Vivier de légendes

Avec ses six tours s’élevant fièrement vers le ciel, le château de Vêves semble tout droit sorti d’une légende de chevalerie. Perché sur un piton rocheux aux confins des Ardennes, son effet de surprise est garanti !

On ne connaît pratiquement rien de l’histoire du château primitif construit par Pépin de Herstal (640-714), arrière-grand-père de Charlemagne. Sans doute a-t-il été attiré par la situation géographique : une colline non loin de l’ermitage de Saint-Hadelin, laquelle domine en outre l’ancienne route de Dinant vers Rochefort. Quoi de plus favorable ? Rasée en 1200, la forteresse initiale fut relevée en 1230 par les sires de Beaufort. Il n’est d’ailleurs pas inutile de souligner que la bâtisse actuelle est, depuis huit cents ans, propriété de cette même famille ! Un exploit en soi. Maître des lieux, le comte Hadelin de Liedekerke Beaufort est le descendant direct du seigneur à l’origine de la campagne de construction du XIIIe siècle.

Comme tous les châteaux, celui de Vêves fut l’objet de nombreux aménagements. Pourtant, fidèle à la philosophie de cette série, nous n’y prêterons pas attention (ou si peu), préférant nous concentrer sur les anecdotes – étonnantes ou attachantes – qui réveillent ces dédales somnolents.

Tout ça pour une vache !

Bien que situé dans le comté de Namur, le château de Vêves était inféodé à la principauté de Liège. Il se trouvait donc souvent, en raison de son identité géographique atypique, au c£ur des conflits qui agitaient la région… Le plus notable, entre 1275 et 1278, reçut des livres historiques le nom de guerre des Vaches.

Rappel des faits. Lors d’un tournoi organisé à Andenne par le marquis de Namur, un certain Engoran (paysan d’une petite ville qui dépendait de Beaufort) vint y vendre une vache qu’il avait volée à un habitant de Ciney. Pas de chance, ce dernier présent sur les lieux reconnut sa bête ! Aussitôt, il porta plainte auprès du bailli du Condroz, Jean de Halloy. Malheureusement, l’homme d’autorité n’avait dans cette affaire aucun pouvoir, Andenne étant hors de sa juridiction. Rusé, il réussit néanmoins à faire venir le voleur en Condroz où il fut ex tempore capturé et pendu à un arbre. Cette exécution déplut fortement au seigneur de Goesnes, lequel convoitait d’ailleurs la place de Jean de Halloy. Il organisa donc une expédition pour se venger de l’infamie commise par le bailli du Condroz. La réaction ne se fit pas attendre… Jean de Halloy répliqua en incendiant les terres de Goesnes. Et ainsi de suite… La situation prenait des proportions considérables. De nombreuses alliances entre les grands seigneurs s’établirent tant et si bien que ce furent bientôt le Condroz tout entier, le comté de Namur, le pays de Liège et même de Luxembourg qui entrèrent en guerre. L’incident initial se transforma en un conflit de trois ans qui mit toute la région à feu et à sang et fit, dit-on, près de trente mille morts !

Notre-Dame de Foy, Vierge miraculeuse

En 1609, dans le c£ur d’un chêne qu’il venait d’abattre, le bûcheron Gilles de Wanlin découvrit une statuette en terre cuite de la Vierge tenant dans ses bras l’Enfant-Jésus. L’arbre que l’homme avait débité se trouvait au bord du chemin emprunté par les pèlerins cheminant vers Saint-Hubert. Selon toute vraisemblance, l’un d’eux l’avait déposée deux siècles plus tôt dans un creux du tronc. Au fil des ans, l’écorce se referma sur la statuette ; son existence fut oubliée. Le bûcheron la transporta en la chapelle du château de Vêves où elle suscita  » de tels prodiges  » que l’évêque de Liège la déclara miraculeuse. Notre-Dame de Foy sauva même l’un des petits seigneurs. En 1624, le jeune baron Thierry de Beaufort fit une terrible chute dans l’escalier du château que d’aucuns qualifièrent de mortelle. Le garçonnet n’avait que 3 ans. Sa mère, la baronne, pria la Vierge si intensément que le petit se remit miraculeusement de ses blessures.

Sur l’emplacement du chêne, les Beaufort firent construire un sanctuaire, remplacé par l’actuelle église de Foy-Notre-Dame où se trouve la statuette originale. Initialement, le baron de Celles replaça la statuette miraculeuse dans un autre chêne. Mais constatant que celle-ci était victime de plusieurs tentatives de vol, l’homme la plaça dans la chapelle du château. Longtemps, elle y fut vénérée, un culte spontané s’étant développé. Des visiteurs de partout affluaient. Durant tout le XVIIe siècle, le sanctuaire jouit d’une extraordinaire renommée.

Aujourd’hui, une réplique à l’identique reste dans l’oratoire du château, une petite chapelle dans la tour ouest caractérisée par une belle voûte. A cet endroit plane encore le souvenir du jeune Thierry que la petite Vierge requinqua.

Hilarion

Un autre enfant marqua l’histoire du château. Premier comte de Liedekerke Beaufort (1762-1841), le jeune Hilarion est un personnage réellement attachant. Non sans humour, il raconte dans ses Mémoires toutes les espiègleries de son enfance, avec pour toile de fond ce château que nous visitons. Au rang des souvenirs croustillants, l’épisode mettant en scène les trois frères en prise avec leur précepteur.

 » Nous avions un frère cadet, Théodore. Un jour, je ne sais plus trop pour quel méfait l’abbé le fit placer à genoux dans un coin de l’école. Jurant de ne pas souffrir davantage l’humiliante punition, le voilà qui se lève et vient se rasseoir à côté de nous. L’abbé s’en saisit pour le replacer à genoux ; l’autre s’en défend, la querelle s’échauffe. L’abbé s’arme aussitôt de la fameuse verge et veut l’en frapper. Le petit résiste. Enfin voilà toute une rixe ! Finalement, l’abbé, ne se sentant pas assez fort pour s’assurer la victoire, court à la sonnette et fait monter un domestique, non seulement pour l’aider à contenir, mais encore à déculotter le rebelle afin que la flagellation s’ensuive. Le patient criait et pleurait beaucoup ; nous en étions sensiblement touchés… C’était notre benjamin ! Le sang parla, nous monta à la tête. Tout à coup, nous nous armons, mon frère et moi, des écritoires de plomb, bien lourds et remplis d’encre, que nous avions devant nous. A l’instant même, je cours jeter le mien à la figure de l’abbé, et mon frère en fait autant à son garçon bourreau, le domestique. Les voilà tous deux bien noirs, bien meurtris et même sanglants ! Le supplice est interrompu, le patient se relève, se dégage, et, bien qu’à moitié nu, s’enfuit avec ses libérateurs. L’escalier fut franchi en deux sauts… et nous dérobait à leurs yeux…  » Hilarion rapporte que son père en était presque fier et qu’il aurait volontiers ri de l’aventure.

Si les éclats de rire du jeune garçon ont depuis longtemps déserté le château, d’autres cris joyeux emplissent les lieux. Chaque année, des milliers d’enfants franchissent les lourdes portes de la forteresse. Sans tarder, tous se déguisent en princesses ou chevaliers. Et c’est alors tout un monde qui s’ouvre à eux : celui des danses médiévales, des contes fabuleux et de la chasse au trésor des Beaufort.

Château de Vêves

3, rue de Furfooz, à Celles-Houyet. www.chateau-de-veves.be

Le château est accessible au public les week-ends et jours fériés du 1er avril au 4 novembre, tous les jours du 14 juillet au 2 septembre et pendant les vacances de Pâques et de Toussaint.

TEXTE : GWENNAËLLE GRIBAUMONT PHOTOS : FRÉDÉRIC PAUWELS/HUMA POUR LE VIF/L’EXPRESS

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