Zapatero Atlantisme, adios

Le successeur d’Aznar souhaite s’imposer en douceur. Mais, sur l’Irak et sur la politique européenne, il a déjà annoncé un virage à 180 degrés

J’écouterai avant de décider.  »  » Je gouvernerai avec humilité.  » Au lendemain de sa victoire inattendue du 14 mars, José Luis Rodriguez Zapatero multiplie les promesses de discrétion et de modération. Le retour sur la scène politique des socialistes espagnols n’est pas une arrivée en fanfare. Affaire de style. £il bleu intense, silhouette élancée, le futur président du gouvernement, né en 1960 à Valladolid, sur les froides terres de Castille, impose son allure réservée d’homme du Nord. Affaire de génération aussi. A 43 ans, Zapatero a réussi à attirer vers le Parti socialiste, à l’électorat jusqu’ici vieillissant, toute une génération qui vient de voter pour la première fois. Sa Nueva Via s’inspire directement du style pragmatique et libéral de Tony Blair. Et le Premier ministre britannique pourrait être un modèle presque parfait… s’il n’était pas l’ami intime de José Maria Aznar.

En attendant son investiture, prévue à la fin du mois d’avril, le nouvel homme fort de Madrid sait qu’il doit asseoir sa légitimité, tant en Espagne que sur la scène internationale. Car son arrivée au pouvoir change la donne. La parenthèse atlantiste de la diplomatie espagnole menée par Aznar semble se refermer. Un an après le sommet tripartie des Açores, qui scellait l’alliance entre Bush, Blair et Aznar à l’aube de l’intervention en Irak, Zapatero promet un  » virage à 180 degrés « . Lequel devrait se traduire par un retour à ce qu’il appelle les  » axes traditionnels de la politique espagnole  » : l’Europe, la Méditerranée et l’Amérique latine. Symboliquement, sa première visite officielle de chef du gouvernement pourrait être pour le Maroc. Il a d’ailleurs annoncé qu’il retirerait d’Irak les 1 300 soldats espagnols à la fin du mois de juin si, d’ici là, l’Onu n’avait pas pris les rênes du processus de stabilisation du pays.

A-t-il cédé devant la pression d’Al-Qaida, au lendemain des attentats de Madrid qui ont fait plus de 200 morts ? Ben Laden a-t-il gagné les élections espagnoles ? Zapatero récuse en bloc.  » Je ne fais que répéter mot pour mot des engagements de campagne « , martèle-t-il. De fait, il avait toujours donné la date butoir du 30 juin. Et il n’a pas varié d’un iota, depuis l’époque où, sur les bancs de l’opposition au Parlement, il dénonçait l’engagement d’Aznar dans une  » guerre injuste « , dictée par les intérêts américains. Il continue aujourd’hui d’affirmer, avec la même conviction, qu' » on ne bombarde pas un peuple pour des ôau cas où »  » et qu' » on n’organise pas une guerre sur le mensonge « . Nombreux sont pourtant les observateurs internationaux qui se sont interrogés sur les résultats d’élections  » dictées par le terrorisme « . Après quelques jours de commotion, la droite espagnole recouvre la parole. L’éditorialiste du quotidien conservateur ABC, César Alonso de los Rios, n’hésite pas à comparer le réalisme  » sanchopancesque  » de Zapatero aux élans visionnaires d’un Aznar-Don Quichotte qui rêvait d’un grand destin pour l’Espagne !

Mais, pour le politologue Fernando Vallespin, la victoire de Zapatero s’explique d’abord par la façon dont le gouvernement a voulu maintenir le plus longtemps possible la version officielle d’une piste ETA pour les attentats du 11 mars.  » Tous les mauvais réflexes des dernières années Aznar étaient là, explique Vallespin : l’arrogance, le mépris de l’autre, déjà perceptibles dans son refus de s’expliquer devant le Parlement sur sa décision de participer à la guerre en Irak, la manipulation des médias, comme du temps du Prestige, lorsque l’expression ômarée noire » était interdite d’antenne en Galice ; l’annexion de l’Etat par un seul parti… tout s’est concentré. Et cet usage partisan d’une tragédie collective est apparu intolérable.  »

Esquivant la polémique, Zapatero se prépare à gouverner et donne déjà le cap. Face à un Aznar  » diviseur de l’Europe « , il entend renforcer l’Union.  » Nous allons redevenir un pays aimable et européiste, promet-il. L’Europe est notre milieu naturel.  » Et il annonce son intention de ratifier au plus vite la Constitution, ratification qui avait été bloquée par José Maria Aznar et son homologue polonais, Leszek Miller. Des propos qui ont été évidemment bien accueillis dans la plupart des capitales européennes, notamment à Paris, Berlin et à Bruxelles. Car les motifs de crispation entre Madrid et ses alliés européens n’avaient cessé de s’accumuler, bien avant la ligne de fracture dessinée par les divergences sur le conflit irakien. Au cours du premier semestre 2002, alors qu’il occupait la présidence tournante de l’Europe, Aznar avait tenté, en s’alliant avec Tony Blair et Silvio Berlusconi, d’obtenir l’ouverture des marchés de l’énergie et de l’électricité, au grand dam des sociaux-démocrates européens. Mais ses désaccords idéologiques avec Jospin n’étaient rien au regard de son antipathie profonde pour Jacques Chirac. Ses critiques contre le  » moteur franco-allemand  » avaient pris un tour systématique, puis quasi épidermique. Zapatero annonce clairement qu’il entend tourner la page et mettre un terme à une politique  » qui nous a isolés de l’Europe « .

Mais c’est en matière de politique intérieure qu’il aura le plus à faire. Sa majorité simple l’obligera à conclure des alliances soit avec les ex-communistes d’Izquierda Unida, soit avec les partis nationalistes régionaux, qui se pressent pour offrir leur soutien. Pour ne pas être l’otage de ces petites formations, Zapatero a annoncé qu’il formerait un gouvernement monocolore et qu’il gouvernerait en s’appuyant sur des majorités ponctuelles au Parlement.  » Un jeu compliqué mais nécessaire « , juge le politologue Antonio Elorza. D’autant que l’épineux dossier des relations entre les régions et le pouvoir central devrait être l’une de ses priorités. Son vrai défi, aussi.

Cécile Thibaud

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