Vienne : viva la libertà !

Christian Makarian

Chassé de Salzbourg la provinciale, le jeune compositeur conquiert la capitale artistique de l’Empire. Plus dure sera la chute

Lorsque, le 8 juin 1781, Mozart est jeté, à coups de pied aux fesses, hors du logis qu’occupent son patron, le prince-archevêque Colloredo, et sa cour salzbourgeoise durant leur séjour à Vienne, il a pourtant de quoi se réjouir : le voici, à 25 ans, prêt à partir, en homme libre plutôt qu’en Rastignac, à la conquête de la capitale artistique de l’empire des Habsbourg, une ville qui le fascine et qui l’attend.

A la vérité, cette conquête avait débuté dix-neuf ans plus tôt, lorsque l’enfant prodige avait été invité à venir charmer la cour impériale à Schönbrunn. Alors il avait sauté sur les genoux de l’impératrice Marie-Thérèse, et promis le mariage à sa fille de 5 ans, Marie-Antoinette, future reine de France. En 1781, c’est le frère de cette dernière, Joseph II, qui règne sur le Saint-Empire romain germanique. Sans toutefois avoir jamais accédé à ses demandes répétées d’un poste stable, le jeune monarque connaît bien Mozart, pour avoir notamment été à l’origine de son opéra La Finta Semplice, en 1768.

A la vérité également, cette installation à Vienne avait eu lieu, dans le c£ur de Mozart, depuis quelque temps déjà, puisque la famille Weber y vivait depuis 1779 : c’est d’ailleurs à l’îil de Dieu, le logis dont Mme Weber loue les appartements pour arrondir ses revenus, qu’il trouvera refuge après son congédiement – avant de partir s’installer avec Constance, qu’il épouse en 1782.

Sous le règne de Joseph II, la vie musicale viennoise est florissante, grâce notamment à une bouillonnante activité théâtrale. Depuis 1776, en effet, et la décision de la cour d’autoriser les producteurs privés à diriger des théâtres, les salles se sont multipliées, notamment dans les faubourgs – c’est d’ailleurs au Theater auf der Wieden que sera donnée La Flûte enchantée, ultime ouvrage lyrique de Mozart. En outre, l’empereur, soucieux de promouvoir un opéra en langue allemande, a été à l’origine de la création, en 1777, dans l’enceinte du prestigieux Burgtheater, du National Singspiel, où est créé, en 1782, L’Enlèvement au sérail. Si l’£uvre ne l’enthousiasme guère, cela n’empêchera pas Joseph II de cautionner les représentations des Noces de Figaro, adaptation d’une pièce de Beaumarchais pourtant censurée par le régime. Cela ne l’empêchera pas non plus de prendre Mozart à son service, en 1787, en le nommant compositeur de la chambre impériale et royaleà

La musique viennoise bat également au rythme des nombreux salons musicaux : ceux de l’aristocratie et de la bourgeoisie, désormais ouverts au  » grand public  » pour permettre à celui-ci de découvrir les virtuoses et les £uvres de son temps. Mozart s’y illustrera notamment en tant que pianiste, hôte régulier chez les Esterhazy ou le prince Galitzine. Si l’on ajoute à cela l’apparition des concerts de bienfaisance, et l’existence des académies (ces concerts organisés à leurs frais par les compositeurs), on comprend que Vienne offre à Mozart une vie autrement trépidante que la provinciale Salzbourg.

Et pourtant. Quelques jours avant de lui botter le train, le comte Arco, bras droit de Colloredo, l’avait averti :  » Croyez-moi, ne vous laissez pas trop éblouir, ici la renommée d’une personne dure bien peuà  » Le règne de Mozart sur Vienne, bien que parfois entravé par les querelles courtisanes, durera plusieurs années. Mais la chute qui s’ensuivra sera à sa mesure. Le musicien verra bientôt se détourner de lui ce même public qui l’avait auparavant porté au pinacle. Sur les dix années qu’il passera à Vienne, Mozart déménagera douze fois, et la liste de ses domiciles successifs reflète fidèlement son ascension, puis son déclin. Entre 1784 et 1787, il mènera grand train dans la somptueuse maison Camesina (aujourd’hui Figaro-Haus, un musée consacré au compositeur). Puis, chassé par les créanciers, il passera les trois dernières années de sa vie dans une modeste maison située dans les faubourgs. Et c’est là, dans une fosse commune, que sera enseveli son cadavre.

Vienne l’impériale aura ainsi été le théâtre de l’âge d’or de Mozart : il y trouva là des amis, un idéal (la franc-maçonnerie), des conditions propices à faire éclore ses plus grands chefs-d’£uvre. Mais Vienne aura aussi marqué la naissance de sa tragédie – ville du crépuscule, emportant dans ses limbes, dans son tourbillon, un artiste qui aura chèrement payé le prix de sa liberté. l

D. Sn

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