Wallonie, trop tôt pour festoyer

Le déclin wallon n’est plus une fatalité. Mais le second souffle se fait attendre, après les débuts prometteurs du  » contrat d’avenir « 

Les hommes d’affaires y semblent mieux convertis qu’une partie de la population, certains médias sont plus lyriques que d’autres, les partis de la majorité sourient forcément, là où l’opposition tend le doigt, méfiante. A Charleroi ou à Liège, on peut avoir des sentiments contraires selon que l’on se trouve dans les zonings proprets, qui jouxtent les aéroports régionaux, ou le long de la Sambre et de la Meuse, les fiefs de l’industrie lourde. Cocorico, osons-le, la vieille Wallonie bouge ! Il faudrait être malhonnête pour nier ce nouvel état d’esprit. En 2004, le monde politique n’est plus à s’interroger sur le diagnostic exact du malade ou le remède à administrer pour le remettre sur pied. Tout le monde s’est rangé derrière le  » contrat d’avenir  » des coalisés socialistes, libéraux et écologistes (ceux-ci sont restés au pouvoir malgré la douche froide de juin 2003), un vaste plan d’action élaboré en 1999-2000, régulièrement soumis à un audit externe… plus ou moins indépendant.

Il suffisait d’y penser ? Oui. En politique, une bonne méthode de travail, cela n’a pas de prix. D’autant que, jamais, un simple  » contrat  » n’avait été aussi habilement exploité en termes de marketing. Cela dit, les choix ne sont pas encore assez sélectifs, les moyens budgétaires, trop rares et, globalement, les réformes, bien timides. C’est la raison pour laquelle le bilan économique et social de cette Wallonie en voie de redressement l’empêche de figurer parmi les régions locomotives de l’Europe, dont fait partie le grand voisin flamand, un petit colosse aux pieds d’argile ( lire en p. 24).  » La Région wallonne ne ôdécroche » plus !  » : tel est le slogan en vogue à l’Elysette, la résidence de travail du ministre-président Jean-Claude Van Cauwenberghe (PS). Sous-entendu, la croissance économique est du même niveau que la moyenne européenne. Ce qui ne suffit pas : il faut en faire davantage pour rattraper le retard concédé depuis le milieu des années 1960… Tout est donc dans la nuance. Exportations en hausse, créations d’entreprises en baisse ; taux de chômage (17,6 %) nettement supérieur à la moyenne belge (12,3 %), proportion d’allocataires sociaux moins  » scandaleuse  » qu’on le pense au nord du pays…

Car au-delà des apparences,  » Van Cau  » et ses ministres ont fait preuve d’une relative cohésion tout au long de cette législature de cinq ans. Namur est assurément le lieu où la cohabitation entre socialistes et libéraux û les deux ministres Ecolo n’ayant guère pesé dans le rapport de force û reste la moins problématique.  » Parfois, les tensions ont été vives, résume un ministre. Uniquement face aux caméras de télévision. Pour des questions d’ego…  » Rameuter les bolides de formule 1 à Francorchamps, ce qui charrie des affaires et de la pub (notamment pour le tabac), mais foule au pied l’éthique (le tabac nuit à la santé) ? Développer ces grands pourvoyeurs d’emploi que sont les aéroports, au mépris des nuisances sonores et de la qualité de vie des riverains ? Reconvertir Liège après la fermeture de la phase à chaud de Cockerill ? A chaque fois, les  » rouges  » et les  » bleus  » ont accordé leurs violons, tandis que les  » verts  » défendaient leurs spécificités, bien seuls à tester une voie médiane entre le sacro-saint développement économique et les bienfaits contraignants de l’écologie. Cette cohésion gouvernementale ne faisait pas l’affaire de l’opposition CDH (ex-PSC), tout entière incarnée par le bouillant député André Antoine. Seul l’épineux dossier de la réforme des institutions û provinces, fonds des communes, intercommunales û lui a permis d’exploiter publiquement de profondes divergences entre les deux partenaires dominants.

Le choix stratégique du CDH est aujourd’hui évident : renvoyer dans l’opposition le MR, avec lequel les bagarres des derniers mois rendent toute alliance hautement improbable. Dans tous les cas de figure, le retour au pouvoir du CDH qui, sous un autre nom, en 1998, avait timidement sonné le réveil wallon, n’aurait pas d’implication majeure sur la politique menée depuis 1999 : implicitement, les humanistes du centre cautionnent le contrat d’avenir wallon. Il n’empêche, la droite libérale stigmatise à l’avance une politique de gauche  » qui redistribue avant de créer « .

Quels seront les dossiers délicats de demain ? Priorité numéro 1, la création d’activités, d’entreprises et d’emplois est largement plébiscitée. Les négociations institutionnelles avec la Flandre ne devraient pas faire éclater le front wallon et francophone. En outre, chacun convient que la recherche de synergies avec la Communauté française est essentielle, surtout après l’échec de ces cinq dernières années, notamment dans la séquence enseignement/formation/emploi chère au PS. Enfin, la bataille pour la présidence du gouvernement wallon est circonscrite au seul Parti socialiste, où seul un bon score personnel du Carolo Van Cauwenberghe pourrait le protéger contre la venue des fédéraux Marie Arena ou Rudy Demotte, voire un retour du président Elio Di Rupo.

Ces obstacles écartés, les arbitrages les plus sensibles porteront sur la politique budgétaire. La Wallonie aurait-elle tendance à vivre au-dessus de ses moyens, recourant un peu trop à la technique des  » débudgétisations  » pour financer de lourds investissements publics ? Echaudé par l’exemple fédéral, le PS pourra-t-il longtemps s’opposer à la réforme fiscale que le MR rêve d’engranger à l’échelon régional (suppression de la redevance de radiotélévision, baisse des droits de succession, de donation, d’enregistrement) ? La politique du logement pourrait être une autre pierre d’achoppement entre les libéraux, très soucieux de faciliter l’accès à la propriété, et les socialistes, très favorables au développement du stock de logements sociaux. Sans oublier la réforme des intercommunales (timidement engagée) et celle du fonds des communes (brutalement éludée). L’occasion idéale, pour tous les partis, d’affirmer  » leur  » vision du rôle des pouvoirs publics dans la gestion de l’économie wallonne. Pragmatisme, conservatisme ou renouveau véritable : là, MR et PS se sont étripés sans fausse pudeur.

Ph.E.

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