Venise, canal historique
Deux expositions parisiennes, présentées aux musées Maillol et Jacquemart-André, rendent hommage à la peinture vénitienne et à ses têtes d’affiche, Canaletto et Guardi. Deux trajectoires, deux styles. Face-à-face.
Giovanni Antonio Canal, dit Canaletto (1697-1768)
Aucune ville n’a autant fasciné que la Sérénissime. Et les peintres n’ont cessé de vanter son faste et ses charmes. C’est au XVIIIe siècle que l’art de ces vues vénitiennes, appelées » vedute « , connaît son apogée. La cité des Doges constitue alors une étape essentielle du » Grand Tour « , périple culturel effectué par les aristocrates et intellectuels européens. Ils remportent, en souvenir de leurs voyages, ces séduisants tableaux, cartes postales de luxe, qu’ils accrochent dans leur salon.
Canaletto ne fut pas l’inventeur de la veduta, mais son représentant le plus connu. En 1720, il abandonne la carrière de décorateur de théâtre pour se consacrer au paysage vénitien. Et il le fait avec une telle maestria qu’il remporte un succès foudroyant. Un succès que décuplera bientôt sa rencontre avec Joseph Smith. Prenant le peintre sous son aile, ce mécène et collectionneur, banquier à ses heures et consul de Grande-Bretagne, va, durant trente ans, jouer le rôle d’un redoutable imprésario. Croulant sous les commandes, Canaletto domine la concurrence.
Alors que la cité des Doges amorce son déclin politique, le peintre perpétue l’image d’une Venise idéale, avec ses palais majestueux et ses fêtes somptueuses. Les Britanniques s’arrachent ses compositions, louant la rigueur de leur construction, leur sens de la perspective, la précision de leurs détails. A partir de 1730, la production de Canaletto est même quasi exclusivement réservée à cette clientèle anglaise, où figure tout le gotha des ducs, des comtes et le roi George III en personne. Sous la pression de Joseph Smith, et pour se rapprocher de ses commanditaires, Canaletto s’installe à Londres, en 1746. Lorsqu’il rentre à Venise, après une absence d’une dizaine d’années, sa place est occupée par un certainà Francesco Guardi (voir page de droite). Son heure de gloire est passée. Canaletto ne sera pas oublié pour autant. Au fil des siècles, le charme de ses vedute continue d’opérer. L’Angleterre conserve toujours les traces de son phénoménal succès. D’après les spécialistes, le pays conserverait dans les collections publiques ou privées quelque 200 de ses tableaux, soit la moitié de sa production.
Francesco Guardi (1712-1793)
Si Guardi apparaît aujourd’hui comme le rival de Canaletto, ce ne fut pas le cas de son vivant. Car il connut un destin bien moins glorieux. D’abord peintre de figures dans l’atelier familial, il ne se tourne vers l’art de la veduta que tardivement, à l’âge de 45 ans, sans doute poussé par des raisons économiques. Il exécute ses premiers paysages vénitiens vers 1755, époque à laquelle Canaletto rentre de son long séjour londonien. A-t-il alors été son élève ? C’est possible. Il s’inspire en tout cas de ses tableaux. Parmi les contemporains, il est toutefois celui qui s’est le plus détaché de son influence.
Place Saint-Marc, Grand Canal, pointe de la Douane, laguneà Guardi pose son regard dans tous les coins de Venise, mais sa touche vaporeuse l’éloigne de la précision descriptive qui a fait la réputation de Canaletto. Contrairement à lui, il ne cherche pas à idéaliser la Sérénissime et peint une Venise dont les feux sont en train de s’éteindre.
Guardi développe une production encore plus importante que celle de son aîné. On estime à 900 le nombre de ses vedute, de formats souvent plus modestes. Il a lui aussi ses commanditaires, notamment le fameux Joseph Smith. Mais la chute de la République tarit le tourisme vénitien. Guardi meurt dans la pauvreté. Puis sombre dans l’oubli. Il ne ressort de l’ombre que dans les années 1850, redécouvert par les impressionnistes, qui louent sa touche libre, ses cieux tourmentés, ses effets atmosphériques.
Depuis, sa réputation s’est assise. En juillet 2011, une vue du pont du Rialto s’est envolée, à Londres, sous le marteau de Sotheby’s pour l’équivalent de 30 millions d’euros, battant un précédent record d’une vue du Grand Canal signée de Canaletto. Tous deux jouent désormais ensemble dans la cour des grands. l
ANNICK COLONNA-CÉSARI
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