Carte blanche

La Communauté politique européenne: l’Europe en opération séduction dans les Balkans occidentaux?

Après une décennie d’enlisement, le conflit en Ukraine semble relancer les perspectives d’intégration européenne pour les Balkans occidentaux (Albanie, Bosnie-et-Herzégovine, Kosovo, Monténégro, Macédoine du Nord et Serbie). Toutefois, devant l’engouement suscité par l’octroi de statut de candidats à l’Union européenne (UE) de l’Ukraine et la Moldavie, les Balkans occidentaux s’agacent des projets politiques d’une Europe à plusieurs vitesses.

Le bât blesse d’autant plus que le voisin croate, entré dans l’UE depuis seulement 10 ans, fait désormais figure d’élève modèle. En ayant rejoint, ce 1er janvier 2023, le club fermé des États faisant à la fois partie de l’espace Schengen de libre circulation et de la zone euro, la Croatie devance aujourd’hui la Bulgarie et la Roumanie pourtant membres depuis 2007.

L’élargissement, un long processus semé d’embûches

Faute de se conformer à la stabilité politique, économique et institutionnelle imposée par les critères de Copenhague, les pays des Balkans se heurtent au refus de leur adhésion à l’Union européenne. Par ailleurs, de nombreux différends ethnoculturels et tensions frontalières entre les populations de l’ex-Yougoslavie persistent et compliquent le processus.

Côté UE, le couple franco-allemand se montre réticent à un élargissement sans révision profonde des traités. Ainsi, en 2019, le président français Emmanuel Macron met son veto à l’ouverture des négociations avec la Macédoine du Nord et l’Albanie, pourtant officiellement reconnus comme candidats depuis 2005 et 2014. La Grèce avait déjà mis son veto à Skopje jusqu’en 2018 en raison de revendications portant sur le nom du pays, avant que la Bulgarie ne bloque à son tour le dossier en 2020 sur fond de querelles historiques et culturelles de longue date.

Si la Serbie et le Monténégro, candidats respectivement depuis 2012 et 2010, sont à des stades relativement avancés de négociations, la Bosnie-Herzégovine et le Kosovo ne sont que « candidats potentiels ». Ce dernier n’est d’ailleurs toujours pas officiellement considéré un État indépendant et souverain par la Serbie, la Bosnie-Herzégovine ainsi que la Grèce, l’Espagne, la Roumanie, la Slovaquie et Chypre.

Un sentiment d’urgence face à la guerre en Ukraine

Ce statu quo est violemment bouleversé par l’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022. Celle-ci a pour conséquence de remonter la problématique de l’élargissement dans l’agenda politique européen.

Bruxelles s’inquiète à nouveau des Balkans, qui délaissés depuis des années, se sont rapprochés de puissances concurrentes. En effet, bien que l’UE reste le premier partenaire commercial de la région, ceux-ci multiplient les partenariats économiques via les initiatives de développement de la Chine et se rapprochent politiquement de la Russie, en marge d’accords de fourniture énergétique. Belgrade se refuse notamment à s’aligner sur les sanctions imposées par l’UE à la Russie. La Serbie bénéficie également du soutien de Moscou dans la récente escalade des tensions diplomatiques avec le Kosovo.

Une intégration par le partage de valeurs communes, la Communauté politique européenne

Face à cette nouvelle donne géopolitique, le 9 mai 2022 à Strasbourg, Emmanuel Macron lance un projet politique qui vise à renforcer le dialogue et la cohésion entre les différents pays du continent européen: la Communauté politique européenne (CPE). Cette initiative est en partie présentée comme une réponse à la question de l’élargissement de l’Union, remise au cœur du débat par l’Ukraine et sa demande d’un « processus d’adhésion accéléré ». Elle doit permettre à ses membres, de la Suisse à la Norvège en passant par l’Albanie, aux ambitions et trajectoires différentes, de collaborer au sein d’un forum complémentaire à l’UE.

44 chefs d’État et de gouvernement européens se sont réunis à Prague le 6 octobre pour un sommet inaugural centré sur la paix et les préoccupations liées à la crise énergétique. Le fait d’avoir rassemblé autant de dirigeants, dont ceux de pays en proie à de vives tensions tels que l’Arménie et l’Azerbaïdjan, et ainsi permis de confirmer l’isolation de la Russie (et de son supplétif biélorusse), est un véritable succès pour cet espace de coopération pan-européen.

Ni coquille vide, ni substitut : la CPE ne doit pas décevoir ses partenaires

La création de la CPE marque un réel regain d’intérêt pour le futur des relations entre l’UE et ses voisins. Pourtant, cette plateforme doit éviter deux écueils majeurs si elle doit réussir à arrimer un peu plus les six pays des Balkans à l’UE.

D’abord, celui de la coquille vide, d’une énième structure dont on peinerait à comprendre les contours ou l’utilité et qui viendrait rallonger la liste des projets sans lendemain sur le continent, à l’image de la Confédération européenne proposée en 1989 par François Mitterrand. Pour ne pas en rester au simple stade de conférence biannuelle entre chefs d’États, il doit y avoir une vraie valeur ajoutée à ce nouveau format, des ressources budgétaires allouées et des projets concrets qui en émergent. Comme le propose Didier Marie, sénateur français, la CPE pourrait notamment permettre aux pays qui ont vocation à rejoindre l’UE de bénéficier de certaines politiques et de programmes européens en amont, dans une approche par « tranches »[1]. Le fait que le sommet de Prague se soit terminée sans déclaration commune laisse à croire que ces questions ne sont pas encore tranchées.

Ensuite, la CPE ne doit pas être une alternative à l’élargissement de l’UE. Le 6 juin déjà, en marge d’une réunion à Bruxelles, le premier ministre de la Macédoine du Nord, Dimitar Kovaceski, se méfiait de cette initiative qui « ne doit pas se substituer à une pleine adhésion à l’UE ». Si le ton semble avoir changé ces derniers mois, en particulier depuis le sommet UE-Balkans de Tirana du 6 décembre, le destin européen de la région doit être sans cesse réaffirmé, sans aucune ambiguïté et le nouvel élan de soutien politique des États Membres appuyé par des actes forts. A défaut, l’euroscepticisme naissant ne s’en trouvera que renforcé.

Trois mois après le sommet de Prague, peu de nouvelles filtrent sur les avancées potentielles. La suite pour cette nouvelle communauté s’écrira au sommet de Chisinau en Moldavie, au printemps. Les attentes seront grandes pour les Balkans occidentaux; les risques de promesses déçues le seront encore davantage.  

Par Arthur de Liedekerke, Directeur des affaires européennes pour le cabinet de conseil en géopolitique Rasmussen Global et chercheur associé à l’Institut de politique de sécurité de l’université de Kiel (ISPK), et Lise Erard, conseillère junior pour Rasmussen Global.

[1] Commission des affaires européennes : compte rendu du 20 juin 2022 (senat.fr)

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