Voyage en barbarie

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Cinéaste radical et inspiré, Bruno Dumont signe avec Flandres un film d’une violence extrême, au style intense et au propos terrible.

Dès son premier film, le fulgurant La Vie de Jésus, en 1996, Bruno Dumont a su imposer dans un cinéma français devenu globalement frileux la double radicalité d’un style et d’un propos extrêmement personnels. L’Humanité (1999) et Twenty Nine Palms (2003), moins réussis mais néanmoins marquants, confirmèrent les qualités originales d’une £uvre aux options singulières. Comme Robert Bresson – qu’il admire -, Dumont privilégie les interprètes non professionnels, et instille dans son cinéma des questionnements spirituels marqués par le christianisme. Jouant de la longueur des plans, réduisant les dialogues au strict nécessaire, il fait des paysages naturels des paysages mentaux, et réciproquement. Et fait du sexe, de la violence surtout, les éléments bruts et exposés sans fard d’une humanité livrée à un lourd ennui existentiel, que sa caméra ne se lasse pas de scruter.

Une expérience quasi insoutenable

Avec Flandres, son film le plus abouti depuis La Vie de Jésus, le réalisateur français suscite une nouvelle fois la controverse. Il y suit quelques jeunes gens de ce nord de la France où il situe le plus souvent ses récits, dans leur déplacement militaire vers une terre étrangère non précisée (mais au Sud) où ils vont participer à un conflit armé contre un ennemi là aussi non défini spécifiquement. Demester et ses compagnons commettront et subiront là-bas des actes d’une horreur extrême et d’une abjection totale, avant de revenir (mais pas tous…) au pays reprendre leur vie d’avant, sous ces ciels flandriens plombés qu’affectionne Bruno Dumont.

Grand Prix du jury au Festival de Cannes, Flandres possède une force expressive peu banale, et emmène le spectateur dans une expérience aux lisières du soutenable. Son auteur ne s’y livre pas à une dénonciation déjà cent fois faite de la guerre. Il semble nous y dire que la paix abrutie d’ici et la guerre déchaînée là-bas sont les deux faces d’une même cruauté, d’une même impossibilité d’un rapport authentique, constructif, avec l’Autre. Un viscéral et terrifiant constat, qu’alimente encore la peinture des relations entre hommes et femmes, et qui peut se révéler d’autant plus détestable à accepter qu’il est difficile de ne pas admirer la manière et le style d’un cinéaste à part. Un artiste qui définit sa caméra comme  » un microscope « , et la guerre de Flandres comme  » l’expression de la lutte de nos désirs « .

Louis Danvers

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