Valerie Jarrett Le miroir d’Obama

A la Maison-Blanche, cette proche du président est – avec l’épouse de ce dernier, Michelle – sa conseillère la plus écoutée. Elle et lui partagent le même regard sur le monde. Et un passé riche de points communs.

DE NOTRE CORRESPONDANT

Il faut avoir une échine d’acier sous le tailleur Calvin Klein, ou un c£ur de mère poule, pour dire à un homme ses quatre vérités quand ce dernier se nomme Barack Obama.

A l’heure où les sondages du président cafouillent et où son état de grâce s’étiole dans les arguties qui entourent l’assurance-santé, ce rôle de confidente de choc incombe plus que jamais à un petit bout de femme aux tenues chics et au ton suave d’une dame patronnesse de Chicago : Valerie Jarrett. La plus écoutée des conseillers d’Obama est installée depuis janvier au premier étage de l’aile ouest de la Maison-Blanche, dans un bureau clair et spacieux occupé en d’autres temps par la première dame, Hillary Clinton, puis par Karl Rove, gourou politique de George W. Bush.

Au rez-de-chaussée, à bonne distance, d’autres vizirs de la présidence comme David Axelrod, stratège électoral, David Plouffe, communicateur émérite, ou Rahm Emanuel, directeur de cabinet, s’entassent dans des locaux minuscules mais stratégiquement proches du bureau Ovale. Mais Valerie Jarrett, qui, à 52 ans, en a passé dix-huit dans la mouvance de Barack et Michelle, ne craint pas de prendre du champ.

C’est à son regard distancié, justement, que cette femme d’affaires révérée de Chicago, âme des réseaux financiers et politiques de la métropole du Midwest, doit une partie de son influence dans la capitale.  » On m’a décrite comme une  »outsider » de l’intérieur. Et j’aime bien « , précise celle que le Chicago Tribune dépeignait déjà en 1996 comme la  » s£ur aînée « , le  » mentor  » et même l' » autre côté du cerveau d’Obama « .

L’alter ego est aujourd’hui l’un des trois ou quatre collaborateurs du président admis à volonté dans le bureau Ovale. Et l’une des rares intimes, avec Michelle, Sasha et Malia, qui disposent de l’adresse e-mail personnelle du BlackBerry présidentiel.

Pour lui dire quoi ? L’organigramme de la Maison-Blanche la désigne comme  » assistante chargée des relations intergouvernementales et des prestations publiques du président  » ; un titre à rallonge qui fait de cette ancienne avocate, diplômée de Stanford et de l’université du Michigan, la voix d’Obama dans le vaste monde, des congrès de maires américains aux plateaux des télévisions et aux tribunes de Davos, dès lors que le sujet dépasse l’écume du politique pour engager l’identité, les principes ou l’esprit même de la présidence.

En retour, Jarrett, ancien bras droit de deux maires tout-puissants de Chicago, longtemps patronne des services publics de la ville, puis d’un des plus grands organismes américains de logement social, est, au dire même du président,  » ses yeux et ses oreilles  » et lui sert d’antenne analytique et sensible dans la société civile comme dans les arcanes de Washington.

C’est elle, l’ancienne gérante du Stock Exchange de Chicago, qui a su alerter son patron sur les craintes du monde des affaires après ses sorties brutales contre les bonus des banquiers. Elle, encore, qui lui a rapporté, avec une franchise certaine, le malaise des Noirs devant son apparente indifférence aux ravages de la crise sur leur communauté. Chaque fois, il l’a écoutée, et a infléchi ses décisions. Au détriment, parfois, de ses intérêts politiques immédiats.

 » Dans ma position, on subit une cacophonie de voix et d’intérêts discordants, au point de ne plus s’entendre soi-même « , confiait déjà Obama, lorsqu’il n’était encore que candidat au Sénat de l’Illinois, pour expliquer la présence discrète, mais constante de son amie.  » Je lui fais une confiance totale, et je l’associe toujours à toutes mes prises de décision, a-t-il ajouté. Elle est de ma famille. « 

Célibataire depuis son divorce, en 1988, d’avec William Jarrett, médecin et fils du célèbre journaliste noir Vernon Jarrett, cette mère d’une fille de 23 ans, étudiante à Harvard, a refondé sa vie autour de Barack et de Michelle :  » Je suis une chambre d’écho, reconnaît-elle. Je les connais assez pour leur rappeler de temps à autre qui ils sont. « 

Leur trio a commencé en 1991, à l’époque où, alors adjointe de Richard Daley, le maire de Chicago, Valerie tentait de convaincre Michelle Robinson, une brillante avocate sortie de Harvard, d’opter pour le service public. La future madame Obama, encore hésitante, l’avait conviée à dîner, pour la soumettre aux questions de son fiancé.

Barack, élevé par des Blancs à Hawaii et en Indonésie, a pu trouver, ce soir-là, à la table d’un bon restaurant de Chicago, le miroir de sa vie cosmopolite dans l’incroyable CV de Valerie. Née Valerie Bowman en 1956 à Chiraz, en Iran, où son père, prestigieux médecin et généticien, dirigeait un hôpital financé par l’aide internationale américaine, elle y a vécu six ans, entrecoupés de barouds au Kenya, au Ghana et en Egypte exigés par les recherches paternelles, avant de déménager à Londres, puis de découvrir, en 1963, le Chicago natal de ses parents.

Avec Barack, une amitié est alors née, scellée par les mêmes questionnements identitaires. Trois ans plus tard, il lui soumettra, en même temps qu’à Michelle, les premiers chapitres de Rêves de mon père, son autobiographie magistrale et tourmentée.

En adoubant le jeune homme politique, Valerie Jarrett lui a ouvert ses mondes : ses contacts dans la nébuleuse démocrate et son immense réseau de levée de fonds électoraux, tissé durant ses années à la mairie puis dans le business de l’Illinois. Barack a aussi découvert grâce à elle l’aristocratie et l’intelligentsia noires de Chicago. L’arrière-grand-père de Valerie a été le premier non-Blanc diplômé du prestigieux MIT. Son grand-père est le premier Afro-Américain promu patron de l’office du logement social de Chicago. Quant à James Bowman, son père, premier interne non blanc admis au St. Luke’s Hospital dès les années 1950, il a refusé de passer par la porte de service, imposant de facto la fin de la ségrégation dans l’établissement.

Sur les armoiries de ce clan, l’ambition s’allie à la conscience. Ce qui explique sans doute pourquoi Michelle et Valerie, pendant la campagne, se partageaient les tâches : l’épouse ramenait Barack sur terre lorsque le succès le grisait, et la conseillère le rappelait à son essence. Quand les stratèges exigeaient une riposte violente aux attaques d’Hillary, la confidente lui enjoignait de garder de la hauteur. A l’inverse, lorsqu’on suppliait le candidat, après les sorties anti-Blancs de son pasteur Jeremiah Wright, d’éviter d’aborder la question raciale américaine, Valerie le poussait à y répondre ouvertement. Elle avait eu gain de cause. Et après son discours historique du 18 mars 2008, Barack Obama était déjà devenu président. D’abord et avant tout dans les yeux de Valerie Jarrett.

PHILIPPE COSTE

 » Je connais assez le couple OBAMA pour pouvoir leur rappeler qui ils sont « 

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