, la SAVAK, et de la corruption endémique, dont Pahlavi junior s’est abstenu de se distancier.

Les dictateurs actuels et passés de l’Iran voudraient tous deux faire croire à la communauté internationale qu’il n’y a pas d’autre voie pour l’Iran que le maintien du statu quo ou un retour au passé sinon le chaos.

Mais la réalité, c’est que ce ne sont ni les seuls ni les plus probables points d’arrivée de la voie sur laquelle l’Iran est actuellement engagé. Avec un peu de soutien de la communauté internationale, notamment des sanctions renforcées à l’encontre des responsables iraniens et la désignation des Gardiens de la révolution comme entité terroristes, le peuple iranien a clairement la possibilité de revendiquer un avenir démocratique pour lui-même. Les Iraniens ont courageusement défendu le changement avec leur sang et leur sueur. Il est temps pour les responsables politiques européens de les imiter et de faire ce qu’il faut au bon moment, c’est-à-dire maintenant.

Pierre Galand, ancien sénateur , Président de l’Organisation mondiale contre la torture – Europe

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