Vance balance

Le procureur semblait contraint d’abandonner les charges. C’est moins évident aujourd’hui : la victime a perdu en crédibilité, pas les faits qu’elle dénonce. Suffisant pour aller au procès ?

DE NOTRE CORRESPONDANT

PHILIPPE COSTE

Depuis le 1er juillet, l’affaire Strauss-Kahn suit les pentes des montagnes russes : tantôt l’inculpé est proche d’une relaxe, tantôt son procès semble encore possible. Car le grand ordonnateur de cette bataille judiciaire, le procureur Cyrus Vance, fait part de ses certitudes, comme de ses doutes, en temps réel.

Depuis que le district attorney a communiqué aux avocats de Dominique Strauss-Kahn, le 30 juin, des éléments montrant le manque de fiabilité de la victime présumée, la cause semblait entendue :  » Soit Strauss-Kahn est innocent et il aura vu son honneur injustement flétri, sa carrière dévastée par des soupçons injustes. Soit il est coupable, mais il aura eu la chance de choisir une victime dont la faible crédibilité lui permet d’échapper à une condamnation devant un tribunal. Dans les deux cas, les procureurs ne semblent pas avoir d’autre choix, pour l’instant, que d’abandonner l’idée d’un procès « , constate Matthew Galluzzo, ancien procureur à la section des crimes sexuels à Manhattan.

Ses mensonges doivent-ils la priver de ses droits ?

Voilà la stratégie de Vance remise en question. N’aurait-il pas fait preuve d’un empressement excessif ? Une accusation suffit aujourd’hui aux Etats-Unis pour ouvrir une enquête après une plainte pour viol. Les policiers et les procureurs n’avaient aucune raison de douter de Nafissatou Diallo, ni de soupçonner qu’elle avait déjà menti, sept ans plus tôt, à l’immigration. Ils auraient pu se donner le temps de s’informer mieux sur le passé et la crédibilité de l’accusatrice avant d’arrêter DSK. Mais le suspect s’apprêtait à s’envoler pour la France, pays qui n’extrade pas ses ressortissants. La mécanique judiciaire a fait le reste : la mise sous écrou contraignait le parquet à motiver son inculpation par un grand jury dans les cinq jours suivants. De même, pour justifier un refus de libération sous caution, toujours par crainte de fuites, les procureurs devaient arguer que  » la gravité du cas  » pouvait inciter DSK à s’échapper. Ils se sont donc focalisés sur les détails des faits présumés. Les premières enquêtes de routine sur Diallo n’ont commencé que début juin.

La divulgation de leurs résultats – peu favorables à la victime présumée – semblait préparer l’opinion à un abandon des charges. Or, le 1er juillet, l’équipe de Cyrus Vance continue de demander à DSK de plaider coupable pour l’un des chefs d’accusation mineurs, le délit de séquestration, contre promesse de libération immédiate. Mais le rapport de forces a tellement basculé à l’avantage de l’accusé que ses défenseurs, Benjamin Brafman et William Taylor, refusent ce deal : il exposerait leur client à un déballage éventuel sur sa rencontre avec Diallo, et fournirait à cette dernière un argument précieux pour un futur procès civil, soumis à des règles de preuves bien plus souples. Les avocats de Strauss-Kahn se placent dans une nouvelle logique, celle du rétablissement total de la réputation de leur client, un objectif qui suppose la clôture de l’enquête et le silence sur ce qui s’est passé dans la chambre du Sofitel.

Cyrus Vance n’a donc pas pu négocier ce repli ordonné, ni lors de l’audience du 1er juillet, consacrée exclusivement à la libération sur parole de DSK, ni même au cours d’une réunion à huis clos, le 6 juillet, entre avocats et procureur. En revanche, le district attorney a réitéré avec une fermeté surprenante son choix de poursuivre l’enquête. Comme s’il voulait corriger l’impact d’un réquisitoire sans nuances contre la femme de chambre. Ses mensonges, au moment de sa procédure d’immigration, ne sont-ils pas justifiés par les exigences démesurées de l’administration américaine ? Et doivent-ils la priver de ses droits à la justice ? C’est l’argumentaire développé par une dizaine d’organisations humanitaires affirmant leur soutien à Diallo.

Revirement de l’opinion publique

La technique aussi a volé au secours de la plaignante : de nouvelles analyses de sa carte magnétique d’accès aux chambres semblent corroborer sa version initiale des faits (qu’elle avait infirmée par la suite) : elle se serait bien réfugiée dans un local de service, au lieu de continuer son travail.

La portée d’un autre élément accablant est aussi relativisée : sa conversation avec son mari emprisonné en Arizona semble montrer un intérêt pour la fortune de DSK. Mais elle souffrirait de problèmes de traduction et confirmerait le récit du viol, tel qu’elle l’a décrit à la police, aux infirmiers spécialisés de l’hôpital St Luke de Manhattan et au grand jury. L’analyse de plusieurs autres appels téléphoniques n’a toujours pas commencé, faute de traducteurs assermentés en dialecte foulani.

D’où ce paradoxe pour Cyrus Vance : il n’a aucun espoir, pour le moment, de gagner un procès, vu les failles de la plaignante, mais le dossier contient encore assez d’éléments factuels troublants pour justifier la poursuite de l’instruction. De plus, la plainte en France de Tristane Banon a fait grand bruit à New York. Certes, les procureurs confient que cette affaire n’aurait que peu de chances d’être citée lors d’un éventuel procès de DSK, en raison d’une stricte jurisprudence américaine. Mais elle peut influencer une opinion publique qui a déjà amorcé un revirement en faveur du procureur. Les éditoriaux louent le courage avec lequel il a dévoilé lui-même les failles de Diallo. Et Robert Morgenthau, son prédécesseur pendant trente-cinq ans, très respecté pour son engagement en faveur des victimes d’agressions sexuelles, l’a félicité pour son comportement éthique.  » Je suis persuadé que le district attorney décidera du sort de cette affaire seulement en fonction des principes, des faits et de la loi, confie Morgenthau. Et seulement lorsque lui et son équipe se déclareront satisfaits de leur enquêteà  »

P.C.

 » Le district attorney décidera seulement en fonction des principes, des faits et de la loi « 

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