Xavier défend Magnée

Les accusés ont eu le dernier mot, au terme d’une semaine survoltée durant laquelle les nerfs des acteurs ont failli craquer plus d’une fois

Des magistrats ont-ils été mis sur écoute et pourquoi ? La question était posée après l’interception involontaire, le vendredi 4 juin, par un journaliste de La Libre Belgique, de conversations téléphoniques  » anodines  » entre Karin Gérard, du Conseil supérieur de la justice (CSJ), et Philippe Morandini, magistrat de presse au procès Dutroux puis avec Stéphane Goux, président de la cour d’assises du Luxembourg. La rocambolesque affaire a été confiée aux comités permanents de contrôle des services de police et de renseignements (comités P et R), à la demande de la ministre de la Justice, Laurette Onkelinx (PS) et du ministre de l’Intérieur, Patrick Dewael (VLD). Simple déraillement technique ou écoute délibérée ?  » Le seul moyen de s’en assurer était de déposer plainte pour permettre à un juge d’instruction d’investiguer, explique Karin Gérard. Mes fonctions au Conseil supérieur de la justice ne me permettent pas de laisser planer le moindre doute sur le caractère confidentiel de certaines de mes conversations téléphoniques.  » De là à crier au grand complot, la magistrate bruxelloise en est loin, même si ce thème est revenu en force, à Arlon, avec la dernière exhibition de Me Xavier Magnée, principal avocat de Marc Dutroux, qui fut accusé de  » médialubricité  » par l’un des avocats de la famille Lambrecks, Me Luc Savelkoul, entre autres gentillesses assénées par les parties civiles.

Magnée, comme le ludion grimaçant de Batman, est un amateur de pirouettes verbales. Le 1er juin, il demandait au jury populaire de reporter son verdict pour complément d’enquête û 99 demandes qui furent repoussées, le 7 juin, par la cour û, après une plaidoirie qui revisitait tous les mystères glauques et les dysfonctionnements policiers de la Belgique. Magnée s’est ensuite ravisé. Il a entendu, déclara- t-il, l’appel de Paul Marchal et peut-être mesuré, aussi, l’impopularité grandissante de son appel à la  » désobéissance civique « . S’estimant le porte-parole officieux du mouvement blanc, il semble toujours avoir oscillé entre la défense de Dutroux et celle de ses victimes.  » Ai-je le droit, s’est-il interrogé, de demander aux victimes de se sacrifier une seconde fois pour répondre aux interrogations d’une société tout entière ? »  » Non, ce serait commettre le péché d’orgueil « , a-t-il répondu. De sa voix caressante, Me Martine Van Praet a moins parlé de Dutroux û le grand absent de cette défense originale û, que de ses coplaideurs Magnée et Baudewijn, en induisant mystérieusement que le jury pouvait réagir suivant le droit ou la morale, elle-même ne pouvant se résoudre aux  » funérailles des hypothèses dérangeantes « .

Nihoul, Leliève, Martin

Jusqu’au bout des répliques, l’accusé Michel Nihoul est resté la pomme de discorde du procès, sauf pour Sabine Dardenne, qui dit » Je ne sais pas « , et a maintenu sa constitution de partie civile contre le Bruxellois. La famille d’Eefje Lambrecks l’a retirée, au grand dam des Marchal. Divergence feutrée, aussi, entre le procureur du roi de Neufchâteau, Michel Bourlet, qui continue à tonner contre le Bruxellois, tout en lui attribuant la quatrième et dernière place dans l' » ordre décroissant des responsabilités « , et l’avocat général Jean-Baptiste Andries, muet sur le rôle supposé de Nihoul dans l’enlèvement de Laetitia Delhez. Opposition, enfin, entre les défenseurs de Laetitia, Mes Beauthier et Fermon, qui ont pilonné Nihoul jusqu’au bout, et les défenseurs de celui-ci, Mes Frédéric Clément de Cléty et Xavier Attout. Ces derniers ont critiqué l’arrêt  » politiquement correct  » de la chambre des mises en accusation de Liège renvoyant Nihoul devant les assises pour l’enlèvement de Laetitia, alors même que le parquet lui-même ne l’avait pas demandé. Ils se sont aussi rebellés contre le renversement de la charge de la preuve dont a été victime leur client.  » C’est Nihoul qui doit prouver qu’à une date incertaine il n’a jamais mis les pieds à Bertrix, qu’il n’a jamais eu de carte volée ni de Mercedes, que Belgacom n’a pas falsifié ses factures et que c’était bien lui qui se trouvait derrière son téléphone, a ironisé Me De Cléty. Je préférerais plaider en Corée du Nord… En procédure pénale, c’est à la partie poursuivante de démontrer que la partie poursuivie a fait ceci ou cela, et pas l’inverse.  » Michel Nihoul a-t-il pu commanditer l’enlèvement de Laetitia Delhez ?  » Ils n’ont eu que des contacts épisodiques avant cette période, relève de Cléty. Pas un appel téléphonique en neuf mois… Et, tout d’un coup, il y a ces appels groupés autour de la date de l’enlèvement de Laetitia, parce que Nihoul veut récupérer sa voiture qu’il a donnée à réparer à un ami de Lelièvre, qui part en vacances le 15 août. Pendant huit ans, Dutroux, Lelièvre et Martin ont toujours dit la même chose. Nihoul était fauché, il voulait faire réparer sa voiture, à petit prix, à Charleroi.  » Les défenseurs de Nihoul concèdent, toutefois, que leur client aurait pu garder par devers lui les 1 500 pilules d’ecstasy transportées par le trafiquant David Walsh û qu’il contribua à faire arrêter pour 10 kg d’amphétamine.  » Il y a une certaine forme d’indignité à lier ces pilules au destin tragique des enfants « , regrette Me De Cléty.

Quant à Me Olivier Slusny, avocat de Michel Lelièvre, il a martelé une idée simple, après s’en être pris aux dérives (arrestations désinvoltes, propagation de la théorie du réseau pédophile, appel à la délation) des premiers mois de l’enquête de Neufchâteau. Son client est en aveux pour trois enlèvements et une séquestration arbitraire ; il a trafiqué de la drogue, mais c’était pour sa consommation personnelle ; il a peut-être agi dans le cadre d’une association de malfaiteurs, mais c’était sans plan, sans volonté ni constance. Il s’est surtout attaché à convaincre le jury qu’il pouvait s’affranchir de la  » corréité « , une  » théorie juridique  » qui permet d’attribuer à Lelièvre une responsabilité de coauteur dans la séquestration û un crime lourdement puni û d’An, d’Eefje, de Sabine et de Laetitia.  » Il ne connaissait pas la séquestration, il ne la voulait pas « . Une théorie que Me Thierry Moreau, l’un des avocats de Michelle Martin, avait déjà brillamment développée en demandant au jury d’exempter sa cliente de la séquestration des victimes autres que Julie Lejeune et Melissa Russo.  » Elle était une brique, mais pas la pierre angulaire.  » Me Sarah Pollet a tiré de la profonde connaissance de sa cliente une réplique qui lézarde encore un peu plus l’image de Michelle Martin,  » femme perverse « . Le procès y a gagné en humanité.

Hâte d’en finir

 » Là où certains n’ont vu qu’hostilité, tension et zizanie « , avance Andries, il faut se féliciter d’une  » nouvelle profondeur « , qui abolit les  » étiquettes plaquées sur les parties civiles.  » Chacun a pu exprimer sa différence.  » C’est le bon moment pour rendre la justice…  » De fait, la lassitude s’est installée à tous les étages du procès. Un nom d’oiseau a volé entre journalistes sur la pelouse du palais de justice, puis entre avocats, lors d’une suspension d’audience. Le bâtonnier d’Arlon a été appelé à la rescousse pour ramener le calme dans le groupe des avocats flamands, perturbé par une accusation de  » collusion  » avec des enquêteurs lancée par Paul Marchal, lui-même très fatigué. Bref, il est temps que cela se termine. Placés sous cloche depuis des semaines, loin de leur famille et de leurs activités habituelles, tous les participants à ce procès hors normes ont hâte d’en finir. Avec une pointe d’anxiété : comment gérer l’inévitable  » descente  » que générera la fin des sensations fortes et pour les victimes, en particulier Sabine Dardenne et Laetitia Delhez, la fin des  » caresses positives  » que leur prodigue une population tombée amoureuse de ces jeunes femmes ?

Marie-Cécile Royen

Jusqu’au bout des répliques, l’accusé Michel Nihoul est resté la pomme de discorde du procès

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