Une science utile, risquée, méconnue…

La première partie de l’enquête le révélait sans ambiguïté : en matière de génétique, l’opinion des Belges dépend avant tout de ce que les savants veulent faire de cette science… (1) Leur réservent-ils des buts médicaux ? Les applications biotechnologiques présentent alors des chances raisonnables d’être adoptées par la population. En revanche, lorsque ces nouvelles techniques sont employées à des fins non médicales, la probabilité d’un  » rejet en masse  » reste assez élevée… Dans un deuxième temps, les chercheurs du groupe de travail TOR de la Vrije Universiteit Brussel (VUB) ont voulu savoir s’il existait des tendances parmi les réponses des personnes sondées. Certes, oui, mais les différences sont loin d’être spectaculaires. Ainsi, les hommes semblent un peu plus ouverts aux biotechnologies que les femmes, et les Flamands, un peu plus tolérants que les francophones. Quant au niveau d’études, il  » tire  » l’opinion dans deux directions contraires : d’un côté, les diplômés de l’enseignement supérieur sont plus enclins à accepter les applications médicales que les personnes peu qualifiées. De l’autre, lorsqu’il s’agit d’applications non médicales, il apparaît que plus on a fait d’études, plus on montre de réticences. Enfin, de manière plus surprenante, l’acceptation des applications génétiques augmente légèrement avec… l’âge. Des papys plus branchés  » biotech  » que leurs petits-fils ? Chaque nouvelle génération est en effet un peu plus sceptique que la précédente vis-à-vis de la biotechnologie. Il y a même une tranche de répondants û ceux nés entre 1958 et 1967 û qui fait tout à fait  » bande à part « , et juge les interventions génétiques nettement plus négativement que les deux classes d’âge qui les encadrent. Une explication ?  » C’est en général vers 17 ans que l’adolescent voit ses conceptions sociales définies par son environnement, suggère le Pr Mark Elchardus (VUB), coordinateur de l’enquête. Pour le groupe distingué ici, cet âge a été atteint entre 1975 et 1984 : ce n’est peut-être pas un hasard s’il s’agit de la période où les partis écologistes ont commencé à acquérir une notoriété électorale.  »

Les caractéristiques sociodémographiques  » classiques  » restent cependant peu pertinentes : le degré d’acceptation des biotechnologies ne varie que modérément avec le sexe, l’âge, la formation scolaire ou la région des interviewés. Une autre échelle, basée sur le degré d’utilité ou de risques que les gens confèrent aux biotechnologies, pourrait-elle en apprendre davantage sur les différences d’attitudes dans la population ? Les analyses démontrent que les Belges estiment plutôt faible l’utilité des interventions sur les plantes, les animaux et les humains ( graphique 1, p.20). Quant aux risques, de précédentes études ont déjà relevé que les gens les trouvaient généralement très élevés, en raison des menaces pesant sur l’environnement et des dangers de l’eugénisme. Le présent sondage confirme cette tendance ( graphique2). En outre, il est piquant de noter l’existence, tant dans l’évaluation de l’utilité que dans celle des risques, de groupes  » médians  » assez denses. Un grand nombre de personnes adoptent donc, ici, une position intermédiaire  » prudente « . Font-elles preuve d’un jugement modéré ? Ou n’ont-elles simplement aucun avis sur la question ?  » Dans le groupe de répondants aux opinions peu tranchées figurent relativement plus de personnes peu qualifiées, relève Elchardus. Si les femmes se montrent aussi légèrement plus hésitantes que les hommes, il n’existe par contre aucun lien entre l’âge et l’indécision.  » Il n’empêche : même si les positions intermédiaires semblent populaires, le nombre de sondés convaincus que les interventions génétiques ont plus d’utilité que de risques reste supérieur au nombre de ceux persuadés du contraire…

Poussant plus loin leur analyse, les universitaires ont voulu savoir si d’autres facteurs pouvaient influencer l’opinion. Une connaissance pratique de la biotechnologie ou une expérience personnelle (par exemple, le fait d’avoir déjà subi un test génétique), le degré de religiosité ou les convictions philosophiques entrent-ils par hasard en ligne de compte ? Non. Certes, les personnes croyantes se révèlent plus réticentes que les athées û peut-être, selon les chercheurs, en raison de la  » modification d’un état naturel  » qu’induit la technologie génétique.

En vérité, seuls deux facteurs jouent un rôle important dans l’attitude face à la biotechnologie : la  » pensée verte  » et l’autodétermination corporelle.  » Les partis verts peuvent être considérés comme la traduction politique formelle du mouvement écologiste, qui s’est profilé au cours de la dernière décennie comme un opposant de la technologie génétique « , affirme le rapport de l’enquête. Plus les gens se sentent verts, plus ils soulignent les risques de la génétique aux dépens de son utilité, et moins ils jugent ses applications acceptables. Dans un autre registre, le respect du droit à disposer librement de son corps joue en sens inverse : plus les gens se montrent tolérants vis-à-vis de l’euthanasie, de l’avortement, de l’homosexualité ou de la prostitution, plus ils insistent sur l’utilité (au mépris des risques), et mieux ils admettent les applications, surtout médicales, de la biotechnologie. Tentative d’explication :  » Les personnes qui font preuve de tolérances éthique et sexuelle pensent que la vie n’est pas immuable, que chacun peut décider de la manière dont il vivra. Elles considèrent donc les applications de la génétique comme moins ôcontre nature » que les autres répondants « , propose le rapport.

En conclusion,  » la problématique de la génétique n’est encore que très faiblement intégrée dans la politique, la philosophie ou les oppositions sociales existantes « , note Elchardus. Autre constat : l’acceptabilité des applications médicales ne dépend pas exclusivement de considérations éthiques. Le jugement à leur égard est plutôt utilitaire. On pourrait dire  » calculateur  » : si ces progrès influencent en bien notre santé, notre alimentation ou notre condition physique, eh bien, tant mieux. Sinon, évitons-les.  » Un observateur critique pourrait avancer que la biotechnologie, en tant que phénomène social, n’en est encore qu’à ses premiers pas « , souligne le sociologue. Le thème paraît encore à ce point neuf qu’il est bien difficile, pour le chercheur (comme pour le citoyen, du reste), de déterminer ce qui est apprécié, redouté ou inconnu…

Valérie Colin

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