Voyage en Mozartie

De Salzbourg à Vienne, de la maison natale à l’église du Requiem, pèlerinage insolite sur les lieux sacrés où résonne encore l’âme du compositeur

Pour les autres, le pèlerinage commence au 9, Getreidegasse, dans la maison natale de Wolfgang, au c£ur de la vieille ville, sur laquelle, comme au jour de sa naissance, le 27 janvier 1756, tombe immanquablement la fameuse Schnürlregen (pluie ficelle), un crachin délicat et léger comme un air de clavecin. C’est ici, dans un appartement du troisième étage d’un immeuble à la façade ocre, que le prodige, âgé de 4 ans, se mit un beau jour à jouer du violon sans aucune fausse note, pendant plusieurs minutes d’affilée. La même année, un trompettiste de la cour, ami de Leopold Mozart, fut lui aussi témoin des exploits du prodige. Il rédigea ce témoignage :  » Chez les Mozart, le petit Wolfgang était en train de travailler à la plume quand son père lui demanda : « Que fais-tu ? » « Un concert pour piano », répondit l’enfant. Au début, nous riions. Mais, sur ce, Leopold se mit à analyser la composition pour finir en larmes de joie et d’admiration. Regardez, me dit-il, comme tout a été placé correctement et régulièrement.  »

Aujourd’hui, le miracle se prolonge : le premier violon de Wolfgang et le pianoforte, au clavier en ébène, sur lequel il composa ses concertos sont toujours là, exposés aux yeux émerveillés de millions d’aficionados. A la vision de ces instruments, il est difficile, avouons-le, de n’être pas submergé par une vague d’émotion.

A deux pas de là, sous le dôme de la cathédrale où Johannes Chrysostomus Wolfgang Theophilus Mozart fut baptisé, pas moins de cinq orgues ont été installées, ce qui constituait déjà à l’époque un dispositif unique au monde. Devenu adolescent puis adulte, Mozart composa pour ces instruments à vent la plus grande partie de ses £uvres religieuses, dont la Messe du couronnement. Organiste de la cathédrale et de la cour, Mozart ne s’installait pas au grand orgue du fond mais devant celui, plus petit, qui est accroché à l’un des pilastres, à droite de l’autel. C’est sans peine qu’on imagine le jeune homme en train d’interpréter une messe ou une sonate. D’autant que, à force de voir son image (dès l’arrivée à l’aéroport qui porte son nom) et d’entendre sa musique partout, y compris au téléphone (au hit-parade des mélodies d’attente, la Symphonie n° 40 est bien placée), les visiteurs finissent par se demander si le monstre sacré n’est pas ressuscité. Les jours de messes importantes, chantées et accompagnées par les cinq gigantesques instruments devant près de 2 300 personnes, le doute n’est plus permis : Mozart est bien vivant !

La même expérience peut être renouvelée à un jet de pierre de la cathédrale, à l’intérieur de l’église de l’abbaye Saint-Pierre, où vivent une trentaine de moines bénédictins. Après son installation et son mariage à Vienne, c’est ici que Mozart, âgé de 27 ans, lors d’un ultime séjour à Salzbourg, inaugura sa Messe en ut, où son épouse, Constance, interpréta la première partie de soprano. Chaque été, point culminant du Festival de Salzbourg, la fameuse messe est interprétée sur ce site originel.

Toutefois, marcher sur les pas de Mozart n’oblige pas, loin de là, à visiter seulement des lieux sacrés. Pourquoi, le temps d’une pause, ne pas s’asseoir au café Tomaselli, l’établissement de style viennois qui, fondé en 1705 sur la place du Vieux-Marché, a succédé au café Striger ? Le décor a changé, bien sûr, et rien ne rappelle l’atmosphère du xviiie siècle. Mais c’est bien ici, entre ces quatre murs, qu’après s’être enfin extrait de son lit, vers 11 heures ou midi, ce fripon de Wolfgang commençait sa journée en buvant du vin et en s’adonnant à toutes sortes de jeux : tarot, paris, fléchettes, billard.  » Lorsqu’une idée musicale lui venait, Mozart la notait à la hâte sur un coin du feutre entre deux coups de queue « , croit savoir notre guide touristique. Ce qui, après tout, n’a rien d’impossible et correspond au caractère verspielt, c’est-à-dire enjoué, de ses compositions.

Un autre haut lieu mozartien est le salon de marbre du palais Mirabell, la résidence d’été du prince-archevêque, située sur l’autre rive de la rivière Salzach, hors les murs de la vieille ville. Mozart s’est plusieurs fois produit dans ce salon à l’acoustique excellente (sans qu’on sache ce qu’il y a interprété) devant le maître de la principauté de Salzbourg, alors indépendante de l’Autriche et, comme cette dernière, rattachée au Saint Empire romain germanique. Cette pièce est aujourd’hui utilisée comme salle des mariages et les Japonais mélomanes désireux d’épater leurs amis s’y sentent chez eux. Au printemps et en été, les célébrations s’y succèdent à un rythme effréné. Presque invisible, une webcam de la taille d’une boîte d’allumettes fixée au mur permet de suivre la cérémonie en direct à Tokyo.  » Ces noces sont une bonne affaire pour Salzbourg, mais aussi pour les mariés, qui, étant donné le tarif des mariages au Japon, réalisent ici de substantielles économies « , se félicite Christian Piller, responsable marketing de Mozart 2006.

A Salzbourg – 147 000 habitants et autant de mélomanes – Geneviève Geffray compte assurément parmi les mozartiens les plus avertis. Conservatrice en chef de la bibliothèque du Mozarteum, elle veille depuis trente-deux ans sur les 35 000 volumes consacrés au compositeur. Traductrice de la correspondance de Mozart, qu’elle a éditée et commentée en sept volumes (chez Flammarion), cette Française de Salzbourg possède aussi la clef d’accès à ce que l’on appelle le  » trésor des autographes « .  » Vous entrez dans le saint des saints « , chuchote-t-elle religieusement en pénétrant au sous-sol de l' » autre  » maison Mozart, la Tanzmeisterhaus (maison du maître de danse), où la famille emménagea en 1773 et qui abrite, elle aussi, un musée. Sont conservées dans cette  » crypte  » 700 lettres originales, dont 170 signées de la propre main de Wolfgang et 390 de celle de son père, Leopold. La plupart sont stockées derrière l’épaisse porte blindée d’une chambre où l’hygrométrie est réglée au milligrade près. Moyennant 440 euros (pour 25 personnes maximum), des groupes de touristes avertis peuvent admirer une sélection de bouleversantes reliques présentées sous vitrine. Ainsi cette composition d’un musicien de la cour sous laquelle Mozart père a écrit :  » Le petit Wolfgang a appris ce morceau le 24 janvier 1761, trois jours avant son cinquième anniversaire, le soir, de 9 heures à 9 heures et demie  » ! Une autre vitrine présente des partitions originales du prodige dont l’écriture d’enfant est étonnamment assurée, vive et énergique.  » On voit bien que le gosse savait où il allait « , commente, ébahie, Geneviève Geffray. Autres trésors exposés : l’original de la Sonate et fantaisie en ut mineur (acquis aux Etats-Unis pour 1,5 million de dollars en 1990) ou encore cette lettre écrite à Vienne par Wolfgang à son père. Il y évoque un concerto pour piano età les déboires d’une domestique  » sotte, paresseuse et qui s’enivre en compagnie d’un galant, au point que j’ai dû la porter jusqu’au lit, où elle a vomi « .

Dix années à bourlinguer en Europe

En route vers Vienne, Mozart a transité 11 fois par Linz, qui était alors un carrefour commercial très actif. Mais il ne reste aucune trace de ces passages hormis quelques plaques commémoratives et, bien évidemment, la Symphonie Linz, qu’il composa sur place en moins de quatre jours. La cité fluviale mérite pourtant un détour, ne serait-ce que pour s’imprégner de la mélancolie propre aux paysages de la Mitteleuropa. On dirait un décor d’opéra : au-dessus du méandre du Danube, à l’endroit précis où Mozart s’embarquait pour Vienne à bord de coches d’eau, le vent d’hiver pousse les immenses nuages, en grand convoi, vers l’est. Là-bas, derrière l’horizon, c’est Vienne, la ville dont le maestro disait :  » C’est le meilleur endroit pour mon métier.  »

Dans la capitale autrichienne, lors de la première  » tournée  » organisée par Leopold pour Wolfgang et sa s£ur Nannerl, le premier concert est aussi le plus célèbre. Nous sommes à l’automne 1762 et Wolfgang a 6 ans. Il se produit devant l’impératrice Marie-Thérèse au château de Schönbrunn, aujourd’hui partie intégrante de la capitale, mais à l’époque entouré d’une forêt giboyeuse. L’événement se déroule à 3 heures de l’après-midi, au premier étage, dans le petit salon des Glaces du  » Versailles viennois « . Pendant trois heures, Wolfgang se surpasse. Il joue un menuet avec un doigt et provoque l’enthousiasme de la famille impériale lorsque son père dissimule le clavier sous un drap sans que Wolfgang éprouve la moindre gêne mais, au contraire, redouble de virtuosité. Eblouie, stupéfaite, Marie-Thérèse est de surcroît conquise par la gaieté du petit génie.  » Wolfgang a sauté sur les genoux de l’impératrice, lui a mis les bras autour du cou et lui a donné sans façon des baisers « , écrira Leopold Mozart, comblé par ce triomphe.

Après la visite des appartements impériaux, il faut traverser les jardins et se diriger vers l’immense orangerie du château. C’est là que, près d’un quart de siècle après cette première, en 1786, Mozart et Salieri s’affrontent en donnant l’un et l’autre un opéra de leur cru. Une joute mémorable. Pour leur fille préférée, Marie-Christine, qui règne alors aux Pays-Bas, le couple impérial organise une fête de gala et commande à chacun des musiciens un opéra. Une scène est installée aux deux extrémités de l’orangerie et l’on donne successivement les deux £uvres. Ce soir-là, à l’applaudimètre, c’est l’Italien qui remporte le  » match « . Mais, précise inutilement un petit texte fixé à l’intention des touristes,  » c’est bien Wolfgang Amadeus Mozart qui est immortel « .

A Vienne, certains lieux de la  » Mozartie  » sont incontournables, comme la Maison Mozart, où il vécut plus de deux ans et où il composa Les Noces de Figaro, la chapelle du Crucifix de la cathédrale (où sa dépouille reçut la dernière bénédiction), le cimetière Saint-Marx (ravissant quoique coincé entre une autoroute suspendue et des voies de chemin de fer) ou encore le Theater an der Wien. A vrai dire, ce dernier lieu n’est pas, à proprement parler, mozartien, puisqu’il date de 1801, soit dix années après la mort du maître. Il fut cependant construit pour son ami Emanuel Schikaneder, le librettiste de La Flûte enchantée, grâce à l’argent gagné avec cet opéra. Chargé de plus de deux siècles d’Histoire – Beethoven y créa son Fidelio et Johann Strauss fils la plupart de ses opérettes – ce splendide théâtre de style baroque célèbre le 250e anniversaire de la naissance de Mozart en y programmant, en 2006, la bagatelle deà 90 représentations d’opéra !

Suivant la chronologie de sa vie, tout  » parcours Mozart  » se doit d’aboutir à la Michaelerkirche (l’église Saint-Michel), située derrière la Hofburg (le palais impérial) et face au café Griensteidl. Le 10 décembre 1791, cinq jours après le décès de Mozart, une messe y fut organisée par des proches. Pour la première fois, on donna des extraits du Requiem.  » Les musiciens étaient sans doute des amis, car la facture, qui détaille le coût de la cérémonie, y compris le prix des bougies, la location des candélabres et l’indemnité du sonneur, ne spécifie rien quant à la musique « , remarque l’intarissable Wolfgang Sauseng, organiste de l’église et professeur de composition musicale à l’université. Récemment, le père Peter van Meijl, prêtre de l’église, a quant à lui prononcé une homélie sur le personnage Mozart et son fameux Requiem.  » Il faut comprendre le Requiem comme une prière, dit-il. N’est-il pas remarquable que les derniers mots écrits de la main de Mozart dans sa dernière £uvre soient « de morte transire ad vitam » (à travers la mort vers la vie) ? C’est aussi ce qu’exprime sa musique. Or celle-ci a ceci de supérieur aux mots qu’elle ne laisse pas de place à la discussion. Contentez-vous d’écouter le Requiem ; il n’y a rien à ajouter.  » Après la musique de Mozart, le silence qui suit, c’est encore du Mozartà

Axel Gyldén

A l’orangerie du château, Mozart et Salieri s’affrontent lors d’une joute mémorable

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