Le Wiels est logé dans le bâtiment Blomme de l'ancienne brasserie Wielemans-Ceuppens (Forest), témoin de l'architecture industrielle moderniste à Bruxelles. © COLIN DELFOSSE

Wiels, musée sans collection

En dix ans d’existence, le Wiels, à Bruxelles, ne s’est pas seulement avéré contemporain et actuel. Il s’affiche aussi comme lieu de diffusion exemplaire dans un contexte de politique culturelle lacunaire.

Pour fêter ses dix années de programmation, le Wiels a choisi de mettre les pieds dans le plat par le biais d’une exposition (im)pertinente. Le Musée absent jette un fameux pavé dans la mare à l’heure où se profile le futur centre  » Citroën Pompidou Bruxelles  » – le nom n’a pas encore été arrêté par la Région bruxelloise (lire aussi Le Vif/L’Express du 17 mars dernier). On le sait, sans collection, le Wiels ne peut prétendre au statut de musée. Cette position ne lui interdit pas pour autant de réfléchir à ce que pourrait, à ce que devrait être un musée pour la création contemporaine. Ces interrogations sont d’autant plus pertinentes que, face à ce vide écrasant – qui peut envisager une capitale européenne sans musée d’art contemporain ? – pesant de tout son poids sur la capitale de l’Europe, de nombreux visiteurs ont choisi de considérer le centre d’art contemporain logé dans le bâtiment Blomme comme un musée à part entière. A raison, car à de nombreux égards, le Wiels est venu combler ce trou béant par le biais d’expositions de référence. Sans compter que, comme l’affirme son directeur, Dirk Snauwaert,  » une collection n’est pas une nécessité pour un musée « . Il précise :  » Nous sommes aveuglés par la possession et par le patrimoine, c’est une obsession, mais à l’origine, un « museion », chez les Grecs, n’avait pas de collection, c’était un lieu de rencontre où l’on discute de certaines choses.  »

Fort d’une fréquentation de 50 000 visiteurs par an, Dirk Snauwaert s’essaie à un état des lieux.  » La situation actuelle est au-delà de nos attentes. Cela dit, je trouve qu’il est trop tôt pour dresser un bilan. Il y a encore tant de choses que nous n’avons pas encore eu le temps d’expérimenter. C’est le cas de la prochaine exposition, Le Musée absent, qui adopte un format muséal classique inédit pour nous. Ce ne seront pas les plateaux industriels qui constituent notre grammaire habituelle. Cet accrochage présente 45 artistes, cela aussi, c’est nouveau pour le Wiels. Nous fonctionnons selon une logique qui consiste à explorer ce que permet le bâtiment mais nous souhaitons également proposer des contenus correspondant aux attentes ou aux lacunes du public.  »

Ce n’est pas un hasard si Dirk Snauwaert pointe les  » absences  » des Bruxellois en matière de culture. L’un des axes contre lesquels s’est bâti le Wiels est clairement le  » parc institutionnel belge  » très instable en matière de culture.  » Le paysage culturel n’est pas le point fort de la Belgique « , résume Dirk Snauwaert de manière euphémique. Cela, même si le marché de l’art est bien implanté à Bruxelles.  » Nous ne manquons pas de galeries internationales, toutefois ce n’est pas leur rôle de diffuser l’information « , enchaîne-t-il. Perdu comme un chien dans un jeu de quilles, le public est en demande.  » Cette situation paradoxale, caractérisée par un marché de l’art fort et des institutions faibles, justifie à elle seule notre existence, le Wiels est de première nécessité. Il ne faut jamais perdre de vue que des talents qui sont des valeurs sûres internationales, comme Mark Manders, n’ont jamais eu la moindre exposition à Bruxelles. Même pas une pièce… Ce n’est pas un cas isolé. Au plus sombre de notre histoire, lorsqu’on nous avait refusé nos subsides en 2008, nous sommes allés voir Luc Tuymans pour monter une exposition. Nous n’avions plus de budget mais cette pointure, qui est dans les collections des plus grands musées au monde, a immédiatement accepté… au motif qu’il n’avait jamais été exposé à Bruxelles, même pas en groupe. Il y a une ségrégation, des blocages, liés à la configuration du pays, qui opèrent dans les deux sens et aboutissent à des situations paroxystiques.  » Pour une ville aussi multiculturelle, la situation est pour le moins regrettable. Enfonçant le clou, Dirk Snauwaert évoque Felix Nussbaum, le peintre juif allemand qui a vécu plusieurs années à Bruxelles :  » C’est un artiste majeur qui a connu un destin tragique… Pourquoi ne l’avons-nous pas encore pris en considération ? Entre 1945 et 2017, il n’y a pas eu chez nous d’évaluation artistique de son travail.  » Dès le 20 avril, Le Musée absent mettra fin à cet état de choses inexplicable.

Inclure les absences

Dès les origines, le Wiels a fait le choix de l’exigence à travers un casting de plasticiens interpellant.  » Il est plus difficile d’attirer le public avec quelqu’un comme Sven ‘t Jolle dont le travail fait pourtant référence à l’actualité économique et sociale qu’en programmant Rik Wouters. Wouters est génial et ce type de modernisme plaît à tout le monde. C’est figuratif, il y a beaucoup de couleur, c’est joyeux et petit-bourgeois. Nous ne pouvons lutter contre cela en termes de fréquentation. En revanche, il nous incombe de donner des coups de pied au cul de l’ignorance, d’inclure les absences. Nous diffusons des artistes clés pour mettre le public au niveau de l’art contemporain : Mike Kelley, Francis Alÿs, Alina Szapocznikow, Felix Gonzalez-Torres… Je pense que nous avons aussi aidé à la reconstruction d’une notoriété comme celle de Walter Swennen « , analyse Dirk Snauwaert.

La ligne directrice du lieu de culture ne réside pas tant dans le casting des plasticiens qu’il expose que dans les problématiques pertinentes abordées. Au Wiels, les notions d’histoire et de zones occultées liées à des traumas sont centrales.  » Il y a un fil rouge d’urgence et de responsabilité qui traverse nos expositions. Bien sûr, il n’est jamais question de journalisme ou de militantisme pur, mais d’une traduction dans le champ plastique « , précise Dirk Snauwaert. Cette ligne de conduite est à comprendre dans le contexte qui est le nôtre, c’est-à-dire de société en mutation et de villes  » multiculturalisées « . Face aux changements qui nous secouent, il n’est plus question pour un musée ou un lieu d’exposition de  » se limiter à une perspective occidentale, fabriquant une identité nationale homogène et consensuelle « . Aux yeux du directeur du Wiels, il est fondamental pour le lieu de culture d’établir des contacts avec les nouvelles populations et de jouer un rôle dans la formation de l’opinion, d’où la nécessité de réunir des artistes qui  » cartographient  » les enjeux qui sont les nôtres.

Outre ce traitement consistant à ausculter l’actualité la plus aiguë, le Wiels se donne également pour mission de faire remonter à la surface le refoulé. A ce titre, la nouvelle exposition exhumera Le Mur, un film belge oublié datant de la fin des années 1960. Sorte de politique fiction basée sur un scénario séparatiste, le long-métrage remue les peurs qui sont les nôtres. Enfin, Dirk Snauwaert évoque l’afflux massif d’artistes étrangers vers la Belgique. Là aussi, selon lui, une institution culturelle a un rôle à jouer.  » Quand on sait à quel point les avant-gardes sont nourries par l’extérieur, je pense par exemple à l’Ecole de Paris, il est important de ne pas rater ce mouvement qui va forcément d’une façon ou d’une autre redéfinir notre sensibilité. Ecrire cette histoire, pour nous institutionnels, c’est notre devoir.  »

Le Musée absent, au Wiels, à Bruxelles, jusqu’au 13 août prochain. www.wiels.org

PAR MICHEL VERLINDEN

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