Une vie après la mort

Louis Danvers
Louis Danvers Journaliste cinéma

Thomas de Thier signe avec Des plumes dans la tête un premier long-métrage au sujet audacieux et à l’imagerie originale

(1) Relevant d’un genre très prisé par les cinéastes et vidéastes belges sous l’appellation de  » documentaire de création « , le réel y étant interprété par une subjectivité d’auteur.

Un moment d’émotion et d’étrangeté passa sur le Festival de Cannes l’an dernier, à l’heure de la projection (à la prestigieuse et néanmoins cinéphile Quinzaine des réalisateurs) du premier film d’un jeune réalisateur belge. Thomas de Thier signe avec Des plumes dans la tête une £uvre singulière, douloureuse et poétique, où une réalité pesante se voit infiltrée par un imaginaire très particulier. Le point de départ est la disparition brutale d’un enfant, drame auquel Blanche, la mère, réagira peu à peu en émergeant de son deuil, au contact d’une nature dont les manifestations û traitées sur un mode de plus en plus onirique û lui feront retrouver le goût de vivre et ce que Thomas de Thier appelle  » l’essentiel « …

L’homme fait partie d’un tout

C’est sa passion pour… l’ornithologie qui a mené le jeune réalisateur à l’idée de son premier long-métrage.  » Depuis longtemps passionné par l’étude des oiseaux, j’aime particulièrement les observer dans les alentours des sucreries de Genappe, lieu où se déroule le film « , explique de Thier qui ajoute :  » Je trouvais cet endroit tellement beau, tellement changeant au fil des saisons, que j’ai eu d’abord envie de faire un documentaire. Mais je n’avais plus la tête à cette manière de voir les choses, mes derniers documentaires étaient déjà largement des fictions (1). Très vite, en écrivant, l’histoire est venue, avec la perte de l’enfant, le désarroi de la mère, la rencontre de cette dernière avec un adolescent passionné par les oiseaux… Mais le lieu qui a inspiré le tout reste omniprésent, et mon approche de cinéaste pas très éloignée de la démarche ornithologique, avec ses accents mis sur l’observation patiente, la contemplation. Je filme à égalité un humain et un paysage, un brin d’herbe et un grain de peau…  »

 » Il était important pour moi de replacer l’homme au sein d’un tout, au contact direct d’une nature dont le film affirme constamment l’importance « , déclare Thomas de Thier. Il se souvient que, lors de ses voyages dans des festivals d’Extrême-Orient, des spectateurs japonais ou coréens se montraient particulièrement réceptifs à une démarche évoquant indirectement leur propre rapport culturel et spirituel à la nature souveraine. Des plumes dans la tête a fait le tour du monde des festivals, faisant connaître internationalement un jeune auteur au style et au propos assurément singuliers. Un artiste qui a voulu,  » au-delà de la perte d’un enfant, parler de la perte de l’enfance « . La sienne fut heureuse, et de Thier avoue en avoir gardé  » une certaine nostalgie, des traces dans la vie adulte, avec une volonté de préserver ces traces à laquelle le choix de travailler dans le cinéma n’est sans doute pas étranger…  »

Le cinéaste évoque avec douceur un film aux accents de départ profondément sombres, et aux vibrations intimes encore accentuées par le choix d’une actrice principale qui est également la propre compagne du réalisateur. Sophie Museur, qui allait elle-même devenir mère au moment où Thomas de Thier écrivait Des plumes dans la tête, signe une interprétation sentie et personnelle, s’inscrivant bien dans un univers fictionnel où se multiplient progressivement les visions oniriques, les affleurements surréalistes d’une poétique un peu trop contrôlée, maîtrisée (et donc fermée) autour de rimes parfois insistantes, d’images se répondant les unes aux autres avec une précision quelque peu mécanique. Mais, pour son authentique originalité, pour son audace tranquille et les émotions que sa première partie û surtout û nous fait partager, Des plumes dans la tête mérite de susciter dans nos salles de cinéma le même intérêt que les plus importants festivals lui ont réservé depuis un an.

Louis Danvers

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