Visite en avant-première
Se déployant sur quatre niveaux, le musée Fin-de-Siècle témoigne de la multitude des disciplines artistiques en Belgique entre 1865 et 1914. Quand Bruxelles était un carrefour d’influences unique et la capitale de l’Art nouveau.
NIVEAU -5 Les pionniers du réalisme
Si le réalisme fut bel et bien encouragé par l’oeuvre de Gustave Courbet (qui expose à Bruxelles en 1851 et dont le Fin-de-Siècle présente La Danseuse espagnole), il s’inscrit chez nous avec des qualités particulières qui tiennent à l’excellence du métier et au sens des couleurs. Au nom de la modernité, les thèmes historiques de la grande peinture (qu’elle soit néoclassique ou romantique) font place aux sujets d’actualité. Charles de Groux, dont Les Glaneuses accueillent le visiteur, se penche sur la vie paysanne comme Constantin Meunier (Les Arracheurs de pommes de terre). Leurs tableaux renvoient aussi l’image de la piété (La Prière de Meunier ou Le Bénédicité de de Groux). Ces mêmes artistes et d’autres dépeignent aussi une bourgeoisie avide des plaisirs de la vie nocturne et du théâtre. En témoignent, le long des cimaises, les oeuvres de Félicien Rops, Charles Hermans et Alfred Stevens (La Dame en rose). En 1868, la création de la Société libre des Beaux-Arts (qui s’oppose aux diktats des Salons officiels) inscrit à son programme » l’interprétation libre et individuelle de la nature « . D’où l’art du paysage que développe le second espace. Le face à face entre la peinture française (les peintres de Barbizon – Corot, Rousseau et Daubigny) et notre » tempérament » est éloquent. Surtout devant la puissance des gris d’une mer démontée dans L’Epave de Louis Artan et le mystère inquiétant des Cigognes de Louis Dubois.
NIVEAU -6 Du réalisme social au post-impressionnisme
Le travail sur le motif aiguise le regard. Il valorise aussi la touche plutôt que le dessin comme le montre l’oeuvre d’Hippolyte Boulenger à Tervuren. Une pratique que l’on retrouve dans L’homme à la fenêtre de Henri de Braekeleer, une scène qui fait la part belle à l’intériorité. Ainsi, face au réalisme social (de L’Enlèvement du creuset brisé de Meunier au Lampiste d’ Ensor) naît peu à peu un impressionnisme belge tout en nacres et gris colorés. Peu de soleil en nos régions mais la beauté de la pluie (Vogels) ou encore de la mer du Nord et de ses plages. Un univers au ciel bas dans lequel Ensor plante ses premiers masques et squelettes. » Soyons nous « , déclare la revue La Jeune Belgique (Verhaeren, Rodenbach, Eeckhoud…) dès 1881. Trois ans plus tard, les expositions organisées par le Groupe des XX vont réunir toutes les nouvelles audaces dont celle du pointillisme à partir de 1887. Pourtant, Finch, Lemmen ou van Rysselberghe n’en épousent pas l’esprit musical. L’ attachement de ce dernier au » portrait » rend ses oeuvres très » belges « . De même, alors que Rodin (une très belle caryatide) travaille à Bruxelles, l’idéal intimiste, voire décoratif des Nabis (Bonnard, Vuillard, Denis) trouve auprès d’Evenepoel un accent particulier. En fin de parcours, la confrontation entre le solaire Bonnard et les compositions monumentales de Laermans ( Les Emigrants et Soir de grève) révèle la distance entre le bonheur insouciant des uns et la sombre épopée des gens d’en bas.
NIVEAU -7 Entre les silences de la mélancolie et les révoltes du Moi
Grâce au dynamisme du Groupe des XX, notre pays devient un véritable carrefour des avant-gardes littéraires, musicales et plastiques. Ainsi, face au réalisme (et sa tendance à l’expressionnisme) se dessine une autre voie qui nous emmène sur les terres de la mélancolie et du narcissisme. A l’entrée de cette nouvelle section, Bruges en est la première scène et Fernand Khnopff, le héros. Au centre de la salle trône la maquette de la maison dont il imagine les plans et les décors, son temple aujourd’hui détruit. Et sur les cimaises, aux côtés de photographies rehaussées et d’un portrait de Sarah Bernhardt (par Jan Van Beers), une suite de chefs-d’oeuvre ainsi qu’une belle confrontation entre Le Cortège de l’anglais Burne-Jones et Memories deKhnopff. Dans le second espace, après un couloir où sont évoquées l’influence de l’opéra (le wagnérisme et sa notion d’art total) et la présence belge en Afrique (dont les effets sur l’art ne se feront sentir que plus tard), se déploie un climat d’étrangeté. Le silence couvre d’ombres l’univers de Mellery et de nuits bleues celui de Degouve de Nuncques). Mais » l’ouverture de l’âme » réveille aussi les interdits (La Tentation de saint Antoine de Rops voisine avec Satan et les légions d’Ensor) et le sentiment de solitude qu’évoque la figure de l’artiste-Christ d’Odilon Redon. Les oeuvres littéraires croisent ici les images. La Morte, un pastel de Schlobach, rappelle qu’en Belgique, l’irréel et son
NIVEAU -8 Au tournant du siècle, l’Art nouveau et les ultimes sursauts
Le parcours se divise ici en trois temps. Le premier, le plus spectaculaire, révèle les 250 pièces de la collection Art nouveau Gillion- Crowet. Accueilli par Nature, un chef-d’oeuvre de Mucha, le visiteur découvre tour à tour les productions (verre, céramiques et surtout mobilier) des maîtres de l’Ecole de Nancy : Emile Gallé, Auguste Daum et Louis Majorelle. Viennent ensuite les Belges Horta et Wolfers ainsi que la production 1900 des cristalleries du Val Saint-Lambert. Le tout ponctué par l’intégration de toiles de Mellery, Lamarche et Khnopff (L’Aile bleue). Cette immersion dans le décor Art nouveau se termine avec les bijoux de Lalique, le bestiaire de l’Italien Bugatti et un ensemble de verres de Bohême. La deuxième salle nous entraîne dans une confrontation entre les débuts du cinéma et l’univers des Idéalistes et de leurs grandes machines à rêver signées Constant Montald, Jef Lambeaux ou encore Emile Fabry. Le dernier espace met en présence deux singuliers de l’art belge, Georges Minne et Léon Spilliaert avec leurs contemporains plus frileux. La dernière toile du parcours, datée de 1912, est une Eve de Gustave De Smet. A la contempler, on ne sait au juste si elle conclut le XIXe siècle ou si, comme l’indique la pose et la nudité du corps séducteur de l’héroïne tentée par une pomme rouge qu’elle convoite, l’oeuvre désigne le désir d’en sortir. • G. G.
Par Guy Gilsoul
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici