Vivre et philosopher

Chacun essaie de vivre selon son envie ou comme il peut. Ensuite, seulement, il tentera en philosophant de donner un sens à ce qu’il fait. Comment faire autrement ?

Vivre d’abord, philosopher ensuite  » , comme dit l’adage romain, n’est-ce pas une solide évidence ? Oui et non. Certes, un quidam qui ne sait trop comment il mangera dans les heures qui viennent et où dormir la nuit prochaine ne pensera qu’à survivre. Quant au terme philosopher, il ne se limite pas à investiguer selon les normes du discours en usage à ce propos, il exprime aussi la capacité pour chacun de s’interroger sur la meilleure façon d’organiser son existence û le sens qu’il lui attribue û, sur la légitimité de certains actes, sur le bien-fondé des conventions sociales et des représentations fondatrices de nos comportements. Autrement dit, philosopher est une attitude commune à l’espèce.

Reste qu’elle est souvent occultée par la confusion qui s’opère entre les mouvements de notre  » psyché  » et les manières de penser qu’apportent l’éducation et l’air du temps. Face aux problèmes que l’existence pose à chacun, nous réagissons avec des arguments qui nous paraissent le mieux adaptés. Il faut des circonstances particulières, comme inadaptées à nos habitudes de penser, ou connaître l’échec répété de comportements jusqu’alors efficaces pour nous interroger. Souvent, il est vrai, l’esprit grégaire l’emporte. Nous calquons sur le mode commun notre réponse face à la nouveauté d’une situation. Cette nouveauté peut être collective (crise, guerre, découverte technique…) ou neuve par rapport à ma seule conscience : le deuil, la maladie, une mutation sociale imprévue, une désaffection, etc. Dans les deux cas, on peut se contenter de faire comme tout le monde… ou philosopher, c’est-à-dire reprendre volontairement son autonomie de penser, même si une bonne part de cette réflexion personnelle se déduit des normes de penser existantes.

Reste ce luxe : prendre sur soi de peser le pour et le contre, de douter des affirmations les mieux établies, bref, de se (re)mettre en question. Ce faisant, nous affirmons que toutes les représentations intellectuelles (c’est-à-dire sociales) sont sujettes à caution. Il n’est pas nécessaire pour cela de prétendre refaire le monde, il suffit parfois de modifier un point de cet écheveau d’évidences pour que le miracle s’accomplisse : penser par soi-même. Philosopher ne se rapporte plus û seulement û à une capacité d’investigation et d’invention à propos de l’ordre des choses, mais à la volonté de le maîtriser pour soi, pour soi uniquement. Quel luxe !

Sandra Sacerdote, Bruxelles

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