Vents divins

Juin 1945. La cascade des victoires américaines dans le Pacifique pousse l’autorité militaire japonaise, moins illusionnée que soucieuse de l’honneur national, à multiplier des opérations de plus en plus désespérées. Le temps des kamikazes bat son plein. Masanori, jeune pilote idéaliste, figure parmi les militaires qui se sont portés volontaires pour en être. Après sa mort, son épouse Asuka accouche de leur fils Naoki. Kamikaze d’été, le premier roman de Stéphane Giocanti – féru de culture japonaise et connu aussi pour sa biographie de T.S. Eliot – s’articule en deux temps. D’abord, les quelques jours vécus par Masanori et ses camarades avant leur mission-suicide, puis les années d’après-guerre alors que Naoki, jeune étudiant, se voit rejeté par sa mère, réfugiée dans le passé, au double titre de son homosexualité et, surtout, de son apparente indifférence à la mémoire du héros dont Asuka entretient le culte.

Peu à peu, grâce, notamment, à la médiation d’un oncle et au soutien attentif de l’amant du jeune homme, les voies difficiles de la réconciliation s’ouvriront entre Asuka et Naoki, entre un Japon toujours hypnotisé par le désastre de la guerre et le Japon d’après, en passe de devenir une des plus grandes puissances économiques du monde. Toutefois, et c’est une nuance capitale du roman, il ne s’agira pas pour Naoki d’avaliser en quoi que ce soit l’exaltation belliqueuse qui a mené le Japon à la guerre et à sa perte. Mais bien de considérer que, dans ce contexte qui l’a provoqué, le sacrifice de son père relevait bien moins de l’obéissance à une sorte d' » effort de guerre « , imposé par le pouvoir militaire, que du souci impérieux d’honorer la tradition et la culture ancestrale dans ce qu’elles offraient de plus riche, de plus exigeant et de plus sublime.

Sur ce chemin, Naoki se voit conforté par ses rencontres avec l’univers artistique et littéraire, qu’il s’agisse du nô ou du kabuki, des films de Kurosawa ou de Mizoguchi, des £uvres de Kawabata et, surtout, de Mishima, qu’il vénère, dont il vivra pratiquement en direct le suicide public. Mishima qui fustigeait la honteuse trahison par laquelle, après la guerre, les jeunes kamikazes, ces Vents divins,  » avaient péri une deuxième fois « , morts pour rien dans une patrie qui ne songeait plus qu’à son essor économique et piétinait les valeurs pour lesquelles ils s’étaient sacrifiés.

Loin d’un Japon de pacotille, le roman de Giocanti visite en profondeur ses racines et ses paradoxes avec une belle subtilité d’écriture et avec cette poétique où la vision intérieure se fond dans la réalité cosmique, ainsi qu’elle s’exprime à travers son fabuleux patrimoine artistique. A cet égard, le récit à la fois puissant et tout en sensibilité des heures qui précèdent le sacrifice de Masanori est lui aussi d’une veine superbe et en parfaite osmose avec cet héritage.

Kamikaze d’été, par Stéphane Giocanti. Le Rocher, 201 p.

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