Marco Van Hees

Au cœur de l’inégalité fiscale belge, les RDT (carte blanche)

Marco Van Hees Député fédéral PTB

Marco Van Hees, député fédéral PTB, évoque la réforme des RDT, les revenus revenus définitivement taxés, un régime d’exonération destiné aux sociétés qui investissent dans des actions d’autres sociétés.

Le ministres des Finances Vincent Van Peteghem envisage de retoucher le mécanisme des « revenus définitivement taxés » (RDT, immunisation des dividendes), la plus imposante niche de l’impôt des sociétés. Mais s’y prend-il de la bonne façon ?

Un spectre hante la fiscalité belge, celui des RDT. À 60 ans, les ancestraux « revenus définitivement taxés » assistent, sourire en coin, aux funérailles de leurs cadettes, intérêts notionnels ou Excess Profit Rulings, ces armes de détaxation massive qui, elles, n’ont pas tenus sur la longueur.

C’est donc en 1962 qu’André Dequae, ministre des Finances proche des milieux patronaux (il présidera le Boerenbond et la Banque Bruxelles-Lambert), introduit à la fois la globalisation des revenus et les RDT. Aujourd’hui, la globalisation des revenus (additionner les revenus professionnels, immobiliers et financiers pour les taxer selon une échelle progressive) n’existe que dans les programmes des partis de gauche, tandis que les RDT sont plus actifs que jamais, permettant aux grandes fortunes belges d’échapper à la taxation de leurs revenus financiers.

Il y a dans notre pays des chiffres qui donnent le vertige. En 2021, sur les 66 milliards d’euros de dividendes versés par les sociétés belges, 52 milliards étaient imposables au taux zéro[1]. Si près de 80 % de ces dividendes échappent ainsi à l’impôt, c’est en grande partie lié au principe des RDT. Lesquels figurent dans l’inventaire des dépenses fiscales comme la niche la plus redoutable de l’impôt des sociétés. De 2007 à 2017, le coût budgétaire de cette déduction fiscale est, en moyenne annuelle, de 7,4 milliards d’euros. Et en 2018 (dernière année disponible), ce coût grimpe à 15,6 milliards[2], soit presque autant que le rendement global de l’impôt des sociétés (18,5 milliards la même année).

Réforme du régime des RDT

Pour financer son éventuelle future réforme fiscale, le ministre des Finances Vincent Van Peteghem envisage de retoucher le régime des RDT via trois axes : en ajoutant une condition d’immobilisation financière, en abrogeant le régime de faveur des Sicav RDT et en supprimant la déduction des charges financières liées à l’acquisition, la détention et la cession d’actions. Ce trio devrait rapporter 750 millions euros. Mais ce montant reste une part fort restreinte du coût budgétaire de la déduction. De plus, ces limitations ne touchent pas le cœur même de la problématique des revenus définitivement taxés.

Certes, les RDT présentent un laissez-passer qui force le respect : l’évitement de la double-imposition. L’argument est le suivant : si une filiale verse des dividendes à sa maison-mère, il est normal que cette dernière ne soit pas taxée sur ces dividendes puisqu’ils proviennent du bénéfice déjà taxé de la filiale.

Si l’on peut entendre ce raisonnement, il y a toutefois deux importantes réserves à formuler. La première, c’est que les RDT sont accordés sans examiner le niveau de taxation de la filiale qui distribue les dividendes. Si la filiale ne paye aucun ou presque aucun impôt sur son bénéfice, la maison-mère pourra malgré tout encaisser les dividendes sans le moindre prélèvement fiscal. Au nom de l’évitement de la double imposition, on avalise ainsi une double non-imposition.

La seconde grosse réserve, c’est que les RDT constituent un archétype de discrimination fiscale. Car pour pouvoir en bénéficier, il faut être une société et remplir l’un de ces deux conditions : détenir une participation dans la société qui distribue les dividendes d’au moins 10 % du capital ou d’au moins 2,5 millions d’euros. Les grandes sociétés (financièrement parlant) sont donc privilégiées par rapport aux petites sociétés et aux personnes physiques.

Cette situation a un impact fort sur la (non) taxation des grandes fortunes belges. Ils détiennent et accumulent leur fortune non en personne physique, mais dans des sociétés patrimoniales. Ainsi, si un petit pensionné possédant une poignée d’actions AB Inbev paye 25 % de précompte mobilier sur les dividendes qu’il touche, les milliardaires s’assurent une ardoise fiscale vierge sur les camions de dividendes AB-Inbev que leurs sociétés personnelles encaissent.

Au final, les Belges les plus riches profitent ainsi d’un tiercé gagnant : ils ne paient pas d’impôts sur les revenus financiers (dividendes exonérés grâce aux RDT), pas d’impôts sur leurs plus-values financières (exonérées aux mêmes conditions que les RDT) et pas d’impôts sur leur patrimoine (la taxe compte-titres ne les concerne pas car ils détiennent des actions nominatives et non via un compte-titre).  Zéro + zéro + zéro = zéro.

Si le gouvernement entend revoir le mécanisme des RDT, deux réformes s’imposent donc. D’une part, éviter la double non-imposition en imputant l’impôt réellement payé par la filiale dans le chef de la maison-mère, plutôt que de permettre une déduction totale et aveugle. D’autre par, veiller à ce qu’au sommet d’une cascade de distribution de dividendes, un impôt soit payé sur ceux-ci.

Marco Van Hees, député fédéral PTB


[1]     Réponse du ministre Van Peteghem aux questions parlementaires de Hugues Bayet et Marco Van Hees, 22 février 2022.

[2]     SPF Finances, Inventaire des dépenses fiscales, 3 décembre 2021.

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