Alors que tant de titres ont disparu du paysage médiatique, Le Vif a mérité son nom: il a survécu à toutes les crises. © National

Le Vif fête ses 40 ans : retour sur son histoire

Olivier Rogeau
Olivier Rogeau Journaliste au Vif

Depuis 1983, Le Vif, premier newsmagazine francophone de Belgique, reste une success story malgré les tempêtes. Récit.

Le contexte

1983-2023 : cette année, Le Vif (qui ne s’appellera désormais plus Le Vif/L’Express) fête ses 40 ans. Pour marquer le coup, le magazine a décidé de faire ce qu’il a toujours fait de mieux : décoder la société belge. Comment a-t-elle évolué, ces quatre dernières décennies ? Réponses dans notre numéro spécial.

«Un rêve réalisé. Un projet de journalistes, devenu entreprise nerveuse, efficace, bouillonnante d’idées et de projets…» Ainsi débute l’édito du premier numéro du Vif, daté du 24 février 1983. Il est signé Jacques Dujardin, rédacteur en chef, qui ajoute: «Notre but: communiquer, informer, comprendre et aider à comprendre les événements qui nous bousculent, et ce monde changeant qui nous entoure.»

Genèse

Jacques Dujardin a dirigé, de 1978 à 1982, la rédaction d’une institution bruxelloise, l’hebdomadaire politico-satirique Pourquoi Pas?, fondé en 1910. En désaccord idéologique avec ses propriétaires, il claque alors la porte et souhaite lancer un projet de presse concurrent, inspiré des modèles américains du Time et de Newsweek et de L’Express français. Il rêve d’un hebdomadaire indépendant et pluraliste, qui porterait un regard neuf sur l’actualité et serait en phase avec les nouvelles aspirations de la société. Rik De Nolf, patron du groupe de presse Roularta, accepte de financer le projet. Doter son entreprise d’un pendant francophone à l’hebdo politique Knack, fondé en 1971, lui permettra de proposer des tarifs nationaux aux annonceurs.

Lancement

Pourquoi «Le Vif», nous demande-t-on souvent? Parce que ce titre court offrait une réplique dynamique à un Pourquoi Pas? vieillissant. Une poignée de journalistes se lancent dans l’aventure. La première couverture du Vif, jaune avec un grand W rouge, a pour titre «Le défi wallon». Le magazine, dont les fondateurs sont plutôt bruxellois, s’affirme comme le miroir de tout ce qui bouge en Communauté française. Ses rédactions régionales à Charleroi, Liège et Namur/Luxembourg doivent l’aider à relever ce défi. Dans ses pages, il accueille aussi, les deux premières années, Sport Magazine. Mais les débuts sont difficiles. Tiré, au départ, à 70 000 exemplaires, puis à 50 000, Le Vif tente de se faire une place sur un marché étroit, encore dominé par le Pourquoi Pas?.

Partenariat

Le 7 février 1986 paraît le premier numéro de ce que l’on nomme désormais «Le Vif/L’Express», fruit d’un partenariat 50-50 entre Roularta et le groupe L’Express. L’hebdo belge adopte la maquette de son grand frère français et en reprend, en moyenne, 23 pages par semaine, surtout des sujets internationaux et culturels. Le magazine décolle pour de bon, une relance qui s’accompagne de la création du supplément lifestyle Weekend. Roularta assume la gestion administrative et commerciale du magazine, tandis que L’Express en prend la responsabilité rédactionnelle. En désaccord avec les conditions de la fusion, Jacques Dujardin démissionne. Il est remplacé par Charles Turquin. Neuf mois plus tard, Jean-Pierre Stroobants, journaliste politique du magazine, prend le relais (1987-1989).

Alors que tant de titres ont disparu du paysage médiatique, Le Vif a mérité son nom: il a survécu à toutes les crises.
Alors que tant de titres ont disparu du paysage médiatique, Le Vif a mérité son nom: il a survécu à toutes les crises. © National

Rachats

Le 6 janvier 1989, Le Vif/L’Express absorbe le Pourquoi Pas?, racheté par Roularta. Le ton et la ligne du Vif sont préservés, mais l’intégration partielle de la rédaction du PP? suscite des tensions et la création d’une société des rédacteurs. L’année suivante, les ventes passent de 56 000 à 82 000 exemplaires, soit 82% du total des deux titres avant la fusion. En octobre 1989, Jacques Gevers, entré au Vif/L’Express trois ans plus tôt, en prend les rênes. Rédacteur en chef pendant neuf ans, puis directeur de la rédaction de 1998 à 2005, il fait du Vif/L’Express un titre respecté, reconnu pour son indépendance, son ouverture et sa clarté. Sa force tient à son contenu, un subtil équilibre entre sujets d’actualité et magazines, enquêtes et reportages, révélations et regard sur les phénomènes de société. Autre atout: l’hebdo compte plus de 80% d’abonnés, un taux exceptionnel dans la presse écrite. En septembre 1990, un nouveau venu s’installe, L’Instant, dont le but affiché est de concurrencer Le Vif. Le bras de fer entre les deux news magazines se termine deux ans et demi plus tard: l’audience de L’Instant chute et sa société éditrice, en difficultés financières, est rachetée… par Roularta. En décembre 1999, Le Vif/L’Express s’installe au Brussels Media Center (BMC), à Haren, où sont regroupés les magazines de Roularta. En 2006, Le Vif n’a plus qu’un actionnaire: Roularta a acquis 100% du groupe Express-Expansion (revendu en 2015).

Tempêtes

Issus de la rédaction, Stéphane Renard (1998-2007) puis Dorothée Klein (2007-2009) se retrouvent à sa tête. En janvier 2009, Christine Laurent leur succède. Retour à la sérénité, après quatre années de turbulences internes. Toutefois, la presse écrite est mise à rude épreuve sous le double effet de la crise financière de 2008 et de l’essor d’Internet. En 2015, Christine Laurent cède les rênes à Thierry Fiorilli, son numéro 2 depuis 2012, avec lequel le magazine s’est distingué sur le terrain de l’investigation. En décembre 2019, Anne-Sophie Bailly, venue de L’Echo, devient rédactrice en chef du Vif et du site levif.be, appelé à bénéficier de son expérience dans le numérique. Trois mois plus tard, la pandémie bouleverse la vie de la rédaction.

Survivant

Alors que tant d’autres titres ont disparu du paysage médiatique belge au cours des quarante dernières années, Le Vif a amplement mérité son nom: il a survécu à toutes les crises. Sans aides publiques. En préservant sa vitalité, la qualité de son travail et son indépendance éditoriale. En restant un antidote à l’instantanéité de l’information et à son hyperfragmentation. En fournissant des clés indispensables pour mieux comprendre la complexité du monde. Et en livrant des enquêtes qui débusquent les contradictions du discours officiel.

A une époque où chacun s’accroche à ses convictions, semer le doute est, pour nous, bien plus qu’un slogan.

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