Uniqlo Paris gagnant

N°4 mondial de l’habillement, l’enseigne nipponne poursuit sa conquête de France dans un marché déprimé. Et ça marche.

Rien ne les découragera. Ni le temps neigeux de ce début de janvier ni l’impressionnante file d’attente n’empêcheront ces quel-ques centaines d’acheteurs – de la jeune fashionista à la sexagénaire en manteau de vison – de profiter des  » Happy soldes  » d’Uniqlo, nouvel étendard du shopping parisien, situé non loin du boulevard Haussmann et des Galeries Lafayette. Tous attendent de s’offrir des doudounes à 59,90 euros, des cachemires de toutes les couleurs à 49,90 euros ou des jeans impeccablement coupés à 9,90 euros.

Ce spectacle bon enfant mêlant une foule bigarrée n’est plus exceptionnel au coeur du quartier de l’Opéra. Depuis son ouverture, le 1er octobre 2009, le magasin de vêtements, au style  » authentique  » venu du Japon, ne désemplit pas. Le succès est tel que Fast Retailing, la maison mère d’Uniqlo, également propriétaire de Comptoir des Cotonniers et de Princesse Tam Tam (9 milliards d’euros de ventes en 2012), a décidé de faire de la France le porte- drapeau de ses ambitions mondiales. Cette année, la marque au carré rouge, très populaire au Japon (voir l’encadré), va multiplier les ouvertures à Paris et y créer un millier d’emplois.

Pour Uniqlo (contraction de unique et clothing) et son patron, le très charismatique – et très riche – Tadashi Yanai, c’est une divine surprise. L’engouement des Français pour ces vêtements simples mais de qualité, avec une indéfinissable touche nipponne, a dépassé toutes les espérances : après trois mois d’ouverture, le mégastore de 2 100 mètres carrés, avec ses trois niveaux réservés aux cachemires et autres chandails jaune citron, violette, rose nacré – plus de 50 couleurs au total ! – s’est révélé rentable, affichant l’un des plus gros chiffres d’affaires mondiaux du groupe.

Une performance surprenante dans un contexte si chahuté. A son arrivée en France, Uniqlo a dû affronter  » l’une des pires crises du marché de l’habillement depuis 1930 « , affirme Evelyne Chaballier, directrice des études à l’Institut français de la mode. Et, concentré sur le Japon, où il réalise encore 70 % de son activité, le groupe a décidé bien tardivement de conquérir le reste du monde, comme le reconnaît Berndt Hauptkorn, directeur général d’Uniqlo Europe. Débarquant de dix à vingt ans après les stars du secteur, telles Zara ou H & M, l’enseigne a dû affronter de nombreux concurrents –  » il y a une overdose de l’offre « , selon Evelyne Chaballier. Uniqlo en a d’ailleurs fait les frais lors de sa première incursion européenne : implantée en Grande-Bretagne dès 2001, elle y a fermé 15 de ses 25 boutiques, inaugurées trop vite.  » A l’époque, nous n’avions pas suffisamment réfléchi aux vrais besoins des clients. Passer d’une marque japonaise à une marque mondiale ne se fait pas en une nuit « , plaide Berndt Hauptkorn.

Dix ans plus tard, le roi du vêtement confortable semble avoir vaincu les obstacles. Malgré la conjoncture, le n° 4 mondial de l’habillement assure être arrivé en France  » au bon moment  » : à l’heure de la crise, les consommateurs préfèrent miser sur les valeurs sûres.  » Avec son ancrage dans la tradition japonaise, la marque joue sur l’intemporalité, évitant l’esbroufe et le bling-bling « , explique Vincent Grégoire, du bureau de style Nelly Rodi. Tout en dégageant un petit côté stylé qui la rend moderne.  » Les quinquagénaires, par exemple, voient Uniqlo comme un Décathlon en plus mode ou un Damart en plus sexy « , observe le consultant. Et, en visant tous les types d’acheteurs – hommes, femmes et enfants, vieux et jeunes, riches et fauchés – cet outsider semble plus fédérateur que Zara ou H & M, s’adressant plutôt à  » la gamine et la postpubère « , selon un pro du textile. Les prix, compétitifs – avec des promotions éclair -, expliquent eux aussi la réussite.

Ni enseigne discount ni magasin de luxe, Uniqlo est inclassable : les plus aisés viennent s’offrir deux ou trois doudounes tandis que les  » recessionistas « , selon l’expression de Vincent Grégoire, s’achètent, eux, des basiques à prix doux. La qualité de l’accueil, dans la pure tradition nipponne, est elle aussi appréciée des clients.  » Nous passons de la société de consommation à la société de considération. Avec ses valeurs humanistes, l’enseigne incarne parfaitement ce changement « , analyse Vincent Grégoire.

Surtout, l’ovni japonais a su renouveler l’offre. A côté de ses impressionnantes collections de tee-shirts, la marque a créé Heattech, une innovation technologique permettant de retenir la chaleur du corps et de proposer des sous-vêtements et des doudounes ultrafines mais ultrachaudes. Ces produits font nettement la différence avec la concurrence. Au Japon, il s’en vend 50 millions d’unités tous les ans. La France n’est pas en reste.

Après la Chine, l’enseigne se concentre sur l’Europe

Tadashi Yanai le répète à l’envi : dès 2015-2016, les recettes à l’international dépasseront celles enregistrées au Japon – au dernier trimestre, elles étaient en hausse de 50 %. Avec 347 magasins seulement, pour 851 au Japon. Alors, partout dans le monde, l’entreprise accélère la cadence. Objectif : devenir le n° 1 mondial de l’habillement, devant Zara, H & M et Gap. Après avoir conquis la Chine (déjà 174 magasins), le groupe se concentre désormais sur l’Europe.  » Si nous réussissons là où la compétition est la plus rude, nous parviendrons à nos fins ailleurs « , affirme Berndt Hauptkorn.

Une course effrénée, qui passe en priorité par la France. Si Londres, Moscou ou Berlin voient fleurir des flagships, c’est à Paris qu’Uniqlo cherche le plus activement à se renforcer. Déjà présente à la Défense où elle a agrandi son magasin test (ouvert en 2007), à Levallois, dans le centre commercial So Ouest, et bien sûr à Opéra, l’enseigne veut continuer à s’étendre dans la capitale française – une dizaine de magasins seraient prévus d’ici à cinq ans – avant de se lancer dans les grandes villes de province. Le but ? Faire de chaque Français un adepte. A l’image de cette troupe grelottante, massée à l’entrée du magasin, venue chercher en ce début d’année des sous-vêtements thermiques et des doudounes pour passer l’hiver parisien… à la mode japonaise.

CORINNE SCEMAMA

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