Désormais, lorsque le soleil brille, les quais, les visages et les structures de la gare des Guillemins, à Liège, se teintent. © PHOTOS: J-L DERU DANIEL BUREN, ADAGP, PARIS.

Voies et lumières

Le Vif

La métamorphose de la gare des Guillemins opérée par Daniel Buren n’est pas seulement un geste artistique spectaculaire qui embellira le quotidien des usagers pendant un an. Il s’agit aussi d’un plaidoyer affirmant le primat de la peinture sur l’architecture.

Plus subversif que Daniel Buren, tu meurs. On en veut pour preuve son soi-disant adieu à la peinture au début des années 1960. En juin 2016, l’intéressé le formulait de cette façon au micro d’ Augustin Trapenard, sur France Inter: «C’est quand je me suis rendu compte que le mur était indispensable à l’acte de peindre et qu’il n’était pourtant jamais nommé que j’ai quitté la peinture.» Fin de l’histoire? Pas vraiment. En soixante années de carrière et plus de 3 000 expositions, le plasticien français n’a eu de cesse de se réapproprier les supports et les surfaces. Pour ce faire, il n’a pas hésité à porter la couleur et la lumière, deux dimensions essentielles de la peinture, au cœur de nos existences mais également au-delà des limites où il est raisonnable de les attendre.

© PHOTOS: J-L DERU DANIEL BUREN, ADAGP, PARIS.

Au fil de sa carrière, il a prouvé qu’il n’y avait rien de trop grand pour le chromatisme, cette «pensée pure qui résiste aux mots», pas plus que pour les rayons du jour, cet impalpable que nous ne voyons plus et qui est pourtant la condition même du voir. Buren l’a fait dans de nombreux musées, avec lesquels il a bataillé ferme pour contourner la fadeur des éclairages électriques, et s’en charge désormais pour une audience élargie au cœur de Liège, dans la gare signée par l’architecte Santiago Calatrava.

Répondant au nom de «Comme tombées du ciel, les couleurs in situ et en mouvement», la transformation opérée a duré plus de deux mois et étend des filtres de couleur sur une surface de verre de plus de 10 000 m2. Lorsque le soleil brille, les quais, les visages, les structures, se teintent. La dimension métaphysique de l’intervention saute aux yeux, l’agencement renvoyant vers la cathédrale, le vitrail. De cela, ce jeune homme de 84 ans, dont le petit Leica autour du cou pourrait le faire passer pour un touriste, se défend, lui qui se dit «pas du tout travaillé par la question du sacré». Il est vrai qu’il se méfie de toutes les religions, même esthétiques – son usage de la couleur, encore lui, l’a longtemps tenu à l’écart du cénacle austère des artistes se réclamant de l’art conceptuel. Quoi qu’il en soit, ce nouveau chantier monumental et temporaire, inauguré le 15 octobre, ouvre le voyage clos des navetteurs sur le rayonnement cosmique, abouchant le fini à l’infini. Il n’en faut pas plus pour conforter Daniel Buren dans son statut d’artiste vivant majeur ayant fait de l’art un sport de combat.

© PHOTOS: J-L DERU DANIEL BUREN, ADAGP, PARIS.

A la gare de Liège-Guillemins, jusqu’au 15 octobre 2023.

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